Publié le 28 fév 2011Lecture 8 min
Défaut d’information : des condamnations plus fréquentes en cardiologie interventionnelle ?
C. GAULTIER, Cardiologue conseil, Sou Médical, groupe MACSF ; Hôpital Européen de la Roseraie, Groupe Villa-Maria, Aubervilliers ; Hôpital Foch, Suresnes
Comme pour toute prestation, le médecin doit à son patient une information sur les actes délivrés. Pour comprendre les enjeux, il est nécessaire de revoir les bases juridiques du devoir d’information pour savoir quand, par qui et comment il faut informer ses patients.
L’année 2010 a été marquée par une évolution de la jurisprudence provenant de la cour de cassation qui alourdit l’obligation d’information, et qui risque d’avoir un impact sur la pratique de la cardiologie interventionnelle.
Information aux patients : ce que dit la loi
Avant d’être légale, informer ses patients est une obligation avant tout morale.
Depuis longtemps, et pour l’ensemble des médecins, le code de déontologie (article 35) rappelle que : « Le médecin doit à la personne […] une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il propose ».
Sous la pression croissante des avocats devant les tribunaux, il a été demandé aux médecins non seulement d’informer, mais surtout de prouver que l’on a informé. C’est ce que la loi « Kouchner » (2002), précise dans l’article L1111-2 : « En cas de litige, il appartient au professionnel […] d’apporter la preuve que l’information a été délivrée à l’intéressé […] Cette preuve peut être apportée par tout moyen. »
L’information doit être délivrée aux patients et/ou à leurs représentants légaux : parents, tuteurs ou à la personne de confiance.
Comment informer en cardiologie interventionnelle ?
Dans la très grande majorité des cas, la coronarographie est prescrite par un « cardiologue de ville » qui n’effectue pas d’actes de cardiologie interventionnelle. Dans la mesure où sa formation le lui permet, ce cardiologue est tenu juridiquement et vis-à-vis de son patient de l’informer des risques de l’exploration, comme des différentes grandes options thérapeutiques qui en découlent. Les explorations se faisant souvent en hospitalisation, l’information peut aussi être délivrée par les « cardiologues de salle ».
À son tour, le cardiologue interventionnel a sa part de responsabilité dans cette information préalable. Il doit vérifier ce qui a été expliqué par le prescripteur et complétera l’information en fonction des options techniques qu’il a choisies (abord, technique de revascularisation, etc.). Son handicap est de rentrer en contact tardivement avec le patient, soit la veille de l’acte, soit juste avant l’acte. Pour cela, il est nécessaire qu’il existe une bonne organisation entre les prescripteurs et les cardiologues interventionnels.
Dans des plaintes judiciaires récentes, il a souvent été reproché une information insuffisante lorsqu’une angioplastie était réalisée dans la foulée de la coronarographie.
Les experts considéraient qu’une information loyale concernant la stratégie de revascularisation devait tenir compte de la complexité anatomique des lésions, des possibilités de se soumettre à une double antiagrégation plaquettaire (observance, séjour en zone démédicalisée, etc.) et de l’alternative médicale ou chirurgicale à l’angioplastie.
Il convient probablement de proposer plus fréquemment l’angioplastie dans un second temps : soit lors de la même hospitalisation, soit lors d’une seconde hospitalisation à condition que le délai ne fasse pas courir un risque ischémique au patient (lésion ou tableau instable).
Cette démarche permet en plus de fractionner la quantité des produits de contrastes iodés utilisée (néphrotoxicité), de réfléchir au mieux sur le choix du matériel (cathéter guides, stents nus ou actifs, etc.). Elle permet enfin une meilleure imprégnation en antiagrégants plaquettaires.
Contenu de l’information
La loi demande aux médecins d’informer sur les « risques fréquents et/ou graves ». Cela revient presque à informer de tous les risques !
Avant d’aborder les risques attendus de chaque acte invasif, il convient surtout d’expliquer les risques spontanés de la maladie : réduction des capacités fonctionnelles et engagement du pronostic vital. C’est d’ailleurs par cette démarche que l’on peut obtenir plus naturellement l’adhésion des patients aux soins proposés.
Plus spécifiquement en cardiologie interventionnelle, l’information peut aussi porter sur le choix de la voie d’abord et des risques différents entre la radiale et la fémorale.
Traçabilité de l’information
Comme la loi l’impose, c’est aux médecins de prouver qu’ils ont informé leurs patients.
Il faut donc s’organiser pour pouvoir satisfaire à cette obligation. L’expérience prouve que c’est surtout l’absence totale d’information et l’occultation des risques qui poussent les patients et leurs familles à porter plainte en cas d’accident. Pour autant, il ne faut pas se fixer comme objectif d’énumérer froidement un catalogue de complications toutes aussi effrayantes.
L’information doit se faire par un dialogue humain et loyal mais progressif, car en définitive, le patient doit comprendre que l’acte est invasif et comporte quelques risques.
