Polémique
Publié le 31 mai 2010Lecture 7 min
Le rapport HAS sur les stents actifs : obsolète ?
B. CHEVALIER, Institut Hospitalier Jacques Cartier, Massy
« Ceux qui n’ont pas l’esprit libre ont des pensées toujours confuses » (A. Tchekhov)
C’est une des questions principales que soulève la lecture de cette somme de 241 pages sur l’endoprothèse active, publiée en juillet 2009, et qui est encore en 2010 le socle de la prise en charge de ces dispositifs par l’Assurance-maladie, comme si cela était gravé dans le marbre pour l’éternité. Le travail réalisé est considérable : sur 677 références de la littérature entre 2002 et septembre 2008, seules 168 d’entre elles ont été retenues. Treize experts (6 cardiologues interventionnels, 2 chirurgiens cardiaques, 2 anesthésistes, 2 méthodologistes, 1 économiste de la santé) ont été consultés et 23 relecteurs sollicités.
La première section décrit la méthodologie retenue pour le travail. Le critère choisi pour l’évaluation de l’efficacité est, très logiquement, la revascularisation secondaire de la lésion cible ou « TLR » pour les Anglo-Saxons.
Vient ensuite la description de la situation du remboursement en France telle que définie en 2009. On y retrouve cette phrase étonnante : « Les indications actuelles reposent sur les critères d’inclusion des premiers essais publiés ». Justement, c’est l’option inverse qui avait été choisie par les premières commissions qui ont examiné les dossiers du Cypher® et du Taxus® : retenir les indications à haut risque de resténose et non pas appliquer bêtement les critères d’inclusion des premiers essais. La mémoire de la Haute Autorité de Santé (HAS) semble bien courte.
La section suivante est une remarquable analyse globale du rapport efficacité/sécurité des endoprothèses actives. Ceci aurait dû être le coeur de ce travail qui était motivé par le souci de répondre à la polémique suscitée par les stents actifs dans les années 2006-2007. Il y est conclu à l’efficacité du stent actif par rapport au stent nu en termes de TLR et à l’absence de surrisque significatif induit par le phénomène de la thrombose tardive. Il est rappelé que la notion d’indications « on label » et « off label » n’a pas de sens puisque variant d’un pays à l’autre.
On aurait donc pu s’attendre très logiquement à une ouverture globale des indications des endoprothèses actives qui était la vraie bonne question à se poser en 2009 avec les données récentes sur les nouvelles endoprothèses et les résultats de l’étude internationale randomisée SYNTAX. Le choix fait en 2002 par les commissions était logique mais 7 ans plus tard, la masse de données cliniques et l’existence de stents actifs plus performants auraient dû remettre en cause cette approche. C’est malheureusement là que tout se gâte avec cette phrase écrite ex nihilo : « Il apparaît donc cliniquement justifié de restreindre les indications des stents actifs en précisant quels sous-groupes de patients sont éligibles au stent actif ».
C’est sans succès que l’on cherche la justification clinique de cette approche dans le rapport. Ne serait-elle pas plutôt financière ? S’il fallait lire entre les lignes, on dirait volontiers que les experts qui ont fait l’analyse globale ont été « forcés » à pratiquer une analyse par indication pour des considérations non purement médicales. C’est la grande difficulté de cet exercice qui conduit à des compromis ; on a par- fois le sentiment d’être pris en otage pour arriver à une conclusion déjà préétablie qui aurait pu être ici : il faut diminuer la pénétration du stent actif en France.
En effet, toute la section des évaluations par indication est hautement discutable. D’abord, toutes les analyses de sous-groupe ont été éliminées et excluent donc les grands essais cliniques : RAVEL, SIRIUS, ESIRIUS, C-SIRIUS, TAXUS I à IV, ENDEAVOR I à IV, SPIRIT I à IV… N’ont été retenues que les études consacrées aux indications spécifiques (petits vaisseaux, lésions longues, etc.) qui sont souvent réalisées sur des petits effectifs, avec peu de moyens, qui manquent de puissance et dont la méthodologie est incertaine en termes de monitoring et de gestion des données et, enfin, dont les événements cliniques n’ont souvent pas été évalués par un comité indépendant.
Ceci conduit à de curieuses interrogations, notamment sur la situation du diabétique dont le risque accru de resténose est longuement remis en cause.
