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Polémique

Publié le 31 mai 2013Lecture 10 min

La nouvelle valve…par la jambe docteur ?

K. ZANNIS, Institut Mutualiste Montsouris, Paris

Les patients que l’on peut voir en consultation ou à l’hôpital à l’issue d’un bilan qui a abouti au diagnostic de sténose aortique serrée symptomatique nous posent souvent cette question, et ce d’autant plus qu’en 2013 l’accès Internet ne concerne plus que les « jeunes » patients. La technique de remplacement valvulaire aortique est parfois le sujet d’un débat médicochirurgical pointu qui s’est accéléré depuis que l’implantation percutanée a quitté les registres pour devenir une technique accessible à un nombre croissant de centres experts dans la prise en charge des valvulopathies. Alors, avec les grandes études américaines et françaises (PARTNER A et B, FRANCE 2), de quelles données dispose-t-on aujourd’hui pour éclairer le débat et aider nos patients à mieux comprendre les choix de nos équipes cardio chirurgicales ?

Le remplacement percutané La sténose aortique est assurément la première valvulopathie dans les pays développés et sa prévalence augmente avec l’âge. Le remplacement valvulaire aortique chirurgical, gold standard, avec une mortalité de 3 à 8 % selon les comorbidités des patients, a récemment été remis en cause à la suite des travaux de l’équipe rouennaise et de la publication des résultats de l’étude PARTNER Aet B (Placement of Aortic TraNscatheterValve). Ainsi, le remplacement percutané (transaorticvalve implantation, TAVI) a gagné en intérêt au cours des dernières années et, en pratique courante, lorsqu’un patient est à risque intermédiaire ou élevé, toute discussion médico chirurgicale concerne le choix de cette technique versus la chirurgie, avec, enligne de mire, une réduction de la morbi-mortalité de l’intervention valvulaire. Cependant, l’implantation percutanée a un risque qui lui est propre.   Le nombre de procédures chirurgicales est relativement stable depuis plusieurs années en Europe, alors que le nombre de TAVI progresse avec, pour la première fois depuis 2011, un « décrochage » (figure 1) traduisant ce que l’on peut voir en staff, avec une extension des indications percutanées aux dépens de la chirurgie. Cette attitude résiste t-elle à une lecture critique des données de la littérature ?   Figure 1. Remplacement valvulaire aortique. Représentation graphique des patients traités par chirurgie et TAVI. Le nombre des procédures chirurgicales, relativement stable depuis plusieurs années, a diminué pour la première fois entre 2010 et 2011. Depuis 2007, deux valves TAVI différentes sont commercialisées : la valve Sapien® fabriquée par Edwards Lifesciences, et la Core-Valve® de Medtronic. Des milliers de valves de ces deux types ont à ce jour été implantées. Néanmoins, nombre de conclusions concernant le TAVI en général ont été tirées à la suite de la publication de l’étude PARTNER conduite sous les auspices de la FDA. Or, cette étude avait comme vocation de se pencher sur l’efficacité et la sécurité de la seule valve Sapien®. L’étude PARTNER L’essai PARTNER est une étude randomisée prospective parrainée par Edwards Lifesciences, le fabricant de la valve Sapien®. Les patients ont été inclus dans 25 centres, dont 21 aux États-Unis, 3 au Canada et 1 en Allemagne. Pour participer à cette étude, les candidats devaient être à haut risque et présenter une sténose aortique symptomatique sévère pour laquelle un remplacement chirurgical de la valve aortique était envisagé. Après screening, ces patients ont été répartis en deux groupes (figure 2) : • la cohorte A regroupait les patients à haut risque. Ces derniers présentaient un risque de mortalité opératoire estimé à au moins 10 % selon le score STS, ou à au moins 15 % en raison d’autres problèmes graves n’étant pas repris dans ce score ; • la cohorte B comprenait des patients ayant été considérés comme inopérables par au moins deux chirurgiens, que ce soit pour des raisons anatomiques (malformation de la paroi thoracique, antécédents d’interventions thoraciques répétées, « aorte porcelaine », séquelles d’une radiothérapie) ou en raison de problèmes médicaux connexes graves.   Figure 2. Design de l’étude PARTNER. Une deuxième répartition a ensuite été effectuée selon la possibilité ou pas d’obtenir un accès à la valve aortique via l’artère fémorale.   Les patients de la cohorte A ont été randomisés soit en « procédure TAVI transfémorale », soit en « procédure TAVI transapicale » versus la chirurgie classique. Dans l’analyse de l’événement cible primaire de l’étude (mortalité totale), les deux variantes de TAVI ont été comparées avec la chirurgie.   