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Vasculaire

Publié le 30 nov 2014Lecture 9 min

Prise en charge des thromboses veineuses aiguës iliofémorales : changement de paradigme ? Le traitement pharmacomécanique one-shot

J.-M. PERNÈS, M. AUGUSTE, F. BARBOTIN, Pôle CardioVasculaire Interventionnel, Hôpital privé d’Antony

L’étude randomisée ATTRACT, dont les résultats sont attendus en 2016, et qui évalue chez 600 patients l’association « thrombolyse facilitée » et traitement habituel versus traitement traditionnel seul dans les TVP aiguës iliofémorales pourrait, en cas de positivité, conduire à un changement profond des paradigmes de prise en charge des TVP aiguës iliofémorales.

Quand les anticoagulants ne suffisent pas… Mme T. est une patiente de 64 ans, sans antécédents anciens notables, hospitalisée pour une thrombophlébite du membre inférieur gauche évoluant depuis 2 semaines, sans amélioration, malgré un traitement médical bien conduit. Elle a présenté le mois précédent un épisode de purpura thrombopénique, considéré comme idiopathique, traité par corticoïdes. Cliniquement, il existe un œdème étendu de la cheville à la racine de la cuisse, avec retentissement fonctionnel important (figure 1). Deux examens écho-Doppler réalisés à 10 jours d’intervalle objectivent l’existence d’une thrombose veineuse profonde (TVP) intéressant les veines poplitée, fémorale (anciennement dénommée fémorale superficielle), profonde et commune, s’étendant dans les veines iliaques externe et primitive, respectant la veine cave inférieure, associée à une compression nette de la veine iliaque primitive gauche par l’artère iliaque commune droite, évoquée sur un scanner avec injection réalisé pour éliminer une éventuelle néoplasie profonde (non retrouvée). Figure 1. OEdème du membre inférieur gauche. Devant la sévérité du contexte clinique, une tentative de traitement pharmacomécanique par voie percutanée est décidée. Le principe thérapeutique de cette stratégie repose sur la reperméabilisation endovasculaire de la totalité des segments veineux occlus et la suppression de l’obstruction iliaque proximale obtenues en un temps court (de l’ordre de 2 h) et d’un seul tenant ; la technique associe un procédé mécanique de fragmentation et de macération du thrombus frais, facilité par une thrombolyse in situ « à minima », des manœuvres d’aspiration et la correction, par angioplastie – stenting de la lésion causale, secondaire à la compression artérielle de la veine iliaque primitive. Quelle technique de « nettoyage » ? Un introducteur de 80 cm, 11 F (Arrow®, Teleflex) est introduit par ponction sous contrôle échographique, dans la veine jugulaire droite, chez une patiente sous sédation mais consciente (inhalation par mélange équimolaire oxygène et de protoxyde d’azote), jusqu’au niveau de la convergence cave inférieure. La tentative privilégiée du franchissement rétrograde de l’occlusion fraîche iliaque gauche est couronnée de succès, grâce à un ensemble cathéter 125 cm 4 F (Multipurpose®, Cordis) et guide hydrophile 0,035 type Stiff (Terumo), descendu jusqu’au niveau sural. Le guide 0,035 est ensuite substitué par un guide 0,025 long (260 cm), également hydrophile. Des injections de faibles quantités de produit de contraste iodé confirment la thrombose extensive dans toutes les veines du membre inférieur (figure 2). Figure 2. Thrombus occlusif dans les veines poplitée, fémorale et iliaque. Un cathéter 7 F de thrombectomie mécanique type Arrow-Trerotola® PTD (percutaneous thrombolytic device) navigue jusque dans la veine poplitée thrombosée, puis est actionné – son principe de fonctionnement repose sur la rotation motorisée à 3 000 tours/min d’un panier en nitinol de 9 mm, situé à l’extrémité distale – et est lentement et progressivement retiré, de bas en haut, dans le sens du flux. Dans la voie latérale du dispositif, sont injectés manuellement et simultanément, des bolus d’un thrombolytique, (altéplase) dont une ampoule de 20 mg est mélangée à du produit de contraste iodé dans une seringue de 60 cm3, quantité en général suffisante pour l’ensemble du geste. De multiples passages de va-et-vient du cathéter de thrombectomie sont effectués sur un même segment, puis sur l’ensemble des diverses zones occluses, en remontant progressivement, entrecoupés de phases d’aspiration « passive » du matériel cruorique fragmenté, à l’aide du désilet 11 F, connecté par une tubulure large à une seringue à dépression 60 cm3 (VacLok®, Merit Medical Systems) (figure 3). Figure 3. Système Arrow-Trerotola®. La reperméation étant jugée satisfaisante sur les contrôles angiographiques (figure 4), l’inflation d’un ballon de 12 mm de diamètre et 60 mm de long est réalisée en regard de la veine iliaque primitive, avec