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Publié le 30 sep 2014Lecture 11 min
Recommandations de l’ESC sur la revascularisation coronaire - De l’Evidence Based Medicine à la pratique
R. CADOR, Hôpital Saint-Joseph, Paris
La revascularisation myocardique fête cette année ses 50 ans !
Cinquante ans pour la première chirurgie coronaire, 37 ans pour la première angioplastie. Depuis, ces deux techniques n’ont cessé de progresser et de s’évaluer, que ce soit par rapport au traitement médical ou entre elles. Peu de techniques en médecine ou en chirurgie ne peuvent prétendre à autant d’études randomisées.
Pour extraire de cette multitude de données, parfois divergentes, et adapter nos pratiques le plus possible à une certaine forme d’Evidence Based Medicine, les recommandations sont une aide importante, à condition de ne pas s’y noyer.
La dernière version des recommandations sur la revascularisation coronaire mises en ligne en même temps que le congrès de l’ESC il y a 1 mois n’échappe pas à ce risque. Pour cet anniversaire, le cadeau est gargantuesque : 72 pages et près de 1 000 références à comparer aux 43 pages et 270 références des recommandations publiées il y a 4 ans.
L’extraction de messages est d’autant plus difficile. Seule une lecture croisée des recommandations de 2010 et de 2014 permet de faire ressortir quelques tendances.
Score et stratification du risque
Le principe est simple. La revascularisation myocardique présente un intérêt à la condition que le bénéfice attendu tant en termes de critères durs de morbi-mortalité ou de critères fonctionnels (symptômes, qualité de vie) dépasse les conséquences négatives.
Pour évaluer la probabilité de survenue des événements associée à chacune des options et guider au mieux nos décisions, les recommandations insistent sur le recours à des scores de risque.
En 2010, seuls l’EuroScore et le STS Score étaient mis en avant pour évaluer la morbi-mortalité en chirurgie cardiaque (IB) et le Syntax Score pour stratifier la complexité anatomique des lésions coronaires en angioplastie (IIa).
En 2014, l’évaluation s’affine avec deux grandes catégories de scores de risque : celles évaluant la morbi-mortalité à court terme et celles l’évaluant à moyen terme (1 an).
Complications hospitalières et à 30 jours
Seule la chirurgie dispose de scores de risque fiables.
La préférence est clairement donnée au STS Score (http:// riskcalc.sts.org).
Même si la cohorte ayant permis de le mettre au point remonte à 2006, son importance (774 881 patients opérés de pontages éventuellement associés à une chirurgie valvulaire) justifie sa classe de recommandation I. Il évalue la morbi-mortalité précoce (hospitalière et à 30 jours).
L’EuroScore est abandonné et remplacé par l’EuroScore II (www.euroscore.org/calc.html). Il est issu d’une cohorte plus récente de patients exclusivement pontés et évalue les pratiques chirurgicales modernes.
Morbi-mortalité à moyen et long termes (≥ 1 an)
Le score Syntax développé pour graduer la complexité anat-mique des lésions coronaires s’avère un marqueur indépendant de la morbi-mortalité cardiovasculaire pour l’angioplastie, mais logiquement, avec une évaluation très moyenne pour la chirurgie.
Pour affiner le risque, notamment chirurgical, les scores Clinical Syntax et Syntax II associent les critères anatomiques de Syntax à des critères cliniques (âge, sexe, fraction d’éjection, BPCO, créatinine, artérite). Ils restent cependant nettement moins bien validés sur d’autres séries de patients expliquant un niveau de recommandation plus faible (IIa).
Les scores ASCERT-PCI et ASCERT-CABG issus de gigantesques registres nord-américains sont également cités avec un niveau IIa. Cependant comme pour les deux précédents, les recommandations se gardent bien de nous expliquer comment les calculer au quotidien ce qui rend clairement leur utilisation délicate dans la pratique à la différence du STS, de l’EuroScore II et du Syntax.
Processus décisionnel et information du patient
Lors de la présentation en 2010 des précédentes recommandations, le processus d’information du patient et la création d’une Heart Team multidisciplinaire avaient été à l’origine d’une vraie polémique.
