Polémique
Publié le 31 déc 2007Lecture 8 min
Sommes-nous « COURAGEUX » ?
P. COMMEAU, P.-O. ROQUEBERT, P. BARRAGAN, Polyclinique les Fleurs, Ollioules
Dans un climat de morosité engendré par les incertitudes concernant le stent actif à la suite des publications et des communications lors de l’ESC 2006, la parution de l’étude COURAGE(1) est apparue comme une nouvelle « agression » à l’encontre de l’angioplastie. Indiscutablement, la publication de ces résultats, conjuguée à l’efficacité des stents actifs sur le taux de resténose clinique, a entraîné une baisse de plus de 10 % de l’activité des centres cardiologiques.
Les résultats de l’étude COURAGE, comme d’ailleurs ceux des études concernant le stenting actif, ont été essentiellement appréciés, non pas à partir de la publication elle-même, mais le plus souvent au travers de journaux généralistes de diffusion gratuite, ainsi que sur les différents sites de cardiologie « digest ».
Ex abrupto, les gros titres ont livré leur verdict :
« L’angioplastie coronaire n’apporte aucun bénéfice au traitement médical optimal chez le patient en angor stable ».
Ce type de publications est à la cardiologie ce que « Closer » et « Gala » sont à la microsphère « people ». Les stars de la cardiologie mondiale y vont tous de leur « bon » mot et de leur avis mûrement réfléchi (variant d’ailleurs au gré du vent).
Que doit-on penser de l’étude COURAGE elle-même après l’avoir analysée ?
Tout d’abord, il faut signaler que cette étude a été soutenue par de nombreux sponsors de l’industrie pharmaceutique (Merck, Pfizer, Bms, sanofi-aventis, etc.) et par l’US Department of Veterans Affairs. Cela peut prêter à sourire lorsque l’aide apportée par les compagnies fabricantes d’endoprothèses actives est largement stigmatisée lors de la parution des résultats d’études impliquant ces stents…
L’étude COURAGE conclut qu’il n’existe aucun bénéfice significatif à adjoindre une revascularisation par angioplastie (PCI) au traitement médical optimal (TMO) chez des patients en angor stable.
Selon COURAGE : il n’existe aucun bénéfice significatif à adjoindre une revascularisation par angio- plastie (PCI) au traitement médical optimal (TMO) chez des patients en angor stable… mais les li-mites sont nombreuses !
Le taux d’événements (décès de toutes causes et infarctus du myocarde [IDM] non mortel) sur une durée moyenne de 4,6 années est de 19 % pour le groupe PCI + TMO contre 18,5 % pour le groupe TMO (tableau 1). Les différences sont également non significatives concernant les événements associant décès, IDM et accidents vasculaires cérébraux (AVC). À 5 ans, le taux de patients asymptomatiques est équivalent dans les deux groupes (tableau 2).
De nombreuses limites à cette étude
Si la prise en charge médicale optimale a été imposée, la revascularisation par angioplastie ne l’était pas : un taux de succès bas (environ 90 % lorsque les lésions non franchies et les procédures récusées étaient réintégrées), pas de dose de charge de clopidogrel, une revascularisation complète exceptionnellement réalisée, un taux de stenting faible et un stenting actif non disponible au début de l’étude (angioplastie au ballon : 14 % ; stenting : 86 % dont 2,5 % de stenting actif).
Aucun standard d’une angioplastie bien conduite n’a été énoncé, ce qui peut paraître bien sûr excessivement léger, alors que le TMO était particulièrement exhaustif et maintenu sur le long terme.
Le type de prise en charge et de surveillance du patient était excessivement draconien et bien loin de la réalité. En effet, le taux d’observance du traitement et des règles hygiénodiététiques (arrêt du tabac, régime sans graisse, etc.) était extraordinairement élevé.
