Cardiologie générale
Publié le 25 avr 2006Lecture 7 min
Un nouveau syndrome neurocardiogénique, le « Takotsubo inversé »
P.-V. ENNEZAT, CHRU de Lille, avec la collaboration de D. PESSENTI-ROSSI, J.-L. AUFFRAY, J.-J. BAUCHART, J.-M. AUBERT, D. LOGEART, A. COHEN-SOLAL, P. ASSEMAN
Nous avons rapporté récemment 4 cas de dysfonction systolique sévère du ventricule gauche associée à une atteinte neurologique aiguë. L’atteinte segmentaire du ventricule gauche était celle d’un syndrome de Tako-tsubo inversé, c’est-à-dire où seul l’apex était hypercinétique, les deux tiers basaux de toutes les autres parois étant dyskinétiques. L’évolution était favorable dans 2 cas avec une régression complète des troubles de la cinétique et une normalisation de la fonction ventriculaire gauche. Dans les 2 autres cas, la sévérité de l’atteinte neurologique a provoqué le décès.
L’atteinte coronaire athéroscléreuse ne pouvait être incriminée dans aucun cas.
Cas 1
Un patient âgé de 26 ans, régulièrement suivi pour une sclérose en plaques depuis 3 ans, a été admis en unité de soins intensifs pour une détresse respiratoire aiguë. Durant les 3 années précédentes, il avait subi 4 poussées de SEP, s’exprimant par des névrites optiques rétrobulbaires et/ou des paralysies motrices périphériques non systématisées. Un traitement immunosuppresseur par azathioprine avait été administré entre 1995 et 1996. La dernière poussée de SEP était survenue 3 mois avant son hospitalisation pour détresse respiratoire et avait été traitée par une corticothérapie à doses dégressives (10 mg/j de prednisone à l’admission).
Examen clinique
À son admission, le patient se plaignait non seulement de dyspnée mais aussi de violentes céphalées diffuses associées à une photophobie et des vomissements depuis 4 jours. Le patient ne ressentait aucune douleur précordiale. L’examen physique a révélé une orthopnée avec une polypnée à 40/min et une tachycardie régulière aux alentours de 110/min, une pression artérielle à 100/60 mmHg et une température à 37,1 °C. La saturation artérielle en oxygène était mesurée à 77 % en air ambiant. Des râles crépitants étaient perçus dans les deux champs pulmonaires. L’auscultation cardiaque était sans particularité. La nuque était souple. Le reste de l’examen clinique était normal.
L’électrocardiogramme a révélé un sous-décalage significatif du segment ST dans les dérivations D2D3aVF et de V4 à V6. La radiographie pulmonaire a objectivé un syndrome interstitiel et alvéolaire diffus. La gazométrie artérielle à l’air ambiant a montré une PAO2 de 45 mmHg et une PCO2 de 41 mmHg. L’échocardiographie transthoracique a mis en évidence à l’admission une dysfonction systolique sévère du ventricule gauche avec une akinésie complète circonférentielle épargnant l’apex, siège d’une hyperkinésie compensatrice. Le diamètre télédiastolique du ventricule gauche était mesuré à 52 mm, le diamètre télésystolique à 49 mm. La fraction d’éjection mesurée en coupe apicale 4 cavités par la méthode de Simpson était de 25 %. Une insuffisance mitrale associée était quantifiée grade 1. Les dimensions et la cinétique ventriculaires droites étaient normales. La pression artérielle pulmonaire systolique estimée sur l’insuffisance tricuspide était de 35 mmHg.
Les résultats biologiques ne montraient pas de syndrome inflammatoire ni d’anomalie électrolytique. Une élévation modérée de la troponine Ic (1,14 mg/l ; N < 0,1 mg/l) ne s’accompagnait pas d’élévation des CPK.
Un scanner cérébral réalisé en urgence a éliminé un processus hémorragique ou tumoral, mais a révélé deux plages hypodenses du centre semi-ovale droit.
La ponction lombaire a révélé que le liquide céphalorachidien était normal.