Les patients de la cohorte B qui présentaient une accessibilité par voie transfémorale ont été randomisés en « procédure TAVI transfémorale » versus un « traitement standard ». Dans ce dernier groupe, outre le traitement médicamenteux, la plupart des patients avaient également « bénéficié » d’une valvuloplastie aortique par ballon, une technique qui consiste uniquement à dilater mécaniquement la valve aortique sténosée.   Le sponsor de l’étude a décidé de ne pas enrôler les patients de la cohorte B sans accès transfémoral dans l’étude, et ce, en dépit du fait qu’initialement, cette demande avait été formulée par la FDA !   Dans la cohorte A, il n’y avait aucune différence statistiquement significative entre les deux groupes traités pour ce qui concerne le risque de décès, que ce soit après 30 jours ou après 1 an. Un nombre significativement plus important de complications vasculaires a été recensé après le TAVI, mais il y a eu davantage d’hémorragies après la chirurgie. Le taux d’accidents vasculaires cérébraux était significativement supérieur après TAVI, aussi bien à 30 jours qu’après 1 an. Quant au taux de réhospitalisations, il était le même dans les deux groupes. Après 30 jours, la classe fonctionnelle était meilleure pour les patients du groupe TAVI, mais il n’y avait plus de différence après 6 mois ou 1 an.   Dans la cohorte B, le même nombre des patients a été orienté vers une procédure TAVI transfémorale et vers ce que l’étude appelle « traitement standard ». Les caractéristiques des patients lors de leur inclusion dans l’étude présentaient d’assez fortes différences entre les deux groupes, et ce, bien que l’orientation des patients vers un traitement ait été effectuée de manière aléatoire. De ce fait, les patients du groupe TAVI semblaient dans l’ensemble moins malades que les patients témoins dans le groupe traitement standard.    Selon le protocole de l’étude, un patient était considéré comme inopérable lorsque deux chirurgien savaient statué qu’il ne pouvait être opéré. Le protocole faisait alors la distinction entredeux groupes de patients inopérables: ceux pour raisons anatomiques et ceux pour raisons médicales. Le groupe TAVI de la cohorte B comptait relativement plus de patients considérés comme inopérables en raison de malformations anatomiques. Dans l’étude originale telle que publiée dans le New England Journalof Medicine, le traitement par TAVI a montré une réduction de la mortalité absolue à 1 an de 20 % (30,7 % vs 50,7 % ; p < 0,001) par rapport au traitement standard.   Les résultats du traitement par TAVI étaient plus favorables chez les patients inopérables pour des raisons anatomiques (réduction de la mortalité de 27,9 %) que chez ceux inopérables pour des raisons médicales (réduction de la mortalité de 17 %). Dans les résultats des analyses initialement publiées, un plus grand nombre de complications vasculaires dans le groupe TAVI que dans le groupe traitement standard ont été dénombrées. Comme dans la cohorte A, nettement plus d’AVC ont été recensés dans le groupe TAVI, aussi bien à30 jours qu’après 1 an. Les hospitalisations liées à la sténose aortique se sont révélées moins souvent nécessaires pour les patients TAVI (22,3 % après 1 an) par rapport au groupe traitement standard (44,1 %). Après1 an, 74,8 % des patients ayant survécu après un TAVI ne présentaient pas ou peu de symptômes cardiaques contre 42 % des patients du groupe traitement standard.   Une analyse critique de la méthodologie utilisée dans l’étude PARTNER indique un risque de biais très élevé, surtout dans la cohorte B. La répartition aléatoire des patients s’est-elle déroulée correctement ? La répartition inégale des caractéristiques de base entre les groupes étudiés, à l’avantage du groupe TAVI, permet de s’interroger. Du reste, la procédure de randomisation n’est pas décrite de manière précise dans le protocole de l’étude. Par ailleurs, l’auteur principal de l’étude avait d’importants intérêts financiers en jeu liés à la démonstration de l’efficacité de la procédure TAVI. De quoi se poser des questions…   Le traitement standard comprenait, chez 84 % des patients de la cohorte B, une valvuloplastie aortique par ballon. Il s’agit d’une modalité thérapeutique qui, selon les lignes directrices, est parfois justifiée, mais représente tout sauf la norme dans la prise en charge de la sténose aortique chez les sujets âgés. Par ailleurs, il s’agit aussi d’une technique invasive allant de pair avec des risques intrinsèques graves et dont la valeur