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Coronaires

Publié le 23 mar 2004Lecture 9 min

Vingt ans d'avancée dans la prise en charge de l'angor stable et instable

S. WEBER, hôpital Cochin, Paris

Il y a 20 ans, la compréhension de la physiopathologie coronaire était déjà bien avancée et bon nombre des méthodes diagnostiques et thérapeutiques dont nous usons actuellement étaient déjà disponibles sous une forme, il est vrai, souvent moins élaborée et « achevée » que maintenant.
Nous étions à cette époque loin d’être inefficaces, comme en témoignent les nombreux patients que nous avons pris en charge à cette époque et que nous continuons à revoir régulièrement en consultation, généralement peu symptomatiques et menant une vie de bonne qualité.
A contrario, en 1984, nos plannings de consultations comportaient bien peu de patients dont la maladie coronaire avait débuté 20 ans plus tôt !

D'énormes avancées diagnostiques et thérapeutiques avaient, en effet, été effectuées dans le courant des années 70 et le tout début des années 80, comportant la banalisation de la coronarographie, l’arrivée à maturité du pontage aorto-coronaire, la maîtrise de certaines grandes classes pharmacologiques comme l’aspirine, les bêtabloquants, les dérivés nitrés, les anticalciques et, à la fin de cette période particulièrement féconde, les premiers pas de l’angioplastie coronaire. Est-ce pour autant que l’essentiel avait été fait ? Ces 20 dernières années n’ont-elles donné lieu qu’à des raffinements mineurs ?   Les grandes avancées     Bien au contraire les innovations ont été majeures et se sont développées dans trois axes complémentaires.  La compréhension de la physiopathologie de la maladie athéromateuse Notion de plaques stables et instables, mise en évidence du rôle crucial du phénomène de rupture de plaques avec thrombose concomitante et démonstration du caractère constamment diffus de la maladie coronaire, de la dysfonction endothéliale qu’elle implique. Ces avancées cognitives ont été à la base du renforcement du rôle des antithrombotiques et surtout de la bonne compréhension de la nécessité de combiner indissociablement les thérapeutiques de revascularisation s’attaquant aux sténoses coronaires les plus critiques et les plus parlantes cliniquement aux thérapeutiques de prévention secondaire tentant de maîtriser l’évolution de la maladie athéromateuse coronaire « diffuse ».   L’intégration par la majorité des cardiologues des conclusions des essais thérapeutiques Cela permet de développer dans notre spécialité une culture de « médecine par les preuves » qui était pour le moins discrète antérieurement. Tout ne va encore pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais fort heureusement, au fur et à mesure que les enquêtes et analyses de prescription se succèdent dans le temps, le taux de mise en pratique des thérapeutiques validées ne cesse d’augmenter et le recours aux méthodes et molécules d’efficacité aléatoire et incertaine de diminuer.      La mise au point de nouvelles méthodes diagnostiques et de nouveaux instruments thérapeutiques Les nouvelles méthodes diagnostiques allant de la validation de dosages biologiques simples — très utiles à l’élaboration du diagnostic et à la détermination du pronostic pour peu que l’on sache les utiliser avec discernement — à des nouvelles techniques d’imagerie statique ou fonctionnelle du myocarde telles l’échographie de stress, l’IRM et le scanner multibarette.         Les innovations thérapeutiques     Ces 20 dernières années, les progrès réalisés dans le domaine de la prise en charge de l’angor ont concerné aussi bien la pharmacologie que la revascularisation myocardique.     Dans le domaine de la pharmacologie Les molécules anti-ischémiques ont connu quelques améliorations et raffinements, mais soyons francs, l’essentiel du travail conceptuel avait été accompli il y a plus de 20 ans… En revanche, deux avancées peuvent être considérées comme « bouleversantes » : - la démonstration de la réduction de morbi-mortalité obtenue par les statines en prévention secondaire de la maladie coronaire ; - la mise au point de nouveaux antithrombotiques ou associations d’antithrombotiques.  