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Publié le 30 oct 2024Lecture 5 min
Chronique d’un « démêlant »
Lauranne MATRAY, Benjamin ROUGE, Clinique de l’Union, Saint-Jean
Monsieur H. est un patient de 53 ans en surpoids (105 kg pour 190 cm, BMI 29,1 kg/m2), dont l’histoire veineuse commence en 2021 avec une thrombose veineuse iliaque gauche traitée par anticoagulants et stenting de la veine fémorale commune gauche. Le filtre cave mis en place à l’époque a migré jusqu’à être transfixiant entre la veine cave supérieure et le récessus péricardique supérieur droit (figure 1) ; il est toujours en place du fait de l’échec de la thoracotomie d’extraction. Cliniquement, Monsieur H. alterne entre une insuffisance veineuse superficielle de stade CEAP 5 (ulcère veineux cicatrisé) et de stade CEAP 6 (ulcère actif), malgré le port quotidien de bas de contention de classe 3 bien adaptés à sa morphologie.
Figure 1. Filtre cave transfixié entre la veine cave supérieure (VCS) et le récessus péricardique supérieur droit.
La qualité de vie de ce jeune cuisinier est extrêmement altérée par ce défaut de drainage du membre inférieur gauche, qui présente une différence de circonférence par rapport au membre inférieur droit de 4 cm à la cheville et de 8 cm à la cuisse (figure 2). L’échographie Doppler retrouve un stent veineux fémoral commun perméable car lavé par une veine saphène interne de gros calibre. En amont, il existe une thrombose complète de la veine fémorale (ancienne veine fémorale superficielle) depuis la veine poplitée supra-articulaire (figure 3). Il n’y a aucun flux individualisable au niveau de la veine fémorale profonde. En aval, l’axe veineux iliaque gauche est indemne de lésion (figure 4).
Figure 2. Différence de circonférence entre les membres inférieurs.
Figure 3. Trombose complète de la veine fémorale depuis la veine féméropoplitée supra-articulaire.
Figure 4. L'axe veineux iliaque gauche est indemne de lésion.
Opérer dans du béton : vraie ou fausse bonne idée ?
En résumé, le drainage du membre inférieur gauche de notre cuisinier ne se fait que via sa veine saphène interne (figure 5), et cela n’est clairement pas suffisant ! La récidive par trois fois d’ulcères actifs nous a contraint à lui proposer une solution, mais laquelle ?
Figure 5. Phélobographie préopératoire.
Chirurgicalement, la première option aurait été l’exérèse complète de la veine fémorale commune et de son stent avec réparation (a priori via un patch de péricarde tubulisé), afin d’offrir à la veine saphène interne un drainage de meilleure qualité. En l’absence de résultats suffisants, une anastomose entre la veine saphène et la veine poplitée supra-articulaire aurait pu ensuite se discuter. Néanmoins, le seul projet d’une incision cutanée sur ce membre inférieur cartonné, tendu, œdématié, semblable a du béton, a refroidi la discussion. Existe-t-il une solution endovasculaire pour traiter une veine dont la fonction valvulaire est annihilée depuis plus de 3 ans ?
Des ultrasons dans une veine ?
L’approche thérapeutique face à ce thrombus chronique, composé de lacis de fibrine enchevêtrés et de collagène I et III, se doit d’être différente des traitements pharmaco-mécaniques habituellement utilisés dans les thrombi aigus.
Le système EKOS™ (Boston Scientific) (figure 6) est un système mini-invasif associant ultrasons et thrombolytiques. L’énergie des ultrasons de basse fréquence démêle la trame de fibrine, exposant ainsi les récepteurs du plasminogène aux fibrinolytiques qui peuvent diffuser en profondeur.
Figure 6. Système EkosTM (Boston Scientific).
Développé initialement pour permettre une meilleure dispersion du thrombolytique dans l’embolie pulmonaire, ce système a montré une efficacité sur l’amélioration du syndrome post-thrombotique dans les thromboses veineuses profondes chroniques (score de Villalta et qualité de vie) (Jaha access, pts 2020).
En pratique
La procédure a eu lieu sur 2 jours consécutifs. En premier lieu, la veine fémorale a été recanalisée par un double abord antéro- (à partir de la veine tibiale postérieure rétromalléolaire) et rétrograde (en cross-over depuis la veine fémorale commune droite). La progression du guide 0,018 entre les travées de fibrine a été guidée par une sonde d’échographie endovasculaire IVUS (figure 7). Après une prédilatation par un ballon d’angioplastie de 4 x 80 mm, la sonde d'EKOSTM a été mise en place pour une durée de 24 heures. Le système, lui-même branché a une seringue électrique de fibrinolytiques, a été laissé en place à travers un introducteur perfusé par une voie de lavage héparinée.
Figure 7. Échographie endovasculaire IVUS J1.
Le système a été retiré le lendemain. Lors de cette ultime procédure, des angioplasties progressives de la veine fémorale ont été réalisées par des ballons de 8, 10 puis 12 mm de diamètre. Les résultats furent impressionnants, tant sur le plan endoéchographique à l’IVUS avec une augmentation du diamètre veineux (figure 8) que phlébographique avec une amélioration du drainage (figures 9,10,11).
Figure 8. Échographie endovasculaire IVUS J2.
Figure 9. Phlébographie postopératoire 1/3.
Figure 10. Phlébographie postopératoire 2/3.
Figure 11. Phlébographie postopératoire 3/3.
Mais il n’y a toujours pas de valvules ?
En effet, cette technique nous a permis de restaurer un chenal de drainage au membre inférieur gauche de Monsieur H. Mais, même si cette veine fémorale a retrouvé un calibre correct, la fonction valvulaire est toujours et définitivement altérée (c’est en fait le cas depuis le 7e jour du processus thrombotique !). Ainsi, pour s’assurer de la pérennité de cette procédure, la stratégie postopératoire se devra d’être rigoureuse !
Sur le plan thérapeutique, le patient sera traité par une association d’antiagrégation plaquettaire (Plavix® 75 mg quotidien) et d’anticoagulation efficace (Arixtra® 10 mg du fait de son poids supérieur à 100 kg).
Sur le plan mécanique, le port de la compression pneumatique intermittente durant les 3 jours d’hospitalisation a été relayée par une consigne de marcher au minimum 10 000 pas par jour.
L’innovation à l’épreuve de la vraie vie
Cela fait 5 mois que nous avons pris en charge notre sympathique cuisinier.
Cliniquement, il se sent mieux : plus alerte, moins essoufflé, certainement du fait de la diminution des douleurs et des lourdeurs de son membre inférieur et la guérison des plaies. L’impact positif sur le moral est aisément compréhensible, surtout qu’il a pu reprendre en main son restaurant et que la différence entre ses deux membres inférieurs est aujourd’hui de simplement 2 et 4 cm, respectivement au mollet et à la cuisse. Il marche 7 000 pas quotidiennement en semaine, 10 000 le week-end. L’Arixtra® a pu être relayée par de la Coumadine®, toujours en association au Plavix®. Sur le plan échographique, les manœuvres de chasse au niveau de la veine poplitée, qui étaient absentes en préopératoire, sont désormais retrouvées, tout comme la modulation respiratoire des flux de la veine fémorale commune.
Finalement, l’insuffisance veineuse profonde critique de Monsieur H. a laissé place à une insuffisance veineuse chronique modérée bien tolérée sur le plan fonctionnel. Lors de notre dernière consultation, j’ai dit au patient : « Je vous souhaite que tout ça soit fini », il m’a répondu : « Au contraire, c’est le début de ma nouvelle vie ! ».
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