Publié le 20 juin 2019Lecture 8 min
L’expert et l’expertise
Laurent CASBAS, Expert près le Cour d'Appel de Toulouse - Chirurgien vasculaire, Centre de chirurgie thoracique, vasculaire et endocrinien, Clinique Rive Gauche
Le plus souvent, les médecins sont impliqués dans des procédures légales en raison de la mise en cause de leur responsabilité professionnelle.
L’expert est le principal intervenant dans ces affaires de recours médico-légal. Ce n’est souvent qu’à lui que les praticiens mis en cause sont confrontés. Cependant, ce n’est pas l’expert qui diligente la procédure, ce n’est pas lui qui déterminera, in fine, les responsabilités. L’expert n’est pas un juriste, il est encore moins un magistrat.
L'expert est un technicien, il est un auxiliaire de justice au service de la juridiction qui l’a commis. Son rôle est d’éclairer le magistrat en charge de l’affaire, sur un point technique particulier. Le magistrat est un juriste, il n’est pas, par exemple, un spécialiste de la pathologie vasculaire, si dans une affaire qu’il a à juger, un problème technique doit être expliqué, il aura recours à un spécialiste, un professionnel particulier, qui devra donner son avis, en tant que spécialiste de ce sujet.
À noter que, quelle que soit la juridiction, l’expert agit sur l’ordre d’un magistrat. Au cours des procédures civiles ou administratives, c’est le juge civil ou administratif qui nomme l’expert, mais aussi, au décours des procédures des Chambres de conciliation et d’indemnisation, puisque les commissions sont présidées par des magistrats de l’Ordre administratif. La convocation par un expert n’est donc pas une simple invitation, mais une mesure prise sous l’autorité d’un magistrat.
Qui est donc cet expert ?
C’est un professionnel ou quelqu’un doté d’une compétence. Il y a des experts dans des domaines très divers : médecins, bien sûr, mais aussi, architectes, traducteurs, etc.
En ce qui concerne les médecins, tous peuvent être nommés experts. Le magistrat est libre de choisir qui il veut.
Cependant, il est établit des listes, une nationale pour la Cour de Cassation, et des listes dans chaque Cour d’Appel. Le plus souvent, les experts sont choisis sur ces listes, car en plus des compétences médicales, les praticiens inscrits sont compétents en réparation du dommage corporel, ils sauront expliquer, à la fois les éléments techniques et évaluer le retentissement du préjudice, et rédiger des conclusions en des termes facilement accessibles pour les parties du procès et le magistrat. C’est pour cette raison, que les experts sont principalement choisis sur les listes des Cours.
Des médecins peuvent être inscrits sur les listes d’experts, directement, sans formation particulière, autre que celle en médecine. Par exemple s’il manque un spécialiste dans une cour d’Appel, d’autres ont suivi une formation, au moins en réparation du dommage corporel pour bien maîtriser le fonctionnement et des procédures et des demandes qui seront faites, ainsi que des mécanismes de l’évaluation du préjudice.
Qui qu’il soit, l’expert doit respecter des principes fondamentaux.
L’expert est un professionnel, spécialiste d’un domaine de compétence. Il n’est pas juriste.
Il doit être indépendant des toutes les parties présentes au procès. Par exemple, il ne doit pas avoir traité le patient qui engage le recours, il ne doit pas être associé ou lié au praticien mis en cause. S’il estime que son indépendance peut-être remise en cause, il doit impérativement se récuser, c’est à dire refuser ce dossier d’expertise. Il doit être impartial. L’expert n’est pas un redresseur de tort, ni vis-à-vis d’une partie ni de l’autre.
L’impartialité est un des points cardinaux d’un expert, c’est le socle de sa crédibilité. Il doit assumer, seul, les opérations d’expertise. C’est-à-dire qu’il doit mener l’expertise personnellement, il ne peut s’adjoindre un expert de la même spécialité. Néanmoins, si l’expert a besoin d’un complément d’information sur un point spécifique autre que le domaine strict de sa spécialité, il peut demander l’aide d’un autre professionnel, qui donnera un avis sur le point spécifique, c’est le sapiteur. Le sapiteur est un professionnel, le plus souvent expert lui-même. Par exemple, l’expert chirurgien vasculaire peut demander l’avis d’un collègue anesthésiste, infectiologue, etc. ou inversement, il pourra être lui-même sapiteur d’un autre expert, un chirurgien orthopédiste, par exemple.
Que fait un expert en pratique ?
Il reçoit une mission : il est commis par une juridiction. Il doit s’assurer que cette mission rentre bien dans son domaine de compétence, et qu’il n’est lié en aucune façon aux différentes parties appelées à la cause. Si c’est le cas, il peut accepter la mission d’expertise.
L’adage des experts dit : « La mission, toute la mission, rien que la mission ». L’expert doit se contenter de répondre aux questions qui lui sont posées, répondre à toutes les questions posées, et ne pas répondre à d’autres. En outre, il ne joue aucun rôle thérapeutique et doit s’abstenir de tout conseil à ce sujet.