visualisation d’une indentation caractéristique de l’existence d’un obstacle sous-jacent. Un stent de dernière génération dédié à la pathologie spécifique veineuse, de grande flexibilité et de haute force radiale (16 mm/6 cm), est ensuite positionné au même niveau, sans protrusion volontaire dans la VCI (Sinus-Venous, Optimed) (figure 5). Après inflation d’un ballon de 14 mm, la procédure est terminée, après le constat d’un lavage satisfaisant de l’ensemble des segments reperméabilisés, en particulier après chasse veineuse par contraction active du mollet. Figure 4. Aspect post-thrombectomie pharmaco-mécanique. Figure 5. Résultat postimplantation de stent Optimed 16 mm. La durée du geste a été de 1 heure 30. La patiente reçoit comme consigne de déambuler presque immédiatement et un système de compression pneumatique intermittente est laissé en place pour la nuit suivante. Le contrôle Doppler pratiqué 24 heures plus tard confirme l’excellent résultat anatomique et hémodynamique du traitement endovasculaire et l’amélioration clinique est spectaculaire et immédiate avec une régression nette et rapide de l’œdème et de l’impotence fonctionnelle (figure 6). Le traitement médical associe le maintien d’une HBPM biquotidienne à dose curative pendant 1 mois, associée à 75 mg d’aspirine, suivi d’un relais par AVK pendant 6 mois. La mise en place d’un filtre cave de type optionnel n’a pas été retenue en l’absence d’embolie pulmonaire associée ou d’extension cave inférieure. Figure 6. Disparition de l’œdème à J1.  Quand les anticoagulants ne suffisent plus… La problématique traditionnelle posée par les TVP aiguës en pratique clinique est axée sur la prévention des complications précoces telles que la survenue d’une embolie pulmonaire, un arrêt de la propagation du thrombus et une récidive de TVP. L’option thérapeutique principale, représentée par l’anticoagulation médicamenteuse, remplit de manière relativement efficace ces objectifs cliniques mais n’apparaît pas totalement efficiente pour dissoudre le thrombus, restaurer la perméabilité, préserver la fonction antireflux des valves et empêcher l’installation d’une insuffisance veineuse chronique liée à la survenue d’un syndrome post-thrombotique (SPT). La fréquence du SPT après une thrombose aiguë profonde proximale (iliofémorale) est estimée autour de 50 %, se manifestant par une claudication invalidante, un œdème permanent du membre, des signes cutanés de dermite et un risque d’ulcère chronique de 15 %. Après un traitement médical conventionnel, la reperméation à 6 mois des veines iliaques préalablement thrombosées est de 50 %, alors que le taux de récidives se hisse à 30 %, en partie lié au fait qu’une lésion « irritative » sous-jacente (par compression extrinsèque de l’artère iliaque commune droite ou syndrome de Cockett), méconnue, semble présente dans près de 60 % des cas. Il s’agit d’une complication sévère, d’installation progressive 6 à 12 mois après l’épisode aigu, susceptible d’impacter considérablement la qualité de vie dont la symptomatologie est souvent sous-estimée par le patient et le médecin, alors que des solutions de revascularisation endovasculaire efficaces et pérennes existent. Le concept de la veine ouverte est étroitement lié à une stratégie active visant à éliminer rapidement le thrombus occlusif, par lyse et extraction, regroupée sous le terme de thrombolyse pharmacomécanique, indiquée lorsque la thrombose proximale (iliofémorale, éventuellement associée à une thrombose distale) date de moins de 3 semaines. Il existe deux concepts de réalisation de ce geste interventionnel endovasculaire, qui doit être préféré à la thrombolyse in situ seule (mais toujours associée à elle) : - les méthodes de première génération associant outils de thrombectomie percutanée et thrombolyse in situ classique en infusion locale, réduisant la dose et la durée du traitement fibrinolytique de l’ordre de 50 %, essentiellement dans l’optique d’améliorer la sécurité ; - les méthodes plus récentes, dites « one shot » visant à une dispersion rapide d’un bolus thrombolytique intrathrombus, facilitant l’extraction complète de celui-ci en une unique procédure courte de 1 à 3 heures, évitant ainsi le recours à une infusion prolongée secondaire.   