L’imagerie par résonance magnétique montrait de multiples lésions nodulaires sus-tentorielles caractérisées par un hypersignal en T2. Le cervelet et le tronc cérébral étaient indemnes de lésions.
Les symptômes cardiorespiratoires ont régressé en 3 jours avec un traitement comprenant 3 bolus intraveineux de corticostéroïdes (méthylprednisolone, 1 g/j), une oxygénothérapie, des diurétiques et des vasodilatateurs. La radiographie pulmonaire ainsi que l’électrocardiogramme se sont normalisés.
Au 5e jour, une échocardiographie de contrôle a mis en évidence une cinétique et une fonction ventriculaire gauche complètement normalisées. Ce résultat a été confirmé par une mesure isotopique de la fraction d’éjection du ventricule gauche (FE : 64 %). Une tomoscintigraphie myocardique après injection de thallium 201 a montré une fixation homogène du traceur. Sur le plan neurologique, une ophtalmoplégie internucléaire antérieure ainsi qu’une paralysie faciale centrale gauche ont régressé en 48 heures. Les céphalées ont disparu progressivement en quelques jours.
Cas 2
Un homme âgé de 34 ans a présenté subitement des céphalées et des vomissements, suivis 24 heures plus tard d’une douleur thoracique.
Examen clinique
L’examen clinique a révélé des signes congestifs d’insuffisance cardiaque gauche. L’ECG réalisé aux urgences montrait un sous-décalage non spécifique du segment ST dans les dérivations latérales (figure 1).
Figure 1. ECG à l’admission : sous-décalage ST dans les dérivations latérales.
La troponine Ic s’est élevée à 26 ng/ml (N < 0,6) et les CPK à 669 UI/l (N < 195). L’échocardiographie transthoracique a mis en évidence une dysfonction systolique sévère du ventricule gauche (FEVG : 30 %) avec une akinésie complète circonférentielle épargnant l’apex, siège d’une hyperkinésie compensatrice (figure 2).
Figure 2. Dysfonction sytolique sévère du VG avec akinésie circonférentielle épargnant l’apex.
Une insuffisance mitrale modérée était notée. Cette analyse segmentaire a été confirmée par la ventriculographie (figure 3). La coronarographie était normale.
Figure 3. Coronarograohie normale et, à la ventriculographie, akinésie circonférentielle respectant l’apex.
Des troubles de conscience sont apparus rapidement et ont motivé la réalisation d’un scanner cérébral en urgence qui a montré un vaste hématome temporal gauche associé à une inondation hémorragique des ventricules cérébraux. Le patient est décédé rapidement malgré les soins neurochirurgicaux.
Cas 3
Un homme âgé de 29 ans a été hospitalisé pour une confusion mentale. On notait dans ses antécédents un psoriasis et une intoxication alcoolique. La rupture d’un anévrisme de l’artère cérébrale moyenne droite avec hémorragie sous-arachnoïdienne bilatérale a rapidement été diagnostiquée.
Examen clinique
L’ECG montrait des anomalies de la repolarisation non spécifiques de V3 à V6. La troponine Ic s’élevait à 18,5 ng/ml, les CPK à 6 600 UI/l.
L’échocardiographie transthoracique mettait en évidence une dysfonction systolique sévère du ventricule gauche (FEVG : 20 %) avec une akinésie complète circonférentielle épargnant l’apex, siège d’une hyperkinésie compensatrice. Le patient est décédé malgré l’embolisation intracérébrale réalisée en urgence.
Cas 4
Un homme âgé de 39 ans, ayant un antécédent de cavernome intracérébral opéré 3 mois auparavant, a été admis pour une suspicion de syndrome coronaire aigu au décours d’une crise convulsive.
Examen clinique
L’ECG montrait un sus-décalage isolé en V2 V3 associé à une élévation de la troponine Ic (10 ng/ml). L’échocardiographie transthoracique et la ventriculographie mettaient en évidence une dysfonction ventriculaire gauche systolique (FEVG : 40 %) de topographie identique aux trois cas précédents.
Le scanner cérébral montrait une masse frontale gauche hypodense sans hémorragie. Les suites ont été simples. La fonction ventriculaire s’est normalisée complètement à J7.