C’est en évoquant toutes les barrières de sécurité nécessaires à la réalisation d’un acte que l’on informe finalement de ses risques : hospitalisation, prélèvement biologique (risque rénal, hémostase, etc.), consultation anesthésique… Ces mesures exposées permettent, en outre, de rassurer le patient sur la prévention qui est organisée autour de l’acte.
Même si le dialogue a pu être très riche entre le patient et l’équipe soignante, il faut se souvenir que le patient peut décéder ou devenir aphasique, privant le médecin d’un témoignage capital. C’est bien cette situation, plus que l’éventuelle mauvaise foi de certains patients, qui impose une traçabilité systématique de l’information.
Pour pouvoir convaincre le magistrat, il faut pouvoir rassembler un faisceau d’arguments qui permettront de faire retenir une présomption d’information.
Quand cela est possible, sans risque vital, il est utile de pouvoir laisser un délai de réflexion entre la proposition d’un acte et sa réalisation. Le dossier médical doit comprendre des allusions claires à l’exposition des risques.
Idéalement, le prescripteur ne doit pas hésiter à mentionner dans son courrier au cardiologue interventionnel, qu’il a informé le patient des risques de l’examen prescrit et d’ajouter qu’il a remis le document d’information de la Société Française de Cardiologie (accessible sur le site de la SFC).
Mais, le « gold standard » en matière de traçabilité d’information est la signature du document spécifique d’information de la SFC, car cela fait un peu office d’« accusé de réception ». Si cette étape est indispensable, elle doit accompagner une information orale.
Enfin, cela n’a pas de sens de faire signer ce document à un patient qui ne sait pas lire. Le document peut être confié à une personne de confiance qui lui en fera la lecture et la traduction et pourra signer le document pour lui.
Conséquence d’un défaut d’information en cardiologie
Depuis longtemps, les avocats recherchent systématiquement le défaut d’information. Pour autant, si le défaut d’information était prouvé, il n’aboutit pas automatiquement à une condamnation.
Jusqu’à récemment, les tribunaux ne condamnaient les médecins que lorsqu’il était prouvé qu’informé des risques, le patient avait réellement la possibilité de refuser l’acte proposé (perte de chance). Pour cela, il fallait étudier la gravité de la maladie sous-jacente, la pertinence de l’acte proposé, la gravité et la fréquence de la complication, mais aussi les alternatives acceptables à l’acte proposé.
Lors d’un syndrome coronaire aigu, aucune perte de chance ne peut être sérieusement revendiquée. Même dans un bilan de douleurs atypiques, nous savons bien que malgré de nombreuses explorations non invasives disponibles, il n’est pas toujours possible de trancher sur l’existence d’une coronaropathie sous-jacente (test sous-maximal, sensibilité insuffisante, etc.). La coronarographie peut alors permettre en éliminant formellement la maladie, d’éviter au patient des années de traitement à l’aveugle et leur potentiel iatrogène. Cependant, cette doctrine d’une condamnation pour défaut d’information basée sur l’exigence d’une perte de chance avérée n’est plus la règle absolue.
Par une jurisprudence progressive, les juridictions civiles pendant l’année 2010 ont fini par retenir le principe d’un préjudice autonome lié au défaut d’information, qui ne dépend plus de la notion de la possibilité ou non de se soustraire à un acte proposé.
La cour de cassation (arrêt du 3 juin 2010) dans une affaire de prostatectomie pour cancer qui s’est compliquée de troubles de l’érection, a retenu une condamnation du chirurgien pour ne pas avoir averti de ce risque. S’agissant d’une atteinte à l’intégrité du corps humain, même si le patient ne disposait pas d’alternative, il devait en être informé et consentir librement. Le chirurgien a donc été condamné à indemniser le préjudice moral de son patient lié à ce défaut d’information.
Si la cardiologie interventionnelle a très longtemps échappé aux condamnations pour défaut d’information, elle pourrait désormais se faire sanctionner plus souvent, en l’absence de toute autre faute.
En conclusion
Cela fait bien longtemps que les cardiologues connaissent le principe d’obligation d’information des patients. Au-delà de l’obligation légale, une bonne information permet de préparer un peu les patients aux risques auxquels ils sont soumis et peut-être à mieux les accepter.
Jusqu’à maintenant, du fait de la gravité des maladies sous-jacentes et du caractère peu contournable des actes proposés, le défaut d’information occasionnait rarement une perte de chance de pouvoir se soustraire à l’acte proposé, et donc rarement à des condamnations.
La jurisprudence de 2010 a créé le principe d’un préjudice d’information autonome, qui pourra être réclamé même si le patient ne pouvait pas se soustraire à l’acte.
Il convient donc de revoir collectivement nos pratiques en matière d’information, du prescripteur au cardiologue interventionnel, et de veiller à une parfaite traçabilité et une conservation scrupuleuse des consentements signés.
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