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La lettre du GACI

Publié le 20 juin 2019Lecture 7 min

Quel avenir pour la cardiologie interventionnelle : vers une « sur » ou une « sous » spécialité ? Un plaidoyer pour des États Généraux

Le point du vue du Pr Eric VAN BELLE, Directeur du DIU de cardiologie interventionnelle

Notre spécialité n’a jamais couvert un champ de prise en charge aussi large qu’aujourd’hui, que ce soit dans le domaine de la maladie coronaire avec des limites techniques repoussées plus loin chaque jour, ou dans le domaine des cardiopathies valvulaires avec la success story du TAVI, mais également dans la prise en charge des cardiopathies structurelles non valvulaires et, pour quelques-uns d’entre nous, dans la prise en charge interventionnelle des maladies vasculaires.

En théorie, nous pouvons étendre rapidement notre champ d’action à la prise en charge de l’ensemble des valvulopathies et à celle des accidents ischémiques cérébraux. Mais allons-nous pouvoir continuer de nous étendre sans réfléchir à ce que nous voulons devenir individuellement, mais également collectivement. Ne sommes-nous pas ce colosse aux pieds d’argile que la chirurgie cardiaque était devenue il y a 30 ans ? Ne sommes-nous pas les nouveaux dinosaures, à leur apogée attendant la météorite qui va les faire disparaître faute de s’adapter ? Notre histoire : une success story Le succès de notre spécialité est basé sur trois grands fondamentaux, la maîtrise du parcours de soin, l’inventivité individuelle et la plasticité organisationnelle. Maîtrise du parcours de soin, dans la prise en charge du patient coronarien : nous intervenons dès les premières étapes du diagnostic jusqu’aux phases ultimes du traitement. Inventivité individuelle : ce sont bien des individus issus de notre communauté qui ont inventé l’angioplastie, le stent ou le TAVI. Ce sont d’autres individualités qui ont décidé d’implanter des stents à la phase aiguë de l’infarctus du myocarde alors que c’était jusqu’alors une contreindication absolue. Ce sont d’autres encore qui ont décidé contre toute logique d’essayer de déboucher des artères coronaires occluses depuis plusieurs années. Plasticité organisationnelle : notre spécialité s’est approprié toutes ces innovations à la vitesse de l’éclair et a adapté ses organisations en conséquence. Le meilleur exemple à ce jour a été la mise en place de structures permettant à chaque patient de notre territoire présentant un infarctus du myocarde d’avoir un accès rapide à l’angioplastie primaire 24H/24H et 7 jours sur 7. Figure 1. Deuxième « cours » de cardiologie interventionnelle d’Andréas Gruentzig à Zurich en 1979. Notre présent • Une spécialité en cours de balkanisation Nous sommes tellement conscients de nos forces (d’autres diraient tellement imbus de nous-mêmes) que nous nous payons le luxe de guerres entre les différents royaumes d’opérette que nous avons créés. Nous ne sommes plus des cardiologues mais des interventionnels alors que d’autres sont des échographistes ou des rythmologues. Bientôt il y aura les « CTOistes » et les « TAVistes » et, déjà aujourd’hui, celui qui n’est ni l’un ni l’autre est un cardiologue interventionnel de 2e division. Nous avons les moyens de nous offrir des conflits (plus ou moins ouverts) entre ceux d’entre-nous qui travaillent dans le secteur libéral et ceux qui travaillent dans le secteur public, entre ceux qui travaillent dans les CHU et ceux qui travaillent dans les CHG, et entre ceux qui ont la chirurgie cardiaque et ceux qui ne l’ont pas. Quel luxe ! • Une démographie difficile Nous sommes tellement focalisés sur ces aspects « internes », que nous n’avons pas réalisé que beaucoup de choses se passent qui nous concernent directement. Nous sommes une spécialité vieillissante et un tiers d’entre nous va cesser son activité dans les 10 prochaines années. Maintenir notre offre de soin nécessite de former environ 40 cardiologues interventionnels par an. Dans le cadre de l’option cardiologie interventionnelle de l’adulte du nouveau DES, le numerus clausus a justement été fixé à 40. Tout est donc parfait dans le meilleur des mondes. Mais n’y a-t-il pas un paradoxe à réintroduire un numerus clausus à ce stade de la formation alors que ce système est décrié depuis des années car totalement inadapté aux évolutions rapides des besoins médicaux et qu’il est, à juste titre, en cours de suppression en 1re année des études médicales. Avec un numerus clausus, quel que soit le chiffre, comment allons-nous pouvoir répondre rapidement à l’évolution des techniques et aux besoins de nos patients. Comment réintroduire la souplesse nécessaire à l’évolution des besoins et des pratiques professionnelles ? Le DIU de cardiologie interventionnelle pourra jouer ce rôle de soupape de sécurité dont nous avons plus que jamais besoin. Notre futur proche • L’imagerie « Uber alles » Les parcours de soin de nos patients sont également en train de changer. Le scanner est en passe de devenir