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Mise au point

Publié le 25 mar 2024Lecture 8 min

Insuffisance tricuspide - Perspectives de prise en charge percutanée au-delà du TriClip™

Julien DREYFUS, Mohammed NEJJARI ,Centre Cardiologique du Nord, Saint-Denis

La valve tricuspide, qui a longtemps était considérée comme la « valve oubliée », fait actuellement l’objet d’un véritable regain d’intérêt suscité par le développement du traitement percutané.
Bien qu’il s’agisse d’une pathologie fréquente et grave et qu’un traitement curatif chirurgical est suggéré par les recommandations américaines et européennes pour les patients ayant une insuffisance tricuspide (IT) sévère symptomatique ou avec dilatation des cavités droites en l’absence de dysfonction ventriculaire gauche ou droite sévère et en l’absence d’hypertension artérielle pulmonaire sévère(1,2), ce traitement n’est que rarement proposé.

En effet, aucune étude n'a démontré de bénéfice potentiel de cette interventionn, et au contraire, la mortalité postopératoire après chirurgie valvulaire tricuspide isolée, estimée en moyenne à 8-10 %(3), est souvent jugée dissuasive. Nous avons récemment montré que cette mortalité postopératoire n’était pas liée à l'intervention elle-même, mais plutôt à la présentation préopératoire du patient(4) et avons développé un score spécifique, le TRI-Score (figure 1)(5), pour prédire ce risque à l'échelle individuelle, permettant ainsi de classer les patients en catégories à risque faible (0-3), intermédiaire (4-5) ou élevé (≥ 6) (calculateur en ligne : www.tri-score.com)(6). Figure 1. TRI-Score : score de risque spécifiquement développé pour prédire la mortalité hospitalière après chirurgie valvulaire tricuspide isolée(5,6). A : Facteurs de risque de mortalité hospitalière et nombre de points correspondants. B : Taux de mortalité hospitalière prédit en fonction du TRI-Score, et classification en 3 catégories de risque en fonction du TRIScore : risque faible (0-3), intermédiaire (4-5) ou élevé (≥ 6).   Le traitement percutané est actuellement en plein essor, offrant de nombreuses possibilités de réparation ou de remplacement de la valve tricuspide (figure 2)(7,8). Il s'agit actuellement de la modalité de traitement curatif la plus fréquemment réalisée dans certains pays. Figure 2. Possibilités de réparation ou de remplacement valvulaire tricuspide percutané(8). A : Outils de réparation valvulaire tricuspide percutanée approuvés pour utilisation en Europe ou en cours d’investigation : • bord-à-bord (TEER) : (A) TriClip (avec marquage CE) ; (B) PASCAL (avec marquage CE); (C) Dragonfly ; • annuloplastie : (D) Cardioband (avec marquage CE) ; (E) MIA-T ; (F) Cardiac Implants Tri-Ring ; (G) Dragon Ring ; (H) F-clip ; • autres : (I) Coramaze ; (J) PivotTR ; (K) Mitrelix ; (L) Croivalve Duo. B : Prothèses pour remplacement valvulaire tricuspide percutané : • orthotopique : (A) Evoque (avec marquage CE) ; (B) Cardiovalve ; (C) Gate ; (D) Intrepid ; (E) LuX valve ; (F) V-Dyne, (G) Trisol ; (H) Topaz. • hétérotopique : (I) Tric Valve ; (J) Trillium ; (K) Tricento.   TRILUMINATE : RÉPARATION BORD-À-BORD   Parmi les différentes techniques de réparation de la valve tricuspide, la réparation bord-à-bord des feuillets valvulaires est la plus couramment réalisée (figure 2). Il s'agit de la seule technique percutanée pour laquelle un essai randomisé comparant un bras interventionnel (Triclip) à un bras médical (175 patients dans chaque bras) avec un suivi à 1 an a été publié à ce jour (TRILUMINATE)(9), qui a montré un bon résultat procédural en termes de réduction du grade d’IT chez la majorité des patients, ainsi qu'une amélioration de la qualité de vie. Cependant, cette étude n'a pas montré d'amélioration du test de marche de 6 minutes ni de diminution du taux de mortalité ou d'hospitalisation pour insuffisance cardiaque. Une étude similaire a été réalisée en France (TRI-FR)(10), dont les résultats seront présentés à l'ESC cette année.   