Le postulat de la création de la Heart Team repose sur le double constat provocateur : on revascularise trop (18-40 %) et le mode de revascularisation est souvent inapproprié par manque de discussion.
Les recommandations sont reconduites à l’identique 4 ans plus tard.
La Heart Team est conçue comme l’organe décisionnel des choix de revascularisation coronaire, visant ainsi à se substituer à une décision solitaire du cardiologue interventionnel.
Ses missions sont multiples :
• réunir au sein d’un même staff des intervenants multiples : cardiologues cliniciens, cardiologues interventionnels, chirurgiens cardiaques, anesthésistes, gériatres, etc. ;
• poser l’indication et choisir le mode de revascularisation chez les patients multitronculaires ou à risque. Son intervention ne se limite pas à la maladie coronaire stable mais concerne également les SCA (après traitement de la lésion coupable ou après stabilisation par le traitement médical) ;
• rédiger les indications où les angioplasties peuvent être réalisées ad hoc.
L’information claire et objective du patient est également rappelée. Son consentement doit être obtenu par écrit, y compris en cas de SCA ST-.
L’élément nouveau concerne les délais de revascularisation chez les patients stables :
• moins de 2 semaines chez les patients à haut risque : angor classe III CCS, sténose du tronc commun ou de l’IVA proximale, lésions tritronculaires, dysfonction ventriculaire gauche ;
• moins de 6 semaines pour les autres patients.
Maladie coronaire stable : angor stable et ischémie silencieuse
Indications de la revascularisation
(tableau 1)
Les indications de revascularisation n’évoluent pas et se fondent toujours sur une double approche :
• amélioration du pronostic sur des critères anatomiques ;
• réduction des signes fonctionnels.
Le dernier point autorise donc la revascularisation de toute sténose en cas d’angor (ou symptômes équivalent hors dyspnée) persistants sous traitement médical et rend obsolète le principe d’une recherche d’ischémie sous traitement par des tests spécifiques.
On peut noter l’heureuse disparition de la non-indication de revascularisation (classe III) en cas de patient monotronculaire (hors IVA proximale) avec moins de 10 % de territoire ischémique atteint telle qu’elle existait en 2010. Ce vide rédactionnel laisse la liberté au cardiologue de se contenter d’une simple épreuve d’effort.
Enfin, les recommandations se positionnent clairement en faveur d’une revascularisation optimale : stents actifs de dernière génération et chirurgie tout artériel.
Modes de revascularisation
(tableau 2)
Par rapport aux recommandations de 2010, on observe un glissement insidueux en faveur de l’angioplastie dans les recommandations 2014.
La chirurgie conserve cependant des recommandations de niveau I, à l’exception du patient mono ou bitronculaire sans IVA proximale (IIb).
La chirurgie est cependant dégradée sur son niveau de preuve (de A à B) dans ses indications originales : mono ou bitronculaire avec IVA proximale, sténose du tronc commun avec un score Syntax < 32.
La distinction concernant l’atteinte du tronc commun en fonction de la localisation de la sténose est abandonnée au profit d’une évaluation plus globale intégrée au score Syntax.
L’angioplastie passe d’une classe IIa à I à égalité avec la chirurgie qui perd ainsi son statut de revascularisation de référence :
- en cas d’atteinte mono ou bi-tronculaire sans IVA proximale ;
- en cas de lésion du tronc commun avec un score Syntax < 22 ;
- en cas de lésions tritronculaires avec un score Syntax < 22.
L’angioplastie passe de IIb à IIa et s’affiche désormais comme une alternative crédible à la chirurgie en cas de lésion d tronc commun avec un score Syntax compris entre 23 et 32. Le pontage reste cependant la revascularisation de référence dans cette indication.
L’angioplastie reste en classe III et donc non indiquée :
- en cas de lésion du tronc commun avec un score Syntax > 32 ;
- en cas de lésions tritroncu-laires avec un score Syntax > 32.