Ce type de prise en charge en Europe, et tout au moins en France, est totalement illusoire (études MONICA, EUROASPIRE I et II) et rien n’est fait pour valoriser l’éducation du patient en termes d’observance médicamenteuse, de lutte contre les facteurs de risque par des équipes médicales spécialisées. À quand un GHS pour ce type de prise en charge qui pourrait débuter en mode ambulatoire dans nos différents centres, avec l’aide de diététiciens, d’endocrinologues et de diabétologues, et bien sûr, de cardiologues et de rééducateurs physiques ?
Les patients inclus dans cette étude sont des patients très sélectionnés. En effet, sur 35 539 patients « screenés », 3 071 étaient éligibles, mais seuls 2 287 patients ont été recrutés (soit 6 % de la population « screenée » et 74 % de la population éligible…). On peut donc dire qu’à peu près 32 000 patients ont été exclus ! Par ailleurs, le recrutement moyen était de 1 patient par mois et l’inclusion intervenait après la coronarographie diagnostique ce qui permettait de sélectionner encore davantage les patients… Nous sommes bien éloignés de notre pratique quotidienne.
Si on étudie la nécessité de revascularisation dans les deux groupes à 10 mois, il existe un taux de revascularisation de 32,6 % dans le groupe « TMO » contre 21,1 % dans le groupe « PCI ».
Dans le groupe « PCI », il n’a pas été précisé si les revascularisations durant cette période étaient dues à une resténose, une revascularisation incomplète initiale ou bien à une progression des lésions.
Si l’on considère que la plupart étaient dues à une resténose, on pourrait ramener ce taux entre 5 et 10 %, si les patients avaient bénéficié d’un DES...
Dans le groupe « TMO », il s’agissait des patients les plus symptomatiques. Ils ont bénéficié de l’angioplastie mais ont été maintenus dans le groupe « TMO » (analyse en intention de traiter, incontournable en science statistique, semble-t-il).
Or après 5 ans de suivi, il n’y a pas de différence significative entre les deux groupes, puisque le pourcentage de patients libres de tout angor est de 74 % dans le groupe « PCI », contre 72 % dans le groupe « TMO ». Sans ce cross-over, le taux de patients indemnes de tout angor aurait été bien plus bas (72 % - 32 % = 40 % ?). Il est fort probable que ces différences seraient devenues significatives.
De nouvelles données
Une étude qui a fait beaucoup moins de bruit que COURAGE est SWISSI II, publiée dans le JAMA(2) en 2007. Ce travail a inclus des patients ayant eu un IDM avec une ischémie silencieuse. La randomisation s’est faite entre PCI et TMO. Cette étude a été conduite dans 3 hôpitaux suisses publics, de 1991 à 1997 ; le suivi était de 10 ans et s’est achevé en mai 2006. Les résultats sont ici bien différents (figures 1 et 2).
Le groupe « PCI » affiche une réduction des événements majeurs cardiaques de 6,3 % par an.
Les patients de ce groupe ont un taux significativement plus bas d’ischémie, malgré un nombre moins important de médicaments anti-ischémiques. Enfin, leur fonction ventriculaire gauche reste préservée voire s’améliore sur le long cours passant de 53,9 à 55,6 %, alors que dans le groupe « TMO », celle-ci chute de façon significative, passant de 59,7 à 48,8 % au contrôle final.
Figure 1. SWISSI II : courbe actuarielle de survie sans MACE.
Figure 2. SWISSI II : évolution de la FEVG pendant le suivi.
Une sous-étude de COURAGE récemment présentée lors du Late-Breaking Clinical Trials à l’AHA 2007, tente d’identifier les sous-groupes des patients à risque, grâce à la scintigraphie myocardique : Nuclear sub-study from COURAGE.
La scintigraphie (SPECT) était réalisée soit sous vasodilatateurs, soit après un effort physique à l’inclusion puis entre 6 à 18 mois (tableaux 3 et 4).
Il a été retrouvé une diminution de près de 3 % de la charge ischémique dans le groupe « PCI », alors qu’elle n’a pas été observée dans le groupe « TMO ». Il y a, par ailleurs, une relation très nette entre l’importance de l’ischémie résiduelle et le taux d’événements cardiaques. Les différences sont hautement significatives.