Une procédure stricte doit être respectée quant aux délais, et aux modalités de convocation à la réunion d’expertise, cette réunion est aussi appelée accedit. Il est précisé que chacune des parties peut venir accompagnée, par des conseils, avocats, médecins-conseil, médecins-assistant à expertise, des membres de la famille du patient demandeur peuvent aussi être présents.
Entre la convocation et l’accedit, l’expert commence à analyser le dossier, éventuellement demande aux parties des pièces supplémentaires, il peut faire des recherches bibliographiques si nécessaire. Toutes les parties sont convoquées, au lieu défini par l’expert, souvent ses propres locaux professionnels, d’autant que le matériel de base d’examen clinique doit être utilisé.
Autre point cardinal, tous les échanges doivent respecter le principe du contradictoire. C’est-à-dire, que tout se fait en présence de toutes les parties ou d’un de leurs représentants. Il n’y a pas d’aparté entre l’expert et une des parties.
Les échanges doivent rester respectueux de chacune des parties, en évitant les règlements de compte. L’expert doit absolument y veiller.
Le dossier est analysé en présence des parties, des explications sont bienvenues, l’expert doit avoir un rôle pédagogique tant auprès des patients que des professionnels (c’est un avis personnel). Il doit tenter d’aider le patient demandeur à comprendre ce qui s’est passé, l’expertise jouant alors un rôle cathartique. Il doit fournir au professionnel des pistes et des clés en vue d’une bonne pratique ultérieure sur le plan médico-légal.
L’expertise se poursuit par un examen clinique du patient.
Les différents postes de préjudice sont discutés entre l’expert et les parties. L’expert peut, s’il le désire, se prononcer pendant l’accedit, sur les responsabilités.
Le temps d’après est la rédaction du rapport d’expertise qui reprend la mission, répond aux questions posées, relate l’examen clinique et évalue les postes de préjudice.
Ce rapport est adressé à l’autorité requérante et à toutes les parties.
Le rapport n’est pas l’avis personnel de l’expert, chaque conclusion doit être argumentée. Les recommandations de la HAS, des sociétés savantes, des collèges, des conférences de consensus, les protocoles en vigueur dans les établissements ou encore des publications doivent être fournis pour étayer les arguments de l’expert. Le rapport d’expertise va alors suivre son propre chemin. La partie pour laquelle, il n’est pas favorable va le contester, le trouver partial, celle pour laquelle, il est favorable va le trouver parfait. L’autorité requérante n’est, elle, absolument pas liée par les conclusions de l’expert, mais le rapport est censé l’éclairer, et si l’argumentation technique est solide et repose sur des faits tangibles, le rapport sera contributif.
Compte tenu du nombre d’actes pratiqués et de la judiciarisation croissante de la pratique médicale, la confrontation avec un expert est probable pour tous les praticiens. L’expert, n’est pas un ami, ni un collègue, il est l’auxiliaire technique d’un magistrat. Mais il est aussi un professionnel qui cherchera à avoir, en tout cas en pathologie vasculaire, une discussion technique quant aux choix réalisés et qui cherchera à contextualiser les faits en se mettant à la place du praticien au moment des faits reprochés.
Exemple de dossier type
Le Dr Laurent Cas., expert près la Cour d’Appel de Toul., expert inscrit en chirurgie vasculaire, thoracique et cardiaque, reçoit une mission d’expertise de la part du Tribunal de Grande Instance de X, le juge est saisi par un patient qui s’estime victime d’une mauvaise prise en charge par son cardiologue. A priori, la mission concernant une intervention de cardiologie rythmologique ne rentre pas le domaine de l’expert. Mais en fait, il s’agit de complications hémorragiques, liées à la gestion du traitement anticoagulant, qui ont entraîné un hématome cervical et un hémothorax. La mission correspond donc au domaine de compétence, l’expert ne connaît ni le patient ni les praticiens et l’établissement mis en cause. La mission est acceptée.
Les parties sont convoquées au cabinet de l’expert à la clinique de …, sous 3 semaines. Ils sont reçus tous ensemble. La mission est présentée et expliquée. Chaque partie présente sa version des faits.
Chaque question de la mission est abordée, l’expert y répond oralement, en justifiant sa position.
Le patient demandeur est examiné, en présence uniquement des médecins, et éventuellement de ses accompagnants, les avocats n’assistent pas à l’examen, le patient étant déshabillé. L’examen clinique est complet.
Les différents postes de préjudice dont l’évaluation sont demandés, sont quantifiés un à un par l’expert. Les avocats et médecins conseil peuvent donner leur avis sur chacune des évaluations.
L’expert conclut, oralement, sur d’éventuelles responsabilités. Dans le cas de ce dossier, la gestion avait été non conforme aux recommandations de la SFAR et des consensus CHEST, il y avait une responsabilité de l’équipe médicale.
Puis l’expert rédige son rapport en justifiant ses conclusions, en matière d’anticoagulation, la SFAR et les consensus CHEST, ou des recommandations des sociétés savantes fournissent des guidelines précises.
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