TRIGISTRY   Dans TRIGISTRY(6), registre multicentrique international (33 centres, 10 pays) incluant des patients ayant une IT fonctionnelle sévère isolée (2 413 patients dont 1 217 traités médicalement, 551 opérés d’une chirurgie valvulaire tricuspide isolée et 645 traités par réparation valvulaire tricuspide percutanée), nous avons montré que la survie à 2 ans était associée à deux paramètres majeurs. Premièrement, le stade évolutif de la maladie au moment de sa prise en charge, défini par le TRI-Score. Deuxièmement, le succès procédural défini non pas par le fait de diminuer la fuite d’un ou deux grades, mais par l’obtention d’une fuite résiduelle à la sortie d’hospitalisation la plus modérée en considérant une classification en quatre grades comme pour l’insuffisance mitrale (minime, modérée, moyenne, sévère). Ainsi, seuls les patients ayant un TRI-Score bas ou intermédiaire (entre 0 et 5) et pour lesquels la fuite tricuspide résiduelle à la sortie d’hospitalisation est la plus modérée semble avoir une amélioration de leur survie à 2 ans comparativement au traitement médical seul (figure 3). Figure 3. TRIGISTRY : comparaison des taux de survie à 2 ans entre les différentes modalités thérapeutiques en fonction de la catégorie TRI-Score chez des patients ayant une insuffisance tricuspide fonctionnelle sévère isolée(6).   MINIMISER LA FUITE RÉSIDUELLE   Il est donc essentiel de minimiser autant que possible la fuite résiduelle. Cela nécessite : • une sélection rigoureuse des patients ; • une très bonne compréhension de l’anatomie complexe de la valve tricuspide et notamment de ses feuillets, la forme à 3 feuillets « classique » n’étant présente que chez environ la moitié des individus, avec très souvent de nombreux feuillets surnuméraires ; • une préparation optimale des patients avec cure de diurétiques intraveineuse, parfois prolongée et en hospitalisation à domicile, pour permettre d’attraper le plus de tissu valvulaire possible dans les bras des clips et ainsi d’obtenir une meilleure réduction de la fuite ; • une excellente imagerie en échocardiographie transœsophagienne dans les incidences œsophagiennes, transgastriques et si possible en 3D, éventuellement aidée par l’échographie intracardiaque ou l’imagerie de fusion. Enfin, il ne faut pas hésiter à « zipper » la valve en mettant le nombre de clips nécessaires pour cet objectif (figure 4)(11), idéalement de façon équilibrée sur l’ensemble de la valve, c’est-à-dire à la fois au niveau antéroseptal et au niveau postéroseptal, sans crainte du gradient transvalvulaire, qui n’est pas un problème pour la valve tricuspide qui est la valve cardiaque avec l’anneau le plus large, surtout chez les patients ayant des IT fonctionnelles par dilatation annulaire. À noter que le TriClip™ (Abbott Cardiovascular) a reçu le marquage CE et a été récemment approuvé par la FDA. Figure 4. Illustration du résultat procédural immédiat après une intervention de réparation valvulaire tricuspide percutanée bord-à-bord pour insuffisance tricuspide fonctionnelle torrentielle. Zipping de la valve tricuspide par implantation de 4 TriClips de la commissure antéroseptale à la commissure postéroseptale, évaluée par fluoroscopie (A) et échocardiographie transœsophagienne en bi- et tridimensionnel avec et sans couleur (B à E)(11). 1,2,3,4 : les 4 TriClips ; A : feuillet antérieur ; M : pacemaker sans sonde Micra ; P : feuillet postérieur ; S : feuillet septal.   