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Polémique

Publié le 29 juin 2024Lecture 5 min

Faut-il (encore) anticoaguler les CHA2DS2-VASc à 1 ?

François BOUVIER, Jonathan BIALOBRODA, Jérôme LACOTTE, Massy

D’après les recommandations européennes de 2020(1), les patients avec un score CHA2DS2-VASc (CHV) à 0 (hors genre) ont un risque embolique inférieur à 1 %/an et ne bénéficient pas de la prescription d’un traitement anticoagulant, alors que les patients avec un CHV ≥ 2 (hors genre) doivent être anticoagulés (recommandation de classe I-A). Les patients avec un CHV à 1 (hors genre) forment un groupe à risque embolique intermédiaire et hétérogène, chez qui le traitement anticoagulant doit être seulement considéré (recommandation de classe IIa-B) et individualisé en fonction des caractéristiques cliniques et des préférences du patient.

La question est alors la suivante : quels sont les patients avec un CHV1 qui bénéficient réellement d’une anticoagulation au long cours ?   Dans la vraie vie, une majorité de ces patients est anticoagulée   En 2016, le registre international GARFIELD rapportait un traitement anticoagulant (AOD ou AVK) chez environ 50 % des patients CHV1, s’élevant à 75 % sur une étude de cohorte norvégienne publiée en 2024(2,3). Il est probable que le faible taux de complications et la simplicité d’utilisation des AOD expliquent cette progression.   Un registre récent apporte des réponses utiles   L’étude AFNOR publiée en 2024(3) rapporte le suivi entre 2011 et 2018 d’une cohorte norvégienne de plus d’un million de patients dont 34 460 fibrillations atriales non valvulaires avec CHV1 (hors genre). L’utilisation d’une anticoagulation orale par AOD ou AVK chez ces patients était associée à une réduction de 43 % du critère combiné AVC ischémique + hémorragie grave + mortalité toutes causes.   Tous les déterminants du CHA2DS2-VASc se valent-ils ?   Les taux d’événements ischémiques chez les patients avec un CHV1 varient selon les études. En effet, si le bénéfice de l’anticoagulation semble convaincant pour la globalité des CHV1, il semble que l’hétérogénéité de cette population ne permette pas une généralisation du bénéfice à tous les profils de patients. L’âge ≥ 65 ans et l’HTA semblent être les deux marqueurs de risque les plus importants(4), mais le poids des différents facteurs varie selon les études(5).   FA persistante, paroxystique, ablatée… même risque cérébral ?   On sait de longue date qu’une FA paroxystique présente un risque embolique moins important qu’une FA non paroxystique(6). De plus, l’étude EAST AFNET a montré qu’en cas de FA paroxystique, un contrôle précoce du rythme et de la charge en FA diminuait considérablement le taux d’AVC(7). Dans ce sens, l’ablation semble avoir un avantage sur le traitement médicamenteux, avec une diminution significative des récidives de FA(8) et donc potentiellement du risque d’AVC(9). Plusieurs études randomisées sont en cours pour évaluer le bénéfice du traitement anticoagulant chez les populations à risque intermédiaire ou élevé au décours de l’ablation, les résultats de ODIn-AF (200 patients seulement) ne montrant pas de différence significative entre le maintien et l’arrêt du Dabigatran à 6 mois d’une ablation de FA sans récidive documentée.   Et si mon patient est toujours sinusal sur sa montre connectée ?   L’étude REACT-AF, en cours, étudie la possibilité d’une stratégie anticoagulante « pill in the pocket » guidée par le monitoring du rythme à l’aide d’une montre connectée comparée au traitement continu par AOD(9). Il faudra attendre 2025 pour avoir des résultats finaux.   Quels autres critères prendre en compte pour mieux segmenter les CHA2DS2-VASc à 1 ?   D’autres éléments non pris en compte dans le CHV sont reconnus comme des marqueurs de risque embolique et pourraient aider à affiner la décision : la dilatation de l’oreillette gauche, la diminution du strain atrial, la forme de l’auricule, l’insuffisance rénale modérée ou plus évoluée, la présence d’une protéinurie, l’obésité, la présence d’une cardiomyopathie hypertrophique, ainsi que certains biomarqueurs comme le BNP.   Les toutes dernières recommandations ouvrent la porte à l’arrêt de l’anticoagulation des CHV1   Ces notions ont été récemment intégrées dans les recommandations de l’American Heart Association de 2023 (tableau), qui envisagent l’arrêt du traitement anticoagulant pour les CHV1 (hors genre) après dépistage de ces marqueurs de risque, en accord avec le patient(10). *Charge en FA notamment. COR : classification de recommandation ; LOE : niveau d’épreuve ; B-NR : non randomisé ; C-LD : données limitées.   De même, le tout récent consensus de l’EHRA autorise l’arrêt du traitement anticoagulant pour les patients à risque intermédiaire en l’absence de récidive à 12 mois d’une ablation, sous réserve de l’absence des marqueurs de risque précédemment cités et d’un monitoring précis du rythme cardiaque, sans oublier de réévaluer régulièrement l’indication et le CHV avec le patient(11). Il semble donc raisonnable et recommandé d’interrompre l’anticoagulation d’un patient de 45 ans, diabétique bien contrôlé, ablaté et sans récidive à 12 mois, a fortiori si le monitoring par sa montre ECG confirme l’absence de récidive ou s’il s’agit d’un patient actif et pratiquant des sports à risque de complication hémorragique.   Et l’évaluation du risque hémorragique ?   Malheureusement, les scores de risque hémorragique datent de l’ère des AVK, peu cohérents avec les prescriptions actuelles. Le score HAS-BLED reste à ce jour le plus utilisé. D’autres plus récents et plus précis, incluant notamment les données biologiques (HEMORR2HAGES), nécessitent un calcul complexe, peu pratique au quotidien.   Et pour l’avenir ?   Pour aller plus loin, certains algorithmes permettent déjà de prédire la probabilité de récidive de FA à court ou moyen terme, à partir d’un enregistrement Holter de 24 heures d’un patient en rythme sinusal(10). L’intelligence artificielle et les biomarqueurs pourront probablement à l’avenir nous aider à mieux stratifier le risque embolique des patients que le simple CHA2DS2-VASc actuel.   Conclusion • Les patients CHV1 sont un groupe très hétérogène, mais qui correspond à une importante population, fréquemment candidate à une ablation. • Dans cette population à risque intermédiaire, le seul CHV ne suffit plus à justifier la mise en route et le maintien du traitement anticoagulant. • Le type et la charge de fibrillation atriale, la dilatation de l’oreillette gauche, le niveau de risque hémorragique sont autant de paramètres à prendre en compte dans l’évaluation de la balance bénéfice/risque, qu’il faut réévaluer régulièrement en tenant compte du vieillissement de nos patients, de l’apparition de comorbidités et de l’évolution de leur arythmie.

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