ajoutée par rapport à un traitement strictement médical n’a jamais été établie. Chez les sujets âgés présentant une sténose de la valve aortique et une comorbidité sévère, toute intervention au niveau de la valve aortique pourrait être considérée comme un traitement palliatif. La décision de procéder à cette intervention est déterminée par la question de savoir si l’on peut s’attendre à une amélioration de la qualité de vie du patient en question, compte tenu de ses problèmes complémentaires de nature non cardiaque. Un résultat qui a été insuffisamment établi dans l’étude PARTNER. Validité externe et étude FRANCE 2 La mortalité à 30 jours après un TAVI transfémoral de l’étude PARTNER est la plus basse ayant jamais été rapportée dans une étude portant sur la procédure TAVI (3,7 % dans la cohorte A, 6,4 % dans la cohorte B et 4,8 % en moyenne dans les deux cohortes). Un résultat étonnant si l’on tient compte du fait que 19 des 21 centres américains participants n’avaient aucune expérience préalable de cette procédure et qu’ils ont utilisé des modèles plus anciens de la valve Sapien®.   Dans le registre FRANCE 2 (2010-2011), des équipes chevronnées ont rapporté une mortalité à 30 jours après un TAVI transfémoralde 7,8 %, presque le double comparé à la moyenne des deux cohortes de l’étude PARTNER. Les patients qui sont inopérables pour raisons anatomiques ont une plus grande espérance de vie que ceux inopérables pour raisons médicales parce qu’ils ne souffrent pas nécessairement d’autres pathologies médicales qui hypothèquent leur espérance de vie. Par rapport au traitement standard, l’impact de la procédure TAVI chez le sous-groupe de patients anatomiquement inopérables était manifestement plus favorable que celui observé dans l’autre sous-groupe. C’est principalement sur cette donnée que l’étude belge de coût/bénéfice a statué sur le remboursement du TAVI, limitant les procédures aux seuls patients ayant une contre-indication anatomique… Est-ce que je risque d’être réopéré docteur ? » C’est là que le bât blesse : à l’heure actuelle, il n’y a pas de données suffisantes pour répondre. Cela tient autant à la valve, qui n’est pas suturée, qu’à la technique, qui nécessite un crimping, c’est-à-dire que la valve doit être comprimée sur le cathéter d’introduction. Des études anatomopathologiques sur valves explantées précocement ont montré des altérations du tissu péricardique similaires à celles observées sur des valves chirurgicales anciennes retirées depuis en raison d’une dégénérescence précoce. Par ailleurs, on détecte jusqu’à 60 % de fuites paravalvulaires en post-TAVI, avec une quantification échographique qui reste difficile en échocardiographie transthoracique standard. Or, dans les 7 % de fuites paravalvulaires supérieures à un grade II/IV dans l’étude PARTNER, on constate une mortalité à 2 ans multipliée par un facteur 2 ! La question de la durabilité de la valve – et donc les conséquences pour le patient– n’est donc pas franchement résolue. Dans cette période de « restriction » des dépenses hospitalières (cf. déficit de l’Assistance publique récemment publié), la question cruciale est financière. Quel rapport coût/bénéfice retenir pour cette technique qui n’est « que » non inférieure à la chirurgie et qui coûte deux fois plus cher (encadré et figure 3) ? Le registre FRANCE 2 montre un glissement des indications vers les malades à risque intermédiaire (diminution de l’EUROSCORE moyen), sans se traduire par une réduction de la mortalité, comme si la technique comportait une morbi-mortalité spécifique.     Figure 3. Le rapport coût/efficacité de la procédure TAVI. ICER : rapport coût/efficacité incrémentiel ; QALY : qualité de vie (Neyt M et al. L’implantation percutanée de valves aortiques (TAVI): évaluation actualisée de la technologie, Centre fédéral d’expertise des soins de santé, KCE reports 163B, Belgique, 2011). Conclusion Le discours à tenir au patient est donc à la fois complexe et simple, et c’est sans conteste par une maîtrise des indications des lignes directrices que le TAVI peut être préconisé par rapport à la chirurgie cardiaque. Gageons que le dynamisme des industriels contribuera à l’amélioration des valves proposées actuellement (augmentation du diamètre des valves, miniaturisation des cathéters, techniques de protection embolique) et que l’entraînement des équipes permettra de réactualiser cette discussion et de clarifier le discours envers les patients avec un recul plus important sur cette technique. D’ici là, la chirurgie a de beaux jours devant elle…

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