incontournable dans la prise en charge du patient coronarien. Il est déjà proposé comme examen de 1re intention dans le dépistage de la maladie coronaire et comme nouveau gatekeeper de la coronarographie par les recommandations européennes (ESC) et celles du Royaume-Uni (NICE). Des publications récentes montrent que le scanner coronaire couplé à l’intelligence artificielle permet de fournir une évaluation de la physiologie coronaire avec un niveau de précision très acceptable et très proche de celui obtenu par la physiologie coronaire invasive (FFR, iFR). Dans ce contexte, qu’est-ce qui empêchera, dans un futur très proche, un médecin généraliste d’adresser un patient à un radiologue pour la réalisation d’un scanner coronaire avec estimation de la FFR (FFRCT) et, en fonction des résultats, de l’adresser au chirurgien cardiaque sans recourir à aucun moment à un cardiologue ? Impossible me direz-vous ! C’est pourtant déjà le type de parcours qui est proposé aux patients souffrant d’artériopathie périphérique : un médecin généraliste (ou un angiologue) adresse le patient à un radiologue pour une évaluation par imagerie (échographie, IRM, etc.) puis en fonction des résultats directement au chirurgien. De toute façon, lire un scanner ce n’est pas pour nous, il nous suffira de lire le compte rendu ! Lire un scanner, c’est pourtant ce que nous faisons déjà pour nos patients TAVI. Nous planifions l’ensemble de la procédure dans ses plus petits détails grâce à la lecture minutieuse, coupe par coupe, du scanner de notre patient. L’émergence du scanner comme incontournable du bilan non invasif, veut aussi dire que la coronarographie de « grand papa » vit ses dernières heures chez le patient stable car sa valeur ajoutée par rapport à la combinaison « CT et FFR-CT » est très limitée. Notre seule option pour aider la coronarographie à survivre est d’y intégrer une évaluation « anatomo-physiologique » très détaillée. Ce type d’évaluation est déjà disponible aujourd’hui dans le cadre d’une procédure de coronarographie couplée à la réalisation d’une l’iFR avec pullback et dénommé co-registration. Les données de la physiologie invasive y sont synchronisées en temps réel à celles de l’angiographie pour fournir une cartographie physiologique de l’arbre coronaire. Cette technique permet également de prédire ce que sera le résultat physiologique (valeur finale d’iFR) de l’implantation d’un stent d’une longueur donnée à un endroit précis de l’arbre coronaire. Avec cet outil « d’angioplastie virtuelle », il est donc possible de choisir en amont la longueur du stent et la localisation de son implantation afin de garantir que l’angioplastie soit associée au meilleur résultat physiologique et clinique possible. Une problématique du même type va exister dans les prises en charge percutanées « émergentes » des valves mitrale et tricuspide. De nouveau l’imagerie va jouer un rôle clé dans le diagnostic, la planification (définition du site de ponction transseptale le plus adapté dans le cadre du TMVR), et le guidage de la procédure (Clip mitral, TMVR, etc.). Dans l’ensemble du spectre de nos compétences, de la coronaire aux valves, l’imagerie est là et nous devons nous l’approprier pour une meilleure prise en charge de nos patients. Nous devrons donc rapidement être capable d’analyser un scanner coronaire comme nous analysons aujourd’hui une angiographie avant d’indiquer et de réaliser une angioplastie. Nous devrons rapidement être capable de comprendre les différentes subtilités de l’ETO et des reconstructions 3D du scanner pour indiquer et réaliser une procédure valvulaire percutanée. Figure 2. Analyse scanographique d’un TAVI. Un avenir radieux si… Notre avenir sera radieux si nous agissons comme une communauté unie, si nous acceptons de faire face aux enjeux et de redéfinir collectivement notre avenir. Nous devrons nous poser la question de nos interactions avec nos autres collègues cardiologues, de la possibilité de fonctionnements en réseaux (régionaux et de compétences), et de notre politique de formation. Notre communauté a la chance de disposer des organisations nécessaires pour nous accompagner dans cette tâche immense, en particulier le GACI et les deux piliers de la formation de nos jeunes que sont le nouveau DES option interventionnel, et notre « historique » DIU de cardiologie interventionnelle. C’est dans ce contexte que le DIU vient de créer une 3e année optionnelle dont l’objectif est de former des professionnels dédiés à la prise en charge diagnostique et thérapeutique des patients souffrant de valvulopathie et disposant d’une vision la plus complète possible et la plus intégrée possible de cette prise en charge, incluant l’imagerie. Le GACI vient quant à lui de réaliser une enquête démographique qui nous dit exactement combien et qui nous sommes. Prochaine étape : organiser et tenir les États Généraux de la cardiologie interventionnelle sous l’égide du GACI !

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