Quel cardiologue expérimenté, interventionnel ou non, n’a pas été confronté au problème de la resténose itérative chez le diabétique avant l’arrivée du stent actif ? Outre la littérature, il s’agit là d’une évidence clinique qui s’est imposée à nous au fil de la pratique. Elle reste d’ailleurs valide, avec une moins grande ampleur, au temps du stent actif comme le montrent les résultats de SYNTAX, disponibles au moment du rapport. L’efficacité du stent actif chez le diabétique est notée dans les grands registres à méthodologie soignée :
- SCAAR : 50 % de réduction du TVR sur 9 710 patients ;
- Ontario : 50 % de réduction du TVR sur 2 374 patients ;
- MASS : réduction significative du critère TVR + décès + IDM sur 5 051 patients ;
- les résultats de MASS sont confirmés par les métaanalyses de Stetller et de Patti. Cette dernière a regroupé 9 essais réalisés chez 1 141 patients diabétiques ayant eu soit un stent actif, soit un stent nu : l’odds ratio pour le TVR était très bas : 0,17-0,22 en faveur du stent actif.
Le cas le plus dramatique est le déremboursement de l’indication « IVA proximale » sous le prétexte qu’il n’y a pas eu d’étude évaluant stent actif versus stent nu. Et pour cause : le bon comparateur est le pontage mammaire. Trois études randomisées versus pontage ont évalué le stent nu et concluent à la supériorité du pontage mammaire(1-3). La seule étude randomisée étudiant la revascularisation par mammaire interne versus l’angioplastie avec stent actif(4) a conclu à la non-infériorité du stent actif. Bien entendu, on ne retrouve pas ces références dans le rapport ! Même comparé au stent nu, le stent actif dans l’IVA fait mieux (TAXUS IV : 7,9 % vs 18,6 % de TVR ; SIRIUS : 2 % vs 41 % de resténose). Il s’agit là d’une analyse bien spécieuse de la littérature où n’ont été retenues que les publications allant dans le sens de la conclusion que l’on souhaitait obtenir.
L’analyse comparative entre stents actifs est également bien curieuse : pas de différence entre Taxus®, Endeavor® et Xience® versus Cypher® certes mais pas de différence également entre Xience® et Taxus® selon le rapport alors même qu’il note que le TLR est significativement plus bas avec le Xience® : une étonnante contradiction, d’autant moins compréhensible que toutes les métaanalyses récentes relèvent le surrisque de réintervention et de thrombose tardive associé à l’usage du Taxus®.
La bonne nouvelle est la suppression de la limitation à un stent actif par artère, mais on attend encore qu’elle soit mise en oeuvre dans les avis de remboursement !
L’analyse médico-économique est du même acabit : il y est dit que le stent actif est peu efficient alors que le nombre de patients à traiter pour éviter un TLR (NNT) est évalué à 7 ou 8. Pour mémoire, le NNT des statines pour éviter un événement cardiovasculaire varie de 15 à 44… Le coût par QUALY est calculé de 3 372 à 2 560 000 euros : quelle marge ! Enfin, la pénétration optimale du stent actif en France est évaluée entre 3 et 40 % mais le volume cible est calculé à 69 000 patients soit 58,5 % des patients traités en France. Quelle conclusion pratique peut-on tirer d’une utilisation optimale allant de 3 à 58 % ?
Cet énorme travail aurait pu être l’occasion du choix d’un changement de stratégie de prise en charge : élargir l’usage des stents actifs pour diminuer la resténose (puisque 7 à 8 stents actifs évitent une revascularisation secondaire) en faisant baisser les prix français pour rester à une pression constante sur l’Assurance maladie.
Conclusion
En ne remettant pas en cause la stratégie antérieure, en éliminant de la littérature ce qui dérangeait, en sous-évaluant le rôle des nouveaux stents actifs, en déremboursant l’IVA proximale, ce rapport s’est condamné à être obsolète avant même d’être publié. Il n’a fait qu’accroître la confusion sur la prise en charge des stents actifs en France.
Il est urgent que le GACI émette ses propres avis sur la place des stents actifs dans notre pratique en méditant cette citation de Tchekhov : « Ceux qui n’ont pas l’esprit libre ont des pensées toujours confuses ».
Comparaison de l’efficacité des stents actifs par la mesure de la perte tardive.
Sténose serrée courte de l’IVA proximale de gros calibre. Stent actif ou stent nu ?
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