Publié le 15 oct 2020Lecture 7 min
Céphalique ou sous-clavière, quel abord en 1re intention ?
Philippe RITTER, Bordeaux
That is the question ! Il conviendrait d’ajouter à ce duel, un troisième larron qui s’appelle la veine axillaire. Et dans ce combat à trois, c’est finalement l’expérience de l’opérateur qui primera, car chacun a ses préférences. Mais les faits peuvent vous conduire à changer d’opinion, et les circonstances et les indications de l’implantation vous obligeront tôt ou tard à devoir et à savoir prendre toutes les voies possibles, car les voies du coeur sont parfois impénétrables !
Les faits !
Une métaanalyse vient d’être publiée en mars dernier dans le JACC (Subclavian and axillary vein access versus cephalic vein cutdown for cardiac implantable electronic device implantation: a meta-analysis, par Vasunrisi).
Parmi 352 études, 23 sont sélectionnées pour leur qualité d’information, publiées de 1994 à 2019 (3 sont randomisées). Une métaanalyse a la valeur relative, mais a l’avantage de regrouper un grand nombre de patients. On note une grande disparité dans les matériels implantés (PM, DAI, CRT), la durée de suivi (1 mois à 8 ans), l’absence d’informations sur les abords successifs tentés avant l’assaut final…
37 722 cas sont répartis en 18 009 ponctions sous-clavières (PSC), 17 304 abords céphaliques (AC), et 409 ponctions axillaires (PA) dans 3 études. Il s’agit donc surtout d’une comparaison entre PSC et AC. Le taux de succès d’implantation est en faveur de PSC (RR = 1,24, PSC : 96,3 % ; AC : 76,2 %), et PA équivaut à PSC. Le temps de procédure moyen PSC et AC est égal, plus court avec PA. Le taux de pneumothorax (PTX) est supérieur avec PSC (RR = 4,88) (si l’on obtient un PTX avec AC, c’est que la PSC a été tentée auparavant !), et PA équivaut à AC. Le défaut de device/sonde est supérieur avec PSC (RR = 2,09). Il n’y a pas de différence pour les hématomes, les saignements et les infections.
Petite analyse de cette métaanalyse : on y voit un peu plus clair ; AC n’engendre pas de pneumothorax, et provoque moins de complications de sonde, avec un temps de procédure égal par rapport à PSC, mais un taux de succès moyen de 76 % contre 96 %.
Avec PA, difficile de se faire une opinion avec seulement 409 patients. Mais il semble que la technique soit plus rapide, sans pneumothorax et avec un taux de succès d’implantation identique à PSC (et dans de probables mains expertes).
La métaanalyse ne répond pas strictement à la question de l’abord de première intention, mais le résultat final peut nous éclairer. Quelques informations complémentaires peuvent aussi influencer votre choix : Hadjis prétend utiliser la céphalique dans près de 99 % des resynchronisations cardiaques avec trois sondes, l’extraction de sonde mise par voie céphalique s’avérerait plus difficile que mise par voie SC, et un désilet mis en place dans la veine céphalique engendrerait plus de saignements.
Les avantages et inconvénients des trois voies
La voie céphalique
Les avantages
– Abord chirurgical simple guidé par le sillon entre pectoral et deltoïde ;
– pas de structure dangereuse aux alentours, simplement une artériole fréquente chez les sujets âgés, qui colle fortement à la veine, à séparer ;
– peut être sacrifiée sans ménagement ;
– permet d’accéder à l’espace sous-musculaire sans délabrement musculaire, en continuant de descendre dans le sillon ;
– fixation de sonde(s) facile sur le corps de veine lui-même ;
– pas de risque de pneumothorax, ou de saignement artériel.
Les inconvénients
– Nécessite une mini-formation de chirurgie ;
– procédure parfois un peu longue, et nécessite une bonne quantité d’anesthésique local ;
– pas facile à trouver chez l’obèse ;
– volontiers gracile et tortueuse chez le sujet âgé, nécessitant parfois le recours à un guide (plutôt hydrophile) et à un désilet dont la taille dépend du calibre et du nombre de sondes à passer, et qui provoque volontiers un saignement facile à limiter par un fil d’hémostase placé largement autour de la veine et prenant appui sur le grand pectoral, avant l’introduction du désilet ;
– attention aux veines violet foncé, aux parois fines, qui sont fragiles et provoquent souvent un saignement abondant à contrôler par un fil d’hémostase.
