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Thérapeutique

Publié le 24 avr 2007Lecture 9 min

Mon attitude la plus fréquente en 2007 devant... Un sujet sous antiagrégants plaquettaires qui doit être opéré

C.-M. SAMAMA, Service d'anesthésie-réanimation, hôpital de Hôtel-Dieu, Paris

Les agents antiplaquettaires (AAP) sont bien connus des anesthésistes-réanimateurs car leur gestion périopératoire n’est pas simple. Le large développement des endoprothèses coronaires, et surtout plus recemment des endoprothèses actives, a encore compliqué cette prise en charge, notamment en raison de la bithérapie systématique qui suit la pose du stent. Néanmoins, un certain nombre de propositions pragmatiques peuvent être énoncées.

Les antiplaquettaires peuvent souvent être poursuivis en chirurgie De nombreuses situations cliniques nécessitent la poursuite du traitement antiplaquettaire. Ainsi, la 7e conférence de consensus de l’ACCP recommande de ne pas interrompre l’aspirine avant une endartérectomie carotidienne ou une chirurgie vasculaire périphérique des membres(1). De la même manière, en chirurgie cardiaque, les études les plus récentes ne montrent pas d’augmentation des besoins transfusionnels chez les patients chez qui l’aspirine n’a pas été interrompue, alors qu’il existe souvent une discrète majoration du saignement.   L’aspirine La conférence d’experts de la SFAR 2001 rapporte ainsi un grand nombre de situations chirurgicales compatibles avec la poursuite de l’aspirine(2). La même conférence d’experts rapporte une augmentation des complications hémorragiques en cas de poursuite des AAP avant une intervention pour amygdalectomie ou pour une chirurgie de la prostate. Une revue générale de Burger minimise également ce risque en montrant que l’augmentation du saignement répond à un facteur 1,5 mais la présence d’aspirine ne majore pas la sévérité des complications hémorragiques, exceptions faites de la chirurgie intracrânienne, de l’amygdalectomie et potentiellement de la prostatectomie par voie transuréthrale(3).   Les thiénopyridines Les données sont plus équivoques avec les thiénopyridines (ticlopidine et clopidogrel) avec lesquelles une majoration du saignement et de la transfusion a été décrite, notamment en chirurgie cardiaque(4). Même sans données d’études, il faut probablement redoubler d’attention dans les situations chirurgicales où l’hémostase chirurgicale ne peut être complète (chirurgie de la prostate, neurochirurgie, grands décollements) ou, également, les cas de figure dans lesquels la moindre hémorragie per- ou postopératoire peut mettre en jeu le pronostic fonctionnel de l’intervention (tympanoplastie).   L’arrêt des antiplaquettaires peut faire courir un risque   Collet et coll. ont suivi une cohorte de 1 358 patients consécutifs admis pour un syndrome coronaire aigu(5). Parmi ces patients, 930 n’étaient pas traités par antiplaquettaires, 355 étaient traités par aspirine ou thiénopyridine (clopidogrel ou ticlopidine) et 73 patients avaient récemment interrompu leur traitement (dont 47 avant une intervention chirurgicale et ce, quel que soit le mode de relais par flurbiprofène ou héparine de bas poids pour 31 d’entre eux). Ces patients étaient admis en moyenne 11,9 ± 0,8 jours après l’arrêt de la thérapeutique. Comparativement au groupe traité sans interruption, leurs risques de décès ou d’infarctus (21,9 vs 12,4 %) et de complication hémorragique (13,7 vs 5,9 %) étaient très significativement augmentés. En analyse multivariée, l’arrêt des antiplaquettaires ressortait comme un facteur de risque prédictif de mortalité et de saignement. Dans cette série, 5 % des pa-tients avaient arrêté les AAP dans les trois semaines avant l’admission. Une autre série française (Ferrari et coll.) s’est intéressée à l’arrêt des AAP un mois avant l’hospitalisation dans une cohorte de 1 236 syndromes coronariens aigus(6). Environ 4 % (n = 51) des événements coronaires étaient concernés, mais près de 13 % des récidives. L’incidence des élévations du segment ST atteignait 39 % chez les sujets qui avaient interrompu leur traitement contre seulement 18 % chez les patients qui avaient continué. Le délai moyen de survenue était là aussi de 10,0 ± 1,9 jours. Plusieurs cas cliniques ont également été rapportés, soulignant un peu plus la prise de conscience qui se fait jour dans ce domaine(7,8). Une étude cas-témoins suisse a comparé la fréquence de l’interruption du traitement par aspirine durant 4 semaines chez 309 patients victimes d’un accident vasculaire cérébral ou ischémique transitoire versus 309 autres patients comparables avec une histoire neurologique et traités par aspirine mais qui n’avaient pas développé de symptomatologie dans les 6 mois(9). L’aspirine avait été interrompue chez 13 patients du groupe symptomatique contre 4 patients du groupe témoin (odds ratio 3,4 ; IC95 % : 1,08-10,63 ; p < 0,005). En analyse multivariée, encore une fois l’arrêt de l’aspirine était prédictif. Enfin, Albaladejo et coll. ont observé la survenue d’épisodes d’ischémie des membres inférieurs dans une cohorte rétrospective de 181 patients vasculaires, dont 11 avaient interrompu leur traitement par aspirine depuis 23 jours (7-60 jours)(10). L'interruption d'un traitement antiagrégeant efficace reposant sur une indication reconnue ne peut se concevoir sans risque. En pratique, un faisceau d’arguments basé sur de larges cohortes rétrospectives, des cas cliniques isolés et une étude cas-témoins laisse penser que l’arrêt des antiplaquettaires chez les sujets à risque ne peut être décidé à la légère. Le risque de l'interruption du traitement l’emporte sur une éventuelle majoration du risque hémorragique peropératoire. Lorsque l’indication du traitement antiplaquettaire est impérative (accidents ischémiques transitoires récidivants, angor sévère), il faut le maintenir.   Stents non actifs (ou bare metal stents) L’arrivée des stents dans la pratique cardiologique date du début des années 90. Les progrès de l’angioplastie coronaire associés à ces nouveaux matériaux ont amélioré significativement le pronostic des patients. La gestion périopératoire des médicaments antiplaquettaires s’en est trouvée modifiée. Une période incompressible de 4 à 6 semaines de double traitement (aspirine + thiénopyridine) nécessaire à la réendothélialisation du stent a été rapidement recommandée après la publication de plusieurs séries d’accidents. Dans la série de Kaluza, 40 patients qui avaient bénéficié de la pose d’un stent ont été opérés d’une chirurgie non cardiaque dans un délai rapproché (jusqu’à 39 jours)(11). Sept d’entre eux ont été victimes d’un infarctus du myocarde, 11 d’un épisode de saignement majeur et 8 sont décédés. Une thrombose de stent a été retrouvée chez la plupart des patients décédés. Les événements sont survenus chez les patients qui avaient été opérés moins de 14 jours après la pose du stent. Les auteurs ont suggéré alors de reporter l’intervention 2 à 4 semaines après la pose du stent. Une série similaire de Wilson comportant 207 patients ayant bénéficié d’une pose de stent à la Mayo Clinic 1 à 60 jours avant une intervention rapporte le même type de complications(12) : 8 complications cardiaques graves (dont 6 décès) dans un délai maximum de 6 semaines après la pose du stent. En pratique, une « fenêtre de tir » débutant 6 semaines après la pose du stent et allant jusqu’à la fin du troisième mois a pu être recommandée pour une chirurgie nécessitant une brève intervention des AAP. Mais la plus extrême prudence s’impose, comme en témoignent les accidents dans la série de Ferrari(6) (10 thromboses de stents nus survenant en moyenne 15,5 ± 6,5 mois après la pose, soit très tardivement).   Stents actifs (drug-eluting stents) Ces stents partent d’une idée simple : recouvrir la paroi interne du stent d’une substance pharmacoactive qui va ralentir l’hyperplasie néo-intimale et prévenir plus efficacement la rethrombose. Le principe a fait la preuve de son efficacité(13), permettant une réduction du taux de rethrombose par un facteur 3 à 4, mais il implique la poursuite d’une double thérapeutique antiplaquettaire (aspirine-clopidogrel) sur une période beaucoup plus longue que pour les stents classiques (BMS). L’interruption du traitement implique un haut risque de rethrombose car la réendothélialisation a été différée. Pour l’instant deux grandes classes de stents actifs sont disponibles : - les stents utilisant un agent cytostatique (paclitaxel, rapamycine…), - les stents utilisant un immuno-suppresseur (sirolimus, tacrolimus, vérolimus….). En début d’année 2007, les stents actifs CypherTM (sirolimus) et TaxusTM (paclitaxel) sont les plus fréquemment posés. La publication, dès 2003, de cas cliniques rapportant la thrombose aiguë de stents actifs (DES) lors d’une interruption du traitement a été à la source de la réflexion actuelle sur le sujet. Fléron et coll. rapportent le premier cas d’infarctus avec choc cardiogénique chez une patiente porteuse de deux stents sirolimus-rapamycine et chez laquelle, trois mois plus tard, le clopidogrel et l’aspirine avaient été arrêtés 9 jours avant une intervention pour mastectomie(14). Depuis, plusieurs autres cas ont été publiés. McFadden décrit l’histoire de 4 thromboses tardives avec infarctus survenus 343 jours et 442 jours après la pose d’un stent au paclitaxel et 335 et 375 jours après la pose d’un stent au sirolimus(15). Les infarctus étaient, dans les 4 cas, manifestement liés à l’interruption