Dans le domaine de la revascularisation En matière de revascularisation myocardique, l’essentiel des avancées a été obtenu dans le domaine de l’angioplastie : réduction du risque iatrogène par l’amélioration du matériel d’angioplastie proprement dite, complétée quelques années plus tard par le large recours aux endoprothèses coronaires autorisé par l’utilisation rationnelle des nouveaux antithrombotiques précédemment évoqués, qui a permis de réduire à un niveau raisonnablement faible le risque de thrombose aiguë de stent. L’ensemble de ces avancées a permis d’augmenter fortement la sécurité de l’angioplastie coronaire, de supprimer totalement la notion de stand by chirurgical. Ce n’est qu’à l’extrême fin de ces deux décennies que l’irritant problème de la resténose a trouvé, tout au moins dans une assez large mesure, une solution grâce aux endoprothèses pharmacologiquement actives, dont l’efficacité et la sécurité ont été validées chez le coronarien stable et pour les artères de gros calibre. L’extension des indications de ces nouveaux stents actifs vers d’autres formes cliniques, et notamment les syndromes coronariens aigus, fait actuellement l’objet d’un effort de recherche très soutenu. Essayons d’illustrer, à l’aide de deux cas cliniques, la mise en pratique de ces avancées conceptuelles, méthodologiques, diagnostiques, pharmacologiques et « instrumentales ».   Cas cliniques 1984. Monsieur Dupont se présente aux urgences... M. Dupont, 45 ans, fumeur, porteur d’une discrète surcharge pondérale et d’une dyslipidémie ayant motivé une prescription de fibrates, se présente, en 1984, aux urgences d’un établissement hospitalier pour douleurs thoraciques. Il a souffert en tout et pour tout de trois épisodes constrictifs sans facteur déclenchant particulier, et notamment sans lien à l’effort. Chacun de ces épisodes a duré environ une dizaine de minutes ; le dernier des trois est survenu environ une demi-heure avant son admission. À l’interrogatoire, la douleur est compatible avec le diagnostic d’angine de poitrine sans cependant, comme cela est généralement la règle dans « la vraie vie », que le récit du patient ne reproduise de façon parfaite la sacro-sainte question d’externat ! L’examen clinique est sans particularité ; l’électrocardiogramme recueilli une quarantaine de minutes après la fin de la douleur est strictement normal. La biologie est sans particularité, notamment le dosage de la CPK et, dans cet hôpital bien équipé, de son iso-enzyme MB, est normal.   Commentaires     En 1984, face à cette situation clinique, pourtant extrêmement banale, l’approche diagnostique était difficile et non standardisée ; il n’y avait à cette époque ni guidelines ni conférences de consensus… : - certains auraient proposé une épreuve d’effort dont l’innocuité, dans ce contexte, était loin d’être absolue… ; - d’autres, un enregistrement Holter avec analyse fine des variations du segment ST… Les diverses techniques de scintigraphie myocardique avaient déjà leurs adeptes ; - certains enfin, plus audacieux et très certainement minoritaires à cette époque, auraient préconisé une coronarographie à visée diagnostique. Cet examen était déjà parfaitement maîtrisé et courant ; le maniement des antithrombotiques et des nitrés en encadrement de cette exploration « à chaud » était cependant moins standardisé qu’il ne l’est actuellement ; le risque lié à la procédure était, certes, déjà relativement faible, mais un peu moins faible qu’aujourd’hui ! De plus, cette procédure effectuée par voie fémorale, avec des cathéters que l’on considérerait aujourd’hui de gros calibre, supposait une hospitalisation plus prolongée, moins confortable qu’elle ne serait aujourd’hui. La proportion de patients quittant l’hôpital avec un diagnostic imparfaitement établi était relativement élevée, surtout chez les patients plus âgés pour lesquels les réticences à pratiquer une coronarographie étaient fortes. Il n’était pas exceptionnel de les voir quitter l’hôpital avec un traitement anti-ischémique « empirique », sans que le diagnostic de cardiopathie ischémique ait été formellement établi. Chez ce jeune patient, une coronarographie aurait, selon toute vraisemblance, été effectuée, malgré l’absence d’électrocardiogramme et d’élévation de CPKMB, compte tenu des facteurs de risque et des caractéristiques de la douleur thoracique. Elle aurait objectivé une sténose à 90 % de l’IVA proximale et des lésions athéromateuses diffuses non sténosantes sur le reste du réseau coronaire. Le patient aurait été transféré dans un hôpital doté d’un service de chirurgie cardiaque et il aurait bénéficié, sous « stand by chirurgical », d’une angioplastie coronaire au ballon seul. Dans notre observation, la procédure aurait été couronnée de succès, laissant cependant en place une sténose résiduelle de 30 %. La prise de risque n’était pas négligeable ; le risque de dissection occlusive en cours de procédure, génératrice d’un infarctus du myocarde, était, dans ce contexte d’instabilité, de quelques pour cent. Avec le recul du