Il s’agit néanmoins d’une sous-étude de COURAGE, avec un effectif restreint, non randomisé.
Quoi qu’il en soit, cela confirme que dans le groupe des patients en angor stable, il existe des sujets à plus haut risque, qui de toute évidence peuvent bénéficier d’un geste de revascularisation.
La pratique quotidienne de cardio-logie interventionnelle va-t-elle à l’encontre de COURAGE ?
Une rapide étude de l’activité dans un centre comme le nôtre, lors des 2 dernières années, retrouve que l’indication « angor stable » représente 4,5 % de notre activité de coronarographie diagnostique… Dans ce groupe de patients, 60 % ont relevé d’un geste d’angioplastie, représentant moins de 10 % de l’activité d’angioplastie de notre centre…
Ainsi, l’angor stable, même invalidant, n’occupe qu’une part tout à fait modeste de notre activité de revascularisation.
Nous n’avons donc pas attendu la publication de COURAGE pour appliquer une attitude thérapeutique cohérente, c'est-à-dire traiter les patients qui en tirent le plus bénéfice.
Cela s’explique facilement, car il n’est pas fréquent de constater un angor stable chez un patient porteur d’une sténose serrée de l’IVA proximale, d’une artère circonflexe ou coronaire droite dominante, ou d’une sténose du tronc commun.
Le cas de figure le plus fréquent est l’association d’un angor stable à des lésions soit distales, soit siégeant sur les artères secondaires, et dans ce cas, bien entendu, plutôt qu’une revascularisation par angioplastie nous proposons un traitement médical optimal, avec une prise en charge des facteurs de risque.
Ainsi, il nous semble que l’attitude actuelle dans les centres de cardiologie interventionnelle n’est pas de revasculariser prioritairement les patients en angor stable, mais plutôt de dépister avec des moyens plus simples et du bon sens, ceux qui de toute évidence tireront un bénéfice à court, moyen et surtout long termes d’un geste de revascularisation.
Les patients qui bénéficieront d’une revascularisation sont ceux qui présentent les lésions les plus sévères et les plus proximales.
Nous avons tous en mémoire ces patients, traités médicalement depuis de nombreuses années pour angor stable, chez lesquels les différents tests fonctionnels ne conduisaient qu’à augmenter les doses médicamenteuses et chez qui après plus de 10 ans d’évolution, des coronarographies pour angor invalidant, révélaient malheureusement des réseaux coronaires totalement détruits, et sans possibilité de revascularisation.
Le diamètre du lit d’aval du réseau coronaire, qui sera bien sûr le garant de la qualité de la réussite d’un traitement chirurgical, mais également d’une revascularisation percutanée, est flux-dépendant.
En d’autres termes, une sténose serrée, peu symptomatique, proximale, maintenue en l’état entraînera au long cours, une diminution du flux qui aura pour conséquence de réduire le diamètre du lit d’aval, et potentiellement d’accélérer l’athérosclérose et la destruction progressive du lit d’aval.
Conclusion
Ainsi, des études du type COURAGE – sensées nous aider dans une conduite médicale fondée sur des données scientifiques (Evidence Based Medecine) – ne font qu’enfoncer des portes ouvertes, et de plus entraînent des dégâts collatéraux indiscutables, puisque elles remettent en cause la revascularisation coronaire par angioplastie dans son ensemble…
La parution de ces résultats, plutôt que de souligner l’importance d’une prise en charge médicale parfaite, n’a fait que glorifier une thérapie par rapport à une autre…
Les résultats de COURAGE, pris à la lettre, ne font que conforter les grands prêtres autoproclamés de cette nouvelle religion « empirico-statistique ». Sachons, quant à nous, discerner, en cliniciens que nous sommes, dossier après dossier, les patients en angor d’effort stable ou en ischémie silencieuse qui doivent bénéficier d’une revascularisation par angioplastie.
Il faut donc, bien sûr, probablement tenir compte de ces grandes études, mais garder en mémoire qu’une médecine uniquement fondée sur les preuves scientifiques, est loin d’être une vérité absolue…
« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».
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