Patients diabétiques
Comme en 2010, les recommandations de 2014 insistent sur la nécessité de revasculariser les patients diabétiques ayant une preuve d’ischémie ou une atteinte multitronculaire, sans autre précision notamment sur l’étendue de l’ischémie (pas de seuil de 10 %) ou des lésions. Les indications sont donc chez ces patients plus larges que chez le patient tout venant.
Depuis 2010, les résultats de l’étude FREEDOM ont été publiés démontrant chez les patients tri-tronculaires diabétiques sans sténose du tronc commun, la supériorité de la revascularisation chirurgicale sur l’angioplastie sur des critères durs de mortalité et d’infarctus.
La préférence donnée à la chirurgie par rapport à l’angioplastie chez le multitronculaire diabétique à bas risque chirurgical passe de fait d’une recommandation de classe IIa en 2010 à une classe I en 2014.
Cependant, les limites méthodologiques de FREEDOM, les résultats des études SYN-TAX chez les diabétiques et de CARDIA chez les jeunes adultes expliquent que cette recommandation soit immédiatement atténuée par une seconde recommandation de classe IIa faisant de l’angioplastie une solution devant être envisagée chez le patient avec un score Syntax < 22. Tous les patients diabétiques multitronculaires ne sont donc pas promis à une sternotomie…
Traitement antiagrégant plaquettaire
(tableau 3)
Contrairement à 2010, un long chapitre est consacré au traitement antiagrégant plaquettaire encadrant la revascularisation dans la maladie coronaire stable.
Alors que les recommandations de 2010 insistaient sur un prétraitement d’au moins 6 heures avant une angioplastie élective, celles de 2014 réduisent le délai minimal à 2 heures mais font une nette distinction entre les angioplasties programmées et celles réalisées ad hoc sans connaissance préalable du statut coronaire.
Le prétraitement doit être réalisé systématiquement lorsque l’anatomie est connue (classe I), idéalement 6 heures avant.
Ce prétraitement peut être envisagé (classe IIB) en cas de probabilité élevée de lésion coronaire, validant ainsi une pratique largement répandue avant les coronographies diagnostiques.
Il est cependant rappelé que les métaanalyses n’ont pas permis de démontrer un bénéfice sur les complications ischémiques de la précharge en clopidogrel dans la maladie coronaire stable avec même une tendance défavorable sur les saignements.
Sans surprise, la durée optimale de bithérapie est ramenée à 6 mois en cas de stent actif avec une classe I, durée pouvant être encore raccourcie chez les patients à haut risque hémorragique (classe IIb).
Sans surprise… mais ce sont les premières recommandations à abandonner la sacro-sainte année de bithérapie. Rien que pour cela, elles constituent un vrai événement.
Chez les patients à haut risque ischémique, la durée de la bithérapie peut cependant être prolongée en cas de risque hémorragique faible laissant une vraie liberté au cardiologue interventionnel dans ses consignes postangioplastie.
SCA sans sus-décalage ST
Peu d’évolutions sont observées dans ce chapitre par rapport aux recommandations de 2010 ou par rapport à celles plus spécifiques du SCA ST- de 2011.
Stratégie invasive versus conservatrice
Une longue revue de la littérature des principales métaanalyses est reprise à cette occasion. Cette dernière relève une tendance nette à une diminution des événements (mortalité, infarctus, critères combinés) en cas de stratégie invasive mais insiste surtout sur son bénéfice chez les patients à très haut risque, d’où l’importance de la stratification évoquée au prochain chapitre.
En 2010, la stratégie invasive était indiquée (classe I) :
- chez les patients à risque (évalué par un score Grace > 140 ou à risque vital immédiat) ;
- aux récidives ischémiques ;
- en cas de test d’ischémie positif.
En 2014, la stratégie invasive doit être proposée en routine… mais de façon non systématique !
Ainsi chez les patients n’ayant aucun critère de risque, il est nécessaire de documenter l’ischémie de façon non invasive (classe I), mais la stratégie invasive n’est plus considérée comme classe III.
Un jeune patient ayant un tabagisme majeur et une lourde hérédité décrivant un angor typique avec une douleur de repos doit-il faire une épreuve d’effort si son ECG est normal et son cycle de troponine négatif ?
