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Publié le 15 oct 2022Lecture 8 min

Chirurgie vasculaire et risque médicolégal

Laurent CASBAS, Expert près la Cour d'Appel de Toulouse – Chirurgien vasculaire, Centre de chirurgie thoracique, vasculaire et endocrinien, Clinique Rive Gauche, Toulouse

Une interview de Claude Giraud, chirurgien vasculaire, Clinique Rive Gauche, Toulouse

Laurent Casbas : Claude Giraud, vous avez été chirurgien pendant plusieurs décennies. Pouvez-vous nous faire un court rappel sur votre expérience et l’évolution que vous avez constaté dans cette spécialité ? Claude Giraud : J’ai débuté la chirurgie vasculaire au CHU comme tous les chirurgiens avec une formation classique interne, chef de clinique en chirurgie vasculaire puis en chirurgie cardiovasculaire et j’ai quitté le CHU en 1986 pour m’installer à la Clinique Sarrus Teinturiers, maintenant Clinique Rive Gauche, où je suis resté 32 ans en pratiquant exclusivement la chirurgie vasculaire. Quand j’ai commencé la chirurgie vasculaire, il n’y avait que de la chirurgie ouverte et à l’époque on disait « petite incision, petit chirurgien » et puis l’évolution a fait que maintenant on fait de la chirurgie mini-invasive voire de l’invasion pas du tout chirurgicale puisqu’on fait du percutané, et c’est un bien pour les patients. En revanche, ces techniques plus spéciales ont imposé l’utilisation de beaucoup de matériel dont nous sommes devenus tributaires, mais c’est une évolution comme pour beaucoup de spécialités chirurgicales connues.   LC : Parallèlement à cette activité de chirurgie vasculaire et de pratique médicale vous avez aussi développé pendant de très nombreuses années une activité dans le domaine de l’expertise et de l’assistance à expertise. Pouvez-vous nous donner les précisions sur ce domaine ? CG : Alors, le goût de l’expertise est venu de la pratique chirurgicale, car je trouvais que c’était un peu dommage lorsque nous étions mis en cause d’être défendus par des non-chirurgiens vasculaires et dans la région, c’était surtout des cardiologues. Donc le goût de l’expertise est venu du fait qu’il y avait une judiciarisation croissante dans notre pratique quotidienne et que je trouvais important de se préoccuper de ce volet pour se défendre et pour essayer de prévenir les mises en causes. Je me suis donc intéressé aux diplômes qui conduisent à l’expertise. J’ai ensuite été expert à la Cour d’appel de Toulouse et puis, un hasard « tauromachique » m’a fait rencontrer M. Branchet* qui m’a proposé d’être Assistant conseil pour ses assurés. J’ai accepté et eu la responsabilité de ces deux volets : • Défense des assurés chirurgiens vasculaires et endovasculaires. • Défense de la spécialité.   LC : Aujourd’hui, vous êtes donc l’Assistant conseil référent dans un des grands cabinets de courtage, chef de pôle de pathologie vasculaire périphérique. Cette spécialité est-elle soumise à une importante sinistralité ? CG : Le pôle dont j’assure la responsabilité au cabinet Branchet, comprend des cardiologues assurés, des radiologues interventionnels et des chirurgiens vasculaires. Il y a aussi des médecins qui font de la chirurgie veineuse ou de la chirurgie dite « conservatrice » qui peuvent être amenés à être mise en cause et donc leurs dossiers arrivent dans mon pôle. Voilà un petit peu comment nous fonctionnons : les assurés ont intérêt d’être assistés par quelqu’un qui a les mêmes compétences qu’eux, qui connaisse aussi bien la pathologie que l’aspect médicolégal, qui puisse les aider à améliorer la présentation de leurs dossiers et faire en sorte qu’ils ne soient pas tous seuls face un expert, d’autant que ce dernier peut parfois ne pas être conciliant. En effet, une mise en cause c’est toujours une épreuve à passer et donc c’est bien de ne pas être tout seul. Il y a toujours un médecin de la même spécialité et un avocat qui accompagne l’assuré mis en cause.   LC : Par rapport aux autres spécialités médicales ou chirurgicales, la pathologie vasculaire périphérique est-elle une source de mise en cause plus importante ou moins importante ? CG : Il y a moins de mise en cause en pathologie vasculaire que dans d’autres spécialités chirurgicales. Actuellement, la spécialité qui est la plus exposée ou mise en cause est la chirurgie orthopédique, que ce soit le membre supérieur ou inférieur. Peut-être parce qu’ils touchent beaucoup à la part fonctionnelle, qu’ils font beaucoup d’actes répétitifs ce qui les exposent à d’avantage de mises en cause. Nous, dans notre pratique, les patients ont des pathologies lourdes et donc en général les décisions pour savoir quel est le geste le mieux adapté à leur état sont prises en staff avec les anesthésistes. De plus, les patients subissent plus d’examens pour établir leur bilan parce qu’ils sont beaucoup plus âgés. Nos patients « jeunes » qui ont 45-50 ans ont également des bilans plus approfondis car ils présentent souvent d’autres pathologies associées : tabagisme, diabète, hypertension artérielle, etc. Ils ont souvent des complications cardiaques et pulmonaires qui font que physiologiquement, ils sont beaucoup plus à risque.   LC : Est-ce que certaines interventions ont apporté un risque médicolégal plus important que d’autres ? CG : L’intervention qui comporte actuellement le plus de risques est la chirurgie du défilé thoraco-brachial parce qu’elle est peu pratiquée par la majorité des chirurgiens vasculaires, et donc certains l’appréhendent un peu. Moi j’ai été, on va dire élevé dans une culture où il y avait beaucoup de chirurgie du défilé quand j’étais interne. Il y avait des écoles, notamment à Marseille, qui faisaient beaucoup d’interventions. On s’est rendu compte avec le temps qu’il y a très peu d’indications à cette chirurgie, en conséquence les gens en formation voient beaucoup moins de chirurgie du défilé thoraco-brachial. En revanche, ses complications sont souvent graves parce qu’elles sont surtout neurologiques avec des séquelles qui peuvent aller jusqu’à une paralysie plexi-brachiale, donc c’est une chirurgie qui est dite « à risque » chez des gens jeunes.   