ÉLIGIBILITÉ DES PATIENTS ET CHOIX DE LA PROTHÈSE   Malheureusement, si l’on garde en tête l’objectif de réduire au maximum la fuite tricuspide après traitement curatif, de nombreux patients ne sont pas éligibles pour un traitement percutané par réparation bord-à-bord. De plus, même chez les patients traités par réparation valvulaire tricuspide percutanée dans des centres experts, 35 % avaient une IT résiduelle moyenne ou sévère dans TRIGISTRY, donc un résultat insatisfaisant(6). L’implantation d’une prothèse valvulaire tricuspide percutanée orthotopique semble être la meilleure option pour ces patients. De nombreuses prothèses sont actuellement en développement ou en évaluation (figure 2). La prothèse EVOQUE (Edwards Lifesciences), implantée par voie veineuse transfémorale, est la seule à avoir reçu le marquage CE et l'approbation de la FDA à ce jour. Une étude randomisée bras interventionnel versus bras médical est en cours dont les résultats avec suivi à 1 an seront présentés en octobre prochain au TCT. Deux prothèses percutanées sont actuellement disponibles en France mais uniquement dans le cadre de protocoles. Il s’agit des prothèses Topaz® (TRICares)(12) et LuX (Jenscare). La première est implantée par voie fémorale et la deuxième par voie jugulaire, avec un mode d’ancrage spécifique, au niveau du septum interventriculaire. À noter que l’imagerie de fusion est une aide majeure pour le guidage et la bonne réalisation des procédures d’implantation de prothèses tricuspides percutanées (figure 5). Figure 5. Illustration de l’utilisation de l’imagerie de fusion au cours d’une procédure d’implantation de prothèse valvulaire tricuspide percutanée LuX. Le déploiement de la prothèse est guidé par échocardiographie transœsophagienne (A) et fluroscopie avec imagerie de fusion permettant de voir les rapports anatomiques (B).   LES AVANTAGES   L’implantation d’une prothèse tricuspide percutanée présente plusieurs avantages. Il s’agit d’une intervention rapide (une dizaine de minutes), reproductible, qui permet de traiter l’ensemble des mécanismes d’IT (organique, valve avec multiples festons, large gap, jets multiples, tenting important des feuillets, sondes de pacemaker, etc.), en abolissant la fuite et ne fermant pas la porte à des procédures redux futures de type valve-in-valve. À noter, qu’elle est également moins exigeante en termes de qualité d’imagerie et notamment concernant la visualisation des feuillets valvulaires.   LES COMPLICATIONS   À l’inverse, ce type de procédure est associée à plus de complications vasculaires et la nécessité d’un pacemaker comparativement à une réparation valvulaire, à un risque de migration voire de décès périprocédural (surtout pendant la courbe d’apprentissage et pour les premières générations de prothèses en cours d’évaluation), et enfin nous n’avons pas suffisamment de recul pour évaluer l’impact de ces prothèses volumineuses sur les structures cardiaques, le risque de thrombogénicité et leur durabilité. Si l’on fait l’analogie avec la chirurgie, environ 60 % des gestes chirurgicaux de chirurgie valvulaire tricuspide isolée sont des remplacements valvulaires(4,6). L’examen clé pour la sélection des patients en vue d’une réparation valvulaire percutanée est l’échocardiographie transœsophagienne, alors que pour le remplacement, c’est le scanner cardiaque. À noter qu’à ce jour, aucun dispositif de réparation ou de remplacement valvulaire tricuspide percutané n’est remboursé en France et que théoriquement, ces interventions sont uniquement réalisées dans le cadre d’études.   CONCLUSION   Le développement des traitements percutanés de l’IT et leur remboursement dans les années à venir vont permettre la généralisation de la prise en charge curative de cette pathologie fréquente et grave chez les sujets âgés. La prévalence de l’IT étant proche de celle de la sténose aortique, il faut s’attendre à voir arriver par vagues ces « nouveaux » patients comme cela a été le cas avec le TAVI. Par analogie à la chirurgie, il y aura probablement des indications pour chacun des deux types de stratégies percutanées, réparation et remplacement. Il est essentiel d'identifier et de traiter les patients relativement tôt dans l'évolution de la maladie, comme attesté par le TRI-Score, avant l’atteinte irréversible du ventricule droit, du foie et des reins, et de s’acharner à obtenir un excellent résultat procédural défini par la plus petite fuite résiduelle possible pour améliorer le pronostic des patients.

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