temps, reconnaissons que si, face à une occlusion aiguë iatrogène, une chirurgie coronaire était décidée en urgence, ses résultats en étaient malheureusement assez médiocres, n’évitant que rarement la constitution d’un infarctus myocardique. Fort heureusement pour notre patient, la procédure a été parfaitement calme et paisible ; la sortie a été décidée quelques jours plus tard avec un traitement associant aspirine, bêtabloquants, dérivés nitrés retards et poursuite du fibrate. Quelques mois plus tard une épreuve d’effort s’est avérée normale à un niveau d’exercice honorable ; notre patient, décidément chanceux, ne faisait pas partie des approximativement 20 à 30 % de « resténoseurs »… Un an plus tard, ayant déménagé vers une autre région, il a été perdu de vue. Espérons qu’il a eu la bonne idée de consulter un confrère lui ayant fait profité, au fil des années, de la prescription des nouvelles classes pharmacologiques démontrées efficaces chez lui. Peut-être a-t-il eu besoin d’une nouvelle exploration coronarographique débouchant sur, soit l’indication d’un pontage, soit celle d’une nouvelle angioplastie. Il n’est pas déraisonnable de penser que ce patient, maintenant âgé de 64 ans, continue à mener une vie active de bonne qualité et que sa fonction ventriculaire gauche reste normale ou n’est en tout cas que modérément altérée…   1994... le même patient   Imaginons maintenant le même patient en 1994 ; sa dyslipidémie découverte à l’âge de 42 ans a, après évaluation raisonnée du risque artériel absolu, bénéficié de la prescription, acceptée et assidûment suivie, d’une statine. C’est donc 10 ans plus tard, en 2004, à l’âge de 54 ans, qu’il consulte pour douleurs thoraciques intermittentes ! L’examen clinique et l’électrocardiogramme postcritique sont toujours normaux… En revanche, le taux sanguin de troponine est légèrement élevé, permettant, en conjonction avec les caractéristiques très suspectes de la douleur, de poser avec une quasi-certitude le diagnostic de syndrome coronarien aigu. Un traitement antithrombotique, associant aspirine et clopidogrel, est mis en œuvre, parallèlement à un traitement anti-ischémique. La coronarographie est pratiquée, sans urgence absolue mais sans « traîner », quelques heures plus tard, retrouvant la sténose de l’IVA proximale qui sera dilatée sous couvert d’une perfusion d’un anti-IIb/IIIa. Cette dilatation sera assortie de l’implantation d’une endoprothèse probablement « active » sur cette artère de gros calibre.   Commentaires Même en 2004, l’étape diagnostique n’est cependant pas toujours aussi simple. Le taux sanguin de troponine aurait pu être strictement normal sans que cela n’infirme le diagnostic de douleurs thoraciques de repos d’origine coronaire, donc d’angor instable. Quelques heures d’observations supplémentaires auraient été utiles pour répéter les ECG et surtout effectuer un deuxième dosage de troponine qui serait peut-être cette fois-ci élevé. Si deux dosages successifs sont normaux, cela n’élimine toujours pas le diagnostic ! Le bon sens clinique reprend tous ses droits et la décision d’effectuer une coronarographie diagnostique dépendra dans une large mesure de la qualité de l’interrogatoire (il n’y a pas eu en la matière d’avancées technologiques significatives depuis 1984 !) et du degré de conviction du cardiologue. S’il opte pour la coronarographie diagnostique, celle-ci sera rapidement effectuée par voie radiale ; la prise de risque iatrogène n’est toujours pas nulle, mais elle est devenue, fort heureusement, extrêmement faible. Bien plus faible en tout cas que les conséquences de la méconnaissance du diagnostic de maladie coronaire dans un tel contexte.   Le cœur léger mais l’ordonnance « lourde » Après l’implantation de ce stent sur l’IVA proximale notre patient regagnera rapidement ses pénates le cœur léger mais l’ordonnance lourde puisque, en application des données de la médecine par les preuves, elle comportera de l’aspirine, du clopidogrel, une statine, un bêtabloquant, un inhibiteur de l’enzyme de conversion et un dérivé nitré d’action immédiate à utiliser en cas de récidive douloureuse. Bien entendu, cette polyprescription relativement complexe aura été longuement expliquée à notre patient et réexpliquée à l’occasion des consultations de suivi dont les principales préoccupations seront le dépistage par l’une des nombreuses techniques disponibles d’une ischémie résiduelle ou récurrente mais, plus encore, le contrôle de la bonne qualité d’une prévention secondaire complète comportant, bien sûr, l’éradication farouche du tabagisme.

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