Cette petite évolution sémantique n’est donc pas si anecdotique : c’est mieux de ne pas faire ce qui est recommandé plutôt que de faire ce qui décommandé !
Stratification du risque
Les critères plus précis de stratification du risque des recommandations concernant le SCA de 2011 sont repris. À noter la même importance accordée à une évaluation systématique du score Grace pour tous les patients hospitalisés pour un SCA (tableau 4).
GFR = glomerular filtration rate ; GRACE = Global Registry of Acute Coronary Events ;ATL = angioplastie transluminale.
Délai de l’intervention
(tableau 5)
Le premier message très clair est qu’il n’y a pas de grand bénéfice à attendre une stabilisation du traitement médical.
La coronarographie chez les patients à très haut risque dans les 2 heures atteint une classe I de recommandation (vs IIa).
La coronarographie doit être réalisée dans les 24 heures en cas de score de risque Grace > 140, de variations dynamiques du ST ou de l’onde T même silencieuse ou de pic de troponine important. Pour les autres patients, le délai doit être inférieur à 72 heures.
Le rôle de la Heart Team est rappelé à nouveau dans cette situation clinique pour le choix du mode de revasculariation.
Le bénéfice des stents actifs de nouvelle génération les préconisent dans toutes les angioplasties des SCA (classe I), ce qui en France n’est pas sans poser un vrai dilemme sur les restrictions de remboursement de ces prothèses.
Traitement antiagrégant plaquettaire
(tableau 6)
Les recommandations concernant le traitement antiagrégant plaquettaire dans le SCA ST- reprennent assez fidèlement celles de 2011.
L’élément nouveau concerne les résultats de l’étude ACCOAST largement présentés à l’ESC : la prescription de prasugrel avant la réalisation de la coronarographie se voit désormais contre-indiquée (classe III). Sa prescription au décours de la coronarographie conserve cependant sa classe de recommandation (I).
En revanche, le ticagrélor dans les situations à risque modéré ou élevé et le clopidogrel chez les patients à bas risque, gardent leur place, y compris en prétraitement (classe I).
Patients sous AVK
La question de l’angioplastie chez les patients sous AVK (ou AOD) n’est pas éludée. Ses conditions de réalisation sont même très précisément abordées. Ce chapitre constitue un des points d’intérêt majeur de ces recommandations.
La stratégie est basée sur la triple évaluation du risque ischémique (CHAD2DS2-VASc), du risque hémorragique (score HAS-BLED) et des conditions cliniques de réalisation de l’angioplastie (tableau 7).
Le maintien de l’anticoagulation reste la règle en plus de la bithérapie antiagrégante plaquettaire (classe I). Une porte est laissée entrouverte pour l’association anticoagulant/clopidogrel sans aspirine mais sa classe IIb la positionne comme une alternative de seconde intention.
La bithérapie antiagrégante plaquettaire est citée comme alternative à la trithérapie mais uniquement en cas de score CHAD2DS2-VASc ≤ 1 ce qui n’est déjà presque plus une indication d’anticoagulation…
Une des surprises concerne le choix du stent. Loin d’être contre-indiquées en raison de la contrainte de la trithérapie, les endoprothèses actives de nouvelle génération doivent être privilégiées en cas de risque hémorragique faible (classe IIa).
La durée recommandée de la trithérapie est de 1 mois en cas de revascularisation d’une maladie coronaire stable et portée à 6 mois en cas de SCA. En cas de risque hémorragique élevé (score HAS-BLED > 2), la durée sera dans tous les cas ramenée à 1 mois. Au décours, la trithérapie sera remplacée par une association anticoagulant soit avec de l’aspirine (75-100 mg), soit avec du clopidogrel (75 mg) pendant 1 an (classe IIa).
Le type d’endoprothèse n’intervient en rien dans la durée de la trithérapie.
Le prasugrel et le ticagrélor ne sont pas recommandés.
Un remplacement des AOD par les AVK n’est pas évoqué. La posologie minimale disponible doit cependant être privilégiée ainsi qu’un objectif d’INR entre 2 et 2,5.
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