Discussion
Les troubles cardiaques (dysfonction ventriculaire, arythmies ventriculaires et supraventriculaires diverses, modifications ECG mimant parfois un IDM) sont fréquents au cours des désordres neurologiques aigus et des traumatismes crâniens. Une élévation modérée de la troponine peut être également observée. Lors de ces atteintes neurologiques sévères, la dysfonction myocardique est habituellement réversible si le patient survit à la phase initiale.
La physiopathologie de ces manifestations cardiaques demeure obscure. La stimulation sympathique massive et aiguë, à l’instar des phénomènes observés dans le phéochromocytome, est souvent évoquée. La vasoconstriction myocardique qui en résulte se traduit par une dysfonction ventriculaire gauche. Mais la topographie segmentaire de ces troubles reste non élucidée.
Le « piège à poulpe » est devenu populaire, décrit pour la première fois au Japon. Divers troubles à dominance neuropsychologique sont habituellement retrouvés comme facteurs déclenchants de ce syndrome. La dysfonction ventriculaire gauche résulte d’une ballonnisation des deux tiers apicaux du ventricule gauche, associée à une hyperkinésie d’une collerette basale pouvant être source d’obstruction intraventriculaire sous-aortique. Par opposition, dans chacun de nos quatre cas, l’apex était le siège d’une hyperkinésie, le reste du ventricule gauche étant complètement akinétique ou dyskinétique de façon circonférentielle.
Dans le premier cas, la présence d’une dysfonction myocardique associée à une poussée de SEP a été initialement rattachée à une myocardite infectieuse, le patient étant de surcroît traité par corticothérapie. En outre, la localisation des troubles de la cinétique segmentaire était peu compatible avec une origine ischémique. Cependant, aucun des éléments tels que la vitesse de sédimentation, la protéine C réactive et le liquide céphalorachidien ne plaidait pour un processus infectieux. Enfin, la normalisation de la fonction ventriculaire gauche semblait trop rapide pour être compatible avec un tableau de myocardite.
Une biopsie myocardique aurait permis d’écarter définitivement ce diagnostic, mais le risque de cet examen paraissait dépasser un éventuel bénéfice pour ce patient dont l’évolution a été rapidement favorable. Si des œdèmes pulmonaires ont déjà été décrits au cours de l’histoire naturelle de la sclérose en plaques (SEP), ils sont habituellement classés d’origine neurogénique, sans dysfonction ventriculaire gauche associée. Des œdèmes pulmonaires neurogéniques sans dysfonction myocardique ont déjà été décrits lors de l’évolution de la SEP.
Mais, dans notre cas, l’échocardiographie a rapidement confirmé que l’œdème pulmonaire avait une origine cardiaque. La sévérité de l’atteinte cérébrale par de multiples plaques démyélinisantes extensives peut être considérée comme équivalente à celle d’un traumatisme cérébral. À notre connaissance, un seul cas d’insuffisance cardiaque aiguë a été décrit durant une poussée de SEP. De la même façon, la fonction ventriculaire gauche s’est normalisée en quelques jours.
En conclusion
L’œdème pulmonaire survenant au cours d’une poussée de SEP demeure exceptionnel. Si, devant l’apparition d’un œdème pulmonaire au décours d’une atteinte neurologique aiguë telle qu’une hémorragie intracérébrale ou une crise convulsive ou exceptionnellement une poussée de SEP, la première hypothèse évoquée est celle d’un œdème pulmonaire neurogénique, une échocardiographie doit cependant être effectuée à la recherche d’une dysfonction ventriculaire gauche, afin d’éliminer un œdème cardiogénique, dont le traitement est bien spécifique et codifié.
Inversement, la découverte d’une dysfonction ventriculaire gauche de type Tako-tsubo inversé ou non, devant des troubles ECG et biologiques évoquant une atteinte coronaire, doit faire soupçonner une atteinte cérébrale potentiellement mortelle.
Notre souhait est de collecter de façon multicentrique les divers cas documentés de « Takotsubo inversé ».
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