du traitement (4 à 14 jours plus tôt). Enfin, Iakovou a été le premier à donner une véritable dimension épidémiologique à ce problème en rapportant les données d’une cohorte prospective de 2 229 patients traités pour moitié par des stents au paclitaxel et pour l’autre moitié par des stents au sirolimus(16). L’aspirine était poursuivie indéfiniment et la ticlopidine ou le clopidogrel arrêtés respectivement après 3 mois pour les stents au sirolimus et 6 mois pour les stents au paclitaxel. À 9 mois, 1,3 % (n = 29) des stents étaient thrombosés, soit 0,8 % pour les stents au sirolimus et 1,7 % pour les paclitaxel (NS). Parmi ces patients, il faut déplorer 13 décès par infarctus (45 %), soit un taux extrêmement élevé de thromboses de stents. Les facteurs prédictifs indépendants de thrombose de stent étaient dans l’ordre : l’arrêt prématuré des antiplaquettaires (hazard ratio 89,78 (IC 95 % : 29,90-269,60) et à un moindre degré l’insuffisance rénale 6,49 (2,60-16,15), les lésions de la bifurcation (6,42 (2,93-14,07) et le diabète 3,71 (1,74-7,89). Il est donc clair que l’arrêt d’une bithérapie antiplaquettaire doit être évité, et que si cette interruption est prévue, elle ne peut se faire qu’après un traitement prolongé (durée ?) et en parfaite collaboration avec les équipes cardiologiques. Une expertise collective menée conjointement de décembre 2005 à mars 2006 par la SFAR, la Société française de cardiologie et le Groupe d’étude sur l’hémostase et la thrombose a permis de clarifier un peu le problème en proposant un certain nombre de solutions pour la pratique quotidienne (tableau)(17). Des recommandations, plus timides mais allant dans le même sens, viennent d’être publiées par plusieurs sociétés savantes nord-américaines (American Heart Association, American College of Cardiology, Society for Cardiovascular Angiography and Interventions, American College of Surgeons, American Dental Association, American College of Physicians)(18). Conclusion La gravité des tableaux cliniques ne facilite pas la réflexion sereine et, bien des fois, les antiplaquettaires vont être interrompus de manière intempestive, conduisant à des accidents thrombotiques aux conséquences désastreuses. L'approche la plus adaptée doit être multidisciplinaire, associant les chirurgiens, les cardiologues ou internistes, les neurologues et, bien sûr, les anesthésistes-réanimateurs.   En pratique   Les conséquences de la poursuite d’un traitement par aspirine sur l’hémostase opératoire sont le plus souvent peu marquées et peuvent conduire à ne pas interrompre le traitement sauf dans quelques situations précises (chirurgie intracrânienne, chirurgie de la prostate, amygdalectomie). Les thiénopyridines sont responsables d’une majoration du saignement et de la transfusion en chirurgie cardiaque. En présence d’un saignement au bloc opératoire(1), seule la transfusion de plaquettes sera relativement efficace. Elle ne sera prescrite que curativement à la dose de 0,7 x 1011 plaquettes pour 7 kg de poids. Le relais par un AINS de type flurbiprofène doit être discuté au cas par cas car, dans la série de Collet, un certain nombre d’incidents se sont produits sous flurbiprofène. Les héparines de bas poids moléculaires à dose curative sont dans le même cas de figure. Dans le cas du patient porteur de stent, cette substitution n’est pas validée et c’est la pire solution, mais à l’exception de toutes les autres, ce qui veut dire qu’une mauvaise substitution est parfois préférable à une absence de substitution… Il est théoriquement possible d’opérer un patient porteur d’un stent non actif entre la 6e semaine postimplantation et le 3e mois, mais la plus grande prudence doit être de rigueur et la poursuite de l’aspirine conseillée. La durée pendant laquelle la bithérapie doit être poursuivie après la pose d’un stent actif est mal connue. Si l’on a suggéré 3 mois pour le sirolimus et 6 mois pour le paclitaxel, des cas de thrombose tardive viennent contredire ces assertions. Un an au moins semble à présent plus consensuel(18). Il est, en revanche, plus réaliste de suggérer aux équipes cardiologiques de préférer la pose de stents non actifs chez des patients susceptibles de bénéficier d’une intervention chirurgicale dans l’année. Dans tous les cas la multidisciplinarité sera la règle. L’interruption du traitement quand elle est impérative (risque hémorragique très élevé) doit être la plus courte possible et le consensus va plutôt vers une interruption de la bithérapie pendant 5 jours. La reprise du traitement en postopératoire doit être la plus précoce possible (dans les 12 h) et la possibilité d’une dose de charge de clopidogrel a été discutée (300 mg).

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