Trois types d’outils sont disponibles et introduits par voie percutanée jugulaire, voire poplitée : • Les systèmes motorisés rotationnels qui produisent une fragmentation du thrombus via une hélice (ou une cage) tournant à très haute vitesse (Amplatz thrombectomy, Microvena ; Arrow-Trerotola® percutaneous thrombolytic, Arrow ; Cragg-Castaneda thrombolytic brush, Microtherapeutics) ou bien qui entraînent la désintégration du thrombus par un fil de nitinol sinusoïdal tournant à grande vitesse (1 500 tours/min) entre deux ballons d’occlusion distants de 15 à 30 cm, zone où est injectée du rtPa ou de l’urokinase (Trellis™, EV3). • À côté des outils basés sur un principe rotationnel, des instruments dits « rhéolytiques » peuvent être également employés (AngioJet™, Possis Medical) : le thrombus est initialement « aspergé » avec un fibrinolytique, suivi de jets à très haute vitesse (400 km/h) de sérum salé créant par effet Venturi une dépression, permettant l’aspiration du matériel thrombotique fragmenté. • Enfin, un troisième type d’outil est disponible, dont le concept est basé sur la facilitation de l’efficacité du thrombolytique par des ultrasons (Ekos Endo- Wave, Ekos Corp. ; Omniwave™, OmniSonics) ; il se présente sous la forme d’un cathéter à trois lumières avec multiples transducteurs ultrasoniques émettant des ultrasons haute fréquence et basse énergie, détruisant les mèches de fibrine du thrombus. En France, ces systèmes ne sont pas tous disponibles (cas du Trellis™), leur coût unitaire est très variable (toujours élevé et non pris en charge), et certains nécessitent en sus du consommable, l’achat d’une console séparée (AngioJet™, Ekos). Pour ces raisons, la solution privilégiée pour notre patiente nous semble, dans le contexte national, la plus efficiente. En effet, le rapport coût-efficacité apparaît « favorable » – prix unitaire du cathéter Arrow-Trerotola® : 500 euros… quand même ! – avec dans la série grenobloise de plus de 60 patients (F. Thony, M. Rodiere), un succès technique autour de 90 %, obtenu en moins de 3 heures, l’absence de complications hémorragiques et une perméabilité primaire à 6 mois de 85 %. Ces auteurs insistent sur l’importance de la déambulation immédiate, lorsqu’elle est possible, ou si elle ne l’est pas, l’utilisation temporaire d’un système de compression pneumatique intermittente, et enfin, le caractère non systématique de la mise en place d’un filtre d’interruption cave (20 % dans leur série). Le traitement dans le même temps par angioplastie/stenting d’une lésion anatomique associée est recommandé (cette situation est fréquente), en particulier en présence d’une TVP iliofémorale gauche dans le cadre d’un syndrome de Cockett. La proportion de patients qui bénéficie de cet appoint dans les séries publiées, lors des gestes de thrombolyse, seules ou facilitées, varie de 33 à 67 %. Actuellement, la tendance est à la pose de stents en nitinol, à bonne force radiaire et faible force d’ouverture chronique, supposés être mieux adaptés à la pathologie veineuse. Trois systèmes dédiés avec marquage CE existent (Sinus Venous, Optimed ; Zilver Vena™, Cook ; Veniti Vici™, Veniti Inc), et sont proposés en France à des tarifs supérieurs à ceux de la LPPR et sont donc non remboursés au prix de vente. En pratique, les stents traditionnels en nitinol sont utilisés avec de bons résultats, alors que certaines équipes restent fidèles au Wallstent™ (Boston scientific (stent autoexpansif en Elgiloy, alliage majoritaire de cobalt chrome) dont le principal désagrément est le caractère imprévisible de son raccourcissement lors de l’implantation. En 2011, l’American Heart Association (AHA) a réactualisé la prise en charge et le traitement des thromboses veineuses aiguës iliofémorales et proposé des recommandations intégrant la thrombectomie pharmacomécanique. Celles-ci sont synthétisées dans l’encadré ci-dessous. CDT : catheter directed thrombolysis. PCDT : pharmaco mechanical catheter directed thrombolysis. Ce qu’il faut retenir En présence d’une TVP aiguë iliofémorale symptomatique datant de moins de 3 semaines, mal tolérée ou ne répondant pas au traitement classique, une thrombectomie pharmacomécanique doit être réalisée, permettant en un temps court et avec un excellent rapport bénéfices/risques, la reperméabilisation veineuse et une amélioration clinique spectaculaire. Ce mode de traitement est par ailleurs de plus en plus souvent proposé aux patients jeunes à bas risque hémorragique, dont la thrombose proximale bien que correctement tolérée avec une bonne réponse aux anticoagulants, les expose néanmoins à l’installation secondaire d’un syndrome postphlébitique invalidant. Cette information doit leur être fournie et ce choix soumis. L’étude randomisée en cours (ATTRACT) comparant l’association « thrombolyse facilitée » et traitement habituel versus traitement traditionnel seul dans les TVP aiguës iliofémorales et dont la puissance statistique (600 patients) a été élaborée pour authentifier une réduction d’un tiers des SPT (résultats attendus en 2016), pourrait, en cas de positivité, conduire à un changement profond des paradigmes de prise en charge des TVP aiguës iliofémorales.     

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