Mes trucs
– Aborder la veine très haut dans le sillon avec une incision dans l’axe du sillon qui permet aussi les ponctions : elle sera de plus fort calibre et plus solide. On l’aborde lorsque la céphalique tourne en dedans en plongeant sous le bord externe du grand pectoral ;
– bien la décoller et la peler de la graisse environnante ;
– on y trouve venant de l’épaule une petite veine collatérale externe qui se jette juste au-dessus d’une petite valve de la céphalique. Les ligatures de cette collatérale et du corps de la céphalique en aval permettront de tendre la céphalique et d’ouvrir les virages de la veine au passage de la (des) sonde(s) ;
– pour limiter le saignement, l’ouverture de la veine se fait avant la valve du côté aval (côté main), et une boucle autour de la veine au-dessus de l’ouverture, avec le fil qui servira de fixation de sonde à la fin de la procédure, tendu sur une pince, sera fort utile ;
– le passage des virages par les sondes est facilité quand la main du patient glisse le long du corps comme pour attraper le genou.
La voie sous-clavière
Les avantages
– Voie sûrement plus rapide, notamment en situation critique (malaises itératifs sur BAV par exemple) ;
– peu de variations anatomiques ;
– permet de passer plusieurs sondes facilement ;
– voie volontiers utilisée en réanimation, acquise au cours de son internat.
Les inconvénients
– Risque de pneumothorax, de ponction artérielle sous-clavière et d’embolie gazeuse ;
– parfois difficile à trouver chez le sujet âgé, car volontiers tortueuse, notamment si le thorax est déformé ;
– saignement local per-procédure peut-être plus important chez les patients dont la pression veineuse centrale est élevée.
Mes trucs
– S’assurer que le patient est calme et a l’épaule bien à plat sur la table, et basse (le coup du genou !) ;
– demander au patient de ne pas bouger et de ne pas parler ;
– ponctionner après avoir fait la loge, en passant par la même incision que précédemment, bien parallèle à la table, en direction de la fourchette sternale ;
– une fois le guide en place, placer le fil de fixation qui servira à contrôler le saignement éventuel ;
– si la veine n’est pas trouvée facilement, ne pas s’acharner et passer à la ponction axillaire ou la céphalique ! ;
– ne ponctionner qu’une fois, même si on doit passer deux sondes (dans ce cas, passer un désilet de fort calibre : 10,5 ou 11 French selon les sondes utilisées), et peut-être séparer une deuxième ponction pour une sonde gauche (l’abord sera plus facile en cas de reprise !) ;
– garder le guide, à ne retirer qu’au moment de la fixation ;
– quand une sonde est introduite par le désilet, c’est pendant l’expiration.
La voie axillaire
Les avantages
– Voie probablement la plus rapide, et plus sûre que la ponction sous-clavière en restant extra-thoracique ;
– peu de variations anatomiques et permet de passer plusieurs sondes.
Les inconvénients
– Les mêmes que pour la voie sous-clavière, avec peu de risque de pneumothorax ;
– exige une formation spécifique, mais rapide.
Mes trucs
– Sous fluoroscopie exclusivement ;
– ponction quasi verticale en « tapant » la 1re côte dans l’angle avec la clavicule ;
– ensuite, les mêmes trucs que pour la sous-clavière.
Alors que choisir ?
Mais voyons, toutes mon capitaine ! Considérons les différents cas qui peuvent se présenter.
Il s’agit d’une primo-implantation
Étant inquiet de nature, je choisis l’AC, car il n’y a guère de complications à craindre, mais cela prend plus de temps. Que signifient 10 minutes de plus pour un patient qui gardera sa sonde à vie ?! Oui, bien sûr qu’il faut boucler le programme avant ce soir ! Il y a trois sondes à passer, je ponctionne l’axillaire pour la sonde gauche.
Il s’agit d’un ajout de sonde
Je fais une phlébographie systématique homolatérale avant l’intervention et je choisis en fonction de la liberté de la sous-clavière. La procédure est faite au moins sous sédation.
– Elle est libre, les sondes anciennes sont sous-clavières, je choisis la céphalique, elles sont céphaliques, je choisis l’axillaire ;
– elle est occluse au plus loin derrière la tête de clavicule, je fais une ponction sous-clavière ou du Pirogoff extrêmement prudente et en cas d’échec, on réfléchit avec les collègues !
Le choix de la voie d’abord dépend des habitudes de chacun, en restant parfaitement conscient des avantages et inconvénients de chacune d’entre elles. Mais il faut les avoir toutes en main, et passer à l’une ou l’autre en fonction de chaque patient. Personnellement, je choisirai toujours la voie sécuritaire, même si cela prend plus de temps (et encore), car comme me le répétait souvent Guy Pioger qui m’a appris énormément en l’observant faire : « si tu vas lentement, tu iras vite ! », ou encore : « chi va lontano, va sano ».
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :