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Vasculaire

Publié le 31 mai 2012Lecture 9 min

L’angioplastie rénale : un geste à oublier ?

T. CARRERES, Hôpital d’Argenteuil ; Clinique Alleray-Labrouste, Paris ; Hôpital Européen Georges Pompidou, Paris.

Après la période d’engouement pour l’angioplastie des sténoses athéromateuses des artères rénales (SAR) du début des années 1990, l’échec des études cliniques contrôlées est venu tempérer notre enthousiasme. Le doute s’est définitivement installé dans la communauté médicale après la publication de l’étude ASTRAL(1), qui a montré des résultats négatifs et un taux de complications rédhibitoire (20 % de morbidité et 3 % de mortalité). Ces résultats sont loin du vécu des angioplasticiens habitués à ce geste… Nombreux sont les patients dilatés à en avoir tiré grand bénéfice et des taux de complications de type ASTRAL nous auraient depuis longtemps fait changer de métier… Comment expliquer cette situation paradoxale ?

La première question à se poser concerne la capacité de ces études à guider notre pratique quotidienne, en sachant qu’il n’y a à ce jour que 5 essais randomisés publiés sur l’angioplastie des SAR, tous négatifs. Les trois premières études, EMMA(2), SNRASCG(3) et DRASTIC(4) avaient pour objectif primaire l’amélioration tensionnelle, et utilisaient l’angioplastie au ballon sur des petits effectifs (210 malades au total pour les trois études). Les deux autres (STAR(5) et ASTRAL(1)), plus récentes, avaient pour objectif primaire l’amélioration de la fonction rénale et utilisaient le stent sur un total de 946 patients, largement dominé par les 806 patients d’ASTRAL. Une métaanalyse récente(6) de ces 5 essais a réuni 1 030 patients après 12 mois de suivi. Elle s’est avérée négative, tant sur la tension artérielle que pour la fonction rénale, largement impactée par ASTRAL. Les auteurs de cette métaanalyse ont conclu prudemment que la qualité des études poolées limite la portée des résultats, rejoignant la cohorte de critiques virulentes qu’avait soulevé la publication d’ASTRAL(7). Elles montrent néanmoins deux choses importantes : la difficulté à sélectionner les patients qui vont tirer bénéfice de l’angioplastie, d’une part, et la grande fragilité des patients insuffisants rénaux, d’autre part, expliquant probablement la morbidité dans l’essai ASTRAL.   L’échec est stimulant car il oblige à reprendre le problème à sa base. La constatation d’une SAR lors d’un examen d’imagerie est banale chez un sujet d’âge mûr, et la prévalence de l’HTA est élevée dans cette population de patients. Le lien causal entre les deux est difficile à établir et ne saurait exister que si la sténose est suffisamment serrée (« hémodynamique ») pour induire une baisse de la perfusion du rein d’aval et la production de rénine par l’appareil juxtaglomérulaire. Partant de ce postulat, Bernard de Bruyne(8) a publié en mai 2006 une étude très élégante portant sur 15 patients adressés pour stenting rénal. Il a réalisé après le stenting, une occlusion progressive de la lumière artérielle par un ballon d’angioplastie gonflé dans le stent, en mesurant à intervalles de 10 minutes le gradient de pression transsténotique par un guide de pression et la sécrétion simultanée de rénine dans les deux veines rénales. Il a montré qu’il faut un rapport de pression inférieur à 0,9 entre les pressions distale et aortique (Pd/Pa) pour induire une production de rénine, qui apparaît non seulement dans la veine rénale du côté « sténosé » mais aussi dans la veine rénale controlatérale. Il a remarqué par ailleurs qu’avant le stenting, seuls 4 des 15 patients (dont les sténoses mesurées en angiographie étaient comprises entre 50 % et 74 %) avaient effectivement un rapport de pression inférieur à 0,9… La même équipe a publié en 2010(9) les résultats d’une étude portant sur 53 patients consécutifs, adressés pour stenting d’une SAR, et chez qui ont été mesurées par guide de pression les pressions transsténotiques au repos et après hyperhémie induite soit par injection intra-artérielle rénale de 30 mg de papavérine, soit par 50 mg/kg de dopamine. Les MAPA réalisées avant et 3 mois après le geste montrent que le facteur le plus prédictif d’une baisse tensionnelle ≥ 20 mmHg en analyse multivariée est l’existence d’un gradient de pression moyenne postdopamine ≥ 20 mmHg. Le degré de sténose angiographique n’était qu’un médiocre prédicteur résultat clinique.   Figure 1. Patient de 78 ans, hypertendu, diabétique, polyartériel. Insuffisance rénale majorée par le traitement bloqueur du SRAA. Sténose serrée bilatérale des artères rénales à l’écho-Doppler. Incidence de face. Une seule artère rénale à droite et deux à gauche, porteuses de sténoses serrées paraostiales. Figure 2. Lit d’aval rénal correct. Aorte sous-rénale très ulcérée. Risque d’emboles de cholestérol. Figure 3. Au temps parenchymographique, discrète asymétrie de taille des reins aux dépends du rein droit et défect de son pôle inférieur (occlusion d’une polaire inférieure ?). Ainsi, une des explications possibles des résultats décevants de l’angioplastie rénale dans les études cliniques serait notre incapacité à juger en angiographie du caractère hémodynamique d’une sténose… Alors que faire face à cette situation apparemment confuse ? Sélectionner soigneusement les patients avant de leur proposer une angioplastie Devant le climat de défiance actuel vis-à-vis de la technique, il faut répondre par la rigueur. La décision d’angioplastie ne pourra résulter que d’un faisceau d’arguments incluant la clinique, une mesure fiable de la tension artérielle (MAPA +++) et de la fonction rénale (clairance de la créatinine, protéinurie des 24 h) et enfin un écho-Doppler des artères rénal effectué par un expert de la technique qui mesure la taille des reins, l’index corticomédullaire, la hauteur (un rein < 8 cm de haut et avec un index < 1 signe un rein atrophique), et l’index de résistance (un rein avec un index < 0, 8, est de bon pronostic pour le résultat d’une éventuelle AEP). Un angioscanner pourra éventuellement être réalisé si un doute persiste après l’écho-Doppler. Il s’avère plus fiable que l’IRM qui surévalue le degré de sténose. S’appuyer sur les indications « raisonnables » des sujets symptomatiques Les recommandations 2010 de l’ESC étant à mon avis assez floues(10), les indications raisonnables concernent les patients « symptomatiques » : - HTA résistante à une trithérapie comprenant un IEC et un diurétique thiazidique ; - dégradation de la fonction rénale sous IEC, ou avec atteinte bilatérale, ou sur rein unique ; - rein en aval de la sténose, diminué de taille sans explication urologique ; - œdème aigu du poumon (OAP) « flash » sur une sténose bilatérale ou un rein unique avec fonction VG conservée. Une discussion collégiale avec les cliniciens impliqués et avec le patient s’impose dans tous les cas. Surveiller rigoureusement les patients sélectionnés L’artériographie diagnostique ne sera bien entendu réalisée que si l’indication d’angioplastie a été retenue, chez un patient correctement hydraté, sous aspirine et qui aura pris son traitement antihypertenseur le jour du geste.   Elle doit être effectuée de façon rigoureuse, d’abord en incidence de face, en grand champ pour voir les deux reins, par injection globale à l’injecteur par une sonde pig-tail (15 à 30 cm3/sec), dont le positionnement correct en regard des ostia rénaux (L1/L2) aura été vérifié par une injection test, à la main, de quelques cm3 de produit de contraste. On utilisera une imagerie de soustraction (DSA) avec un programme adapté à l’organe, chez un patient en apnée au moment de l’injection, en prolongeant suffisamment l’acquisition pour obtenir une parenchymographie rénale de qualité. On effectuera le plus souvent une deuxième incidence en OAG 30° en petit champ pour bien dégager les ostia rénaux.   Figure 4. OAG 30° dégageant bien les ostia. Incidence retenue pour le stenting droit. Figure 5. Cathétérisme sélectif de l’ARD par une sonde Shepherd 5 F avant franchissement par un guide 0,014’’. L’extrémité distale du désilet long a été positionnée au-dessus de la zone d’ulcération de l’aorte. Figure 6. Stenting par un stent nu 5,0/12 mm via un désilet long 5 F. Figure 7. Contrôle de la bonne expansion de la prothèse par une injection dans le désilet. Ces détails peuvent sembler triviaux mais la qualité des examens présentés dans certains congrès laisse à penser que ces règles ne sont pas toujours connues… Le cathétérisme sélectif diagnostique est rarement nécessaire, la plupart des SAR étant ostiales ou para-ostiales. Le franchissement de la sténose par une sonde 4 F pour mesurer le gradient de pression surestimera l’importance de la sténose et fera courir le risque d’une bascule de plaque. Le recours au guide de pression dans ce but est certainement plus approprié. Son usage est laissé à l’appréciation de l’opérateur en l’absence de consensus sur le sujet. Un examen rigoureux permettra ainsi avec un minimum de produit de contraste et sans « gratter » dans l’aorte d’apprécier l’anatomie rénale, le nombre d’artères par rein, le degré de sténose en comparant le diamètre de la sténose et le diamètre de l’artère en aval d’une éventuelle dilatation poststénotique, la qualité du lit d’aval et du rein menacé et l’état de l’aorte sous-rénale. Même si l’appréciation du caractère hémodynamique d’une sténose rénale en angiographie est difficile, on peut retenir benoîtement qu’un degré de sténose supérieur à 70 % a beaucoup plus de chance de traduire une sténose hémodynamique qu’une sténose à 50 %... Donc, dilatons des sténoses « serrées » > 70 % et n’entrons pas dans la zone d’ombre du 50-70 %. Le geste sera adapté à la situation L’angioplastie sera réalisée adhoc, en utilisant soit une sonde porteuse, soit un désilet de 40 cm/5 F, celui-ci permettant d’utiliser toute une gamme de sondes diagnostiques (Shepherd, MIG, Cobra, etc.) en fonction de l’anatomie pour cathétériser en douceur l’artère par un guide 0,014’’, tout en restant à distance de l’ostium avec le désilet.   On met en place un stent nu, car les stents actifs n’ont pas encore prouvé de résultats supérieurs dans cette localisation. Les systèmes de protection distale n’ont pas prouvé leur utilité à l’étage rénal. Les aortes très athéromateuses doivent conduire à une grande prudence, en raison des complications souvent dramatiques des emboles de cholestérol.   En cas de sténose bilatérale, il ne faut pas méconnaître le risque de survenue d’un syndrome de levée d’obstacle si l’on dilate dans le même temps les deux côtés, l’hypovolémie résultante pouvant être fatale à ces patients volontiers polyartériels (risque d’IDM notamment).   Le clinicien qui gère le patient après le geste doit être informé pour mettre en place une surveillance de la diurèse et une éventuelle compensation. Ce qu’il ne faut certainement pas faire… Une artériographie rénale de « dépistage » chez un patient hypertendu adressé pour un examen angiographique autre, notamment une rénale sélective avec la sonde JR4 en fin de coronarographie. Une angioplastie rénale à des patients non hypertendus ou dont l’HTA est bien contrôlée par le traitement médical, à des patients insuffisants rénaux avec une sténose unilatérale et sans autre critère d’imputabilité, à des patients avec des sténoses et un rein d’aval atrophique (< 80 mm de hauteur) ou dont la protéinurie des 24 h est > 1 g/l. Une angioplastie rénale sans disposer dans le laboratoire de toute la panoplie et de la bonne maîtrise des outils permettant de gérer une éventuelle complication : stents couverts, cathéter de thromboaspiration, microcathé microcathéter, coils, gelitaspon… Figure 8. Contrôle de la perméabilité des branches après stenting. Figure 9. Parenchymographie respectée. Les lésions du côté gauche seront traitées dans un deuxième temps (insuffisance rénale, risque de syndrome de levée d’obstacle). Conclusion Sachons opposer notre rigueur au doute ambiant, et continuer à rendre service à des patients dûment sélectionnés.  Chez ces patients fragiles, comme chez nos coronariens, le bon vieux réflexe oculosténotique a vécu…

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