LC : Et sur les interventions endovasculaires ? CG : Elles ont beaucoup été vulgarisées, au point qu’elles se pratiquent en ambulatoire, y-compris l’exclusion des anévrismes aortiques sous-rénaux… Mais il faut quand même une grande rigueur et tout dépend de la qualité du sizing et de la précision en place lors de la procédure parce que les complications, là aussi, peuvent être graves. Après, il faut savoir que c’est un traitement qui a apporté beaucoup de points positifs mais qui n’est pas définitif et donc, il faut que les patients soient bien informés, et que leur suivi soit rigoureux après ce type de procédure.   LC : Vous parliez d’une prise en charge en ambulatoire, est-ce que cette prise en charge spécifique d’hospitalisation présente un risque médicolégal particulier ? CG : Effectivement, c’est un sujet quand même qui nous est cher parce qu’on se rend compte qu’en banalisant les actes, les patients perdent un peu la notion des précautions postopératoires immédiates à suivre. Bien qu’informés oralement et par écrit, trop de patients sous double antiagrégation plaquettaire avec des points de ponction au scarpa, reprennent 2 heures après le retour au domicile une vie normale les exposants à des complications et souvent, ils reviennent vers la structure où ils ont été traités. Et c’est là qu’il peut y avoir un départ de mise en cause du fait d’une parole d’un praticien ou du personnel infirmier mal placée pour qu’un patient se mette à douter et demande pourquoi on l’a fait sortir si tôt alors qu’au départ, il était venu pour ça.   LC : Quel conseil donneriez-vous justement aux praticiens qui pratiquent l’ambulatoire pour bien encadrer cette pratique sur un plan médicolégal ? CG : Je crois que ce qui est capital pour l’ambulatoire notamment artériel – mais c’est un petit peu la même chose pour le veineux et pour les port-à-cath –, c’est de bien tracer ce que l’on fait et de bien remettre aux patients des documents spécifiques concernant les mesures de sécurité et les règles à observer dans les jours qui suivent la procédure. Et surtout, il est indispensable que les patients puissent toujours contacter un interlocuteur de manière à ne pas être laisser dans la nature et faire en sorte que ces patients ne soient jamais tous seuls, surtout s’ils sont âgés.   LC : La SCVE avait émis d’ailleurs des règles de bonne pratique de l’ambulatoire qui reprennent en tout point ce que vous venez de dire. Depuis 2020, nous vivons avec la pandémie de la Covid-19. Est-ce que cette pathologie spécifique a des implications dans notre pratique vasculaire et endovasculaire ? CG : Elle a des implications à plusieurs niveaux. Le premier niveau, c’est de faire en sorte que le patient présente un test négatif a son admission. Au deuxième niveau, si un patient négatif à son entrée s’avère positif 15 jours après, avec une maladie symptomatique, il peut malheureusement se retourner contre l’établissement en disant qu’il a contracté la Covid-19 pendant son hospitalisation. On commence déjà à voir ce type de dossiers : des patients ou leur famille qui portent plainte pour avoir contracté la Covid, puisque certains soignants ne sont pas vaccinés, et que certaines personnes ne respectent pas toujours les gestes barrières. Il y a aussi des gens fragiles qui sont plus exposés. Le troisième niveau, ce sont les patients qui ont été retardés dans leur prise en charge avec des pathologies lourdes qui ont mal évolué et qui ont attendu 3 mois voire plus. Là aussi, ils peuvent déposer des dossiers de mise en cause pour perte de chance liée au retard de prise en charge de leur pathologie artérielle notamment, cardiaque mais aussi pulmonaire.   LC : Fort de votre expérience chirurgicale et expertale, comment voyez-vous l’avenir à court et moyen terme de la spécialité vasculaire périphérique ? CG : Vaste question. Je crois que l’avenir de la chirurgie vasculaire et de la chirurgie interventionnelle d’une manière générale n’est pas compromis parce que les patients vont être mieux éduqués pour gérer et comprendre leur pathologie et les traitements qui leur sont proposés. Il y a des moyens d’information très performants avec les médias, – c’est à double tranchant parce que parfois les patients donnent l’impression qu’ils en savent plus que le praticien – mais c’est une étape à franchir et je crois quand même que la nouvelle génération de chirurgiens qui arrive va être mieux armée que nous pour prendre en charge ces patients. LC : Est-ce que vous pensez que la place de l’endovasculaire va continuer de prendre des parts sur la chirurgie ouverte ou est-ce qu’on a atteint notre maximum ? CG : Non, je crois que la miniaturisation des matériaux va faire en sorte que l’endovasculaire va continuer à progresser. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas continuer à apprendre aux jeunes en formation la chirurgie ouverte car souvent en situation d’urgence ils devront réaliser une chirurgie ouverte soit de principe, soit de nécessité. Mais je pense que l’endovasculaire est certainement l’avenir parce qu’il y a moins de douleur, moins d’hospitalisation, et moins d’immobilité au niveau professionnel. Il n’y a pas de raison que ça s’arrête. * NDLR : Branchet, Assurance de médecins libéraux.

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