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Histoires légales

Publié le 30 mar 2023Lecture 8 min

Vasculaire et espace santé

Laurent CASBAS, Expert près le Cour d'Appel de Toulouse – Chirurgien vasculaire, Centre de chirurgie thoracique, vasculaire et endocrinien, Clinique Rive Gauche, Toulouse

Une interview de Dominique Pon, directeur de la Clinique Pasteur, Toulouse

Laurent Casbas : Dominique PON, vous êtes aujourd’hui le directeur de la Clinique Pasteur à Toulouse. Pouvez-vous revenir sur votre parcours universitaire et professionnel ? Expliqueznous comment vous êtes arrivés à ce poste ?   Dominique Pon : Je suis diplômé, ingénieur de SupTelecom, promotion 2002. J’ai commencé mon début de carrière pendant 10 ans dans l’industrie où j’ai travaillé dans le cadre de la lutte antiterroriste sur des outils numériques de détection automatique de bombes dans les bagages. Voilà, j’ai démarré comme ça. Assez rapidement, voilà 30 ans, je dirigeais, dans un contexte international, des équipes techniques de recherche et de développement dans ce domaine. Puis à un moment donné pour des raisons un peu romantiques, j’ai décidé de repartir un peu de zéro pour aller dans le secteur de la santé parce que j’avais besoin d’une dimension sociale au métier que je faisais, pour pleins de raisons. Et donc j’ai fait un pari un peu fou, j’ai quitté un poste de directeur général, réduit considérablement mon salaire, pour repartir de zéro dans un hôpital comme responsable informatique. Donc, j’ai postulé et j’ai été embauché à la Clinique Pasteur comme directeur informatique. Ensuite, j’ai développé un dossier patient informatisé, créé une première startup, une deuxième, une troisième puis une quatrième pour stimuler l’innovation numérique. Elles ont été assez médiatisées. Puis de fil en aiguille, on m’a proposé progressivement de prendre la direction de la Clinique Pasteur. J’ai pris cette fonction en 2011 avec comme vision la défense d’un modèle de clinique à capital médical français avec une gouvernance assurée par les médecins. Ils décident d’un projet médical avant un projet financier. Voilà un peu mon parcours.   LC : Aujourd’hui, en plus de la Clinique Pasteur, vous êtes à la tête d’un groupe de cliniques indépendantes. Est-ce que vous pouvez développer ce modèle et nous expliquer en quoi celui-ci est très important par rapport à d’autres modèles avec, par exemple une participation financière de grands groupes ?   DP : Parlons des modèles de groupes capitalistiques de cliniques qui aujourd’hui représentent la majorité des cliniques sur le territoire. Nous avons développé une alternative, une autre voie basée sur la coopération. Donc nous avons créé une coopérative d’établissements de santé indépendants, c’est-à-dire dont le capital est détenu par des personnes physiques, des médecins ou des personnes et non pas des fonds. Et ces cliniques s’associent dans le cadre de la coopérative pour mutualiser des moyens, partager des expériences, définir des stratégies communes. C’est un modèle alternatif à ces groupes capitalistiques, nos coopératives d’établissements indépendants défendent une logique de proximité, en mettant en avant le projet médical avant le projet économique.   LC : C’est remettre le patient au cœur du système ?   DP : Oui, tout le monde remet le patient au cœeur du système et en ce qui nous concerne, c’est surtout une gouvernance locale, des capitaux français et des médecins français qui sont au cœur de la gouvernance. Voilà notre logique.   LC : C’est le projet médical en premier ?   DP : Exactement.   LC : En plus des fonctions de direction de la Clinique Pasteur et du groupe, vous avez également participé au développement de l’Espace santé. Est-ce que vous pouvez nous expliquer en quoi cela consiste et quelles seront les implications à la fois pour les patients et pour les praticiens ?   DP : Effectivement, j’ai donné 4 ans de ma vie pour mon pays, puisque pendant 4 ans, on m’a demandé de piloter la stratégie nationale du numérique en santé en France en tant que responsable ministériel du numérique en santé. Donc l’idée générale, c’était d’essayer de structurer, d’organiser et de donner une vision au numérique en santé pour que tous les acteurs, c’est-à-dire les professionnels de santé, les établissements de santé, les pouvoirs publics, les industriels, les éditeurs et les patients puissent avoir une feuille de route « gardée » pour construire un modèle de numérique en santé souverain. C’est-à-dire un modèle où on ne dépend pas d’un groupe, ni des grands opérateurs étrangers et qui permette de construire notre propre modèle. Cette feuille de route compte 30 actions, dont une un peu emblématique qui s’appelle l’Espace numérique de santé. Le nom grand public c’est « Mon espace santé ». C’est une plateforme numérique hébergée en France, portée par l’Assurance maladie et l’État et qui permet à chacun de stocker ses documents de santé et ensuite de les partager avec les professionnels de santé qui prennent en charge le patient. Et l’idée générale de cet espace santé c’est qu’il soit alimenté dans les prochaines années automatiquement par les données du parcours de soin. Par exemple, les comptes rendus d’hospitalisation, les résultats biologiques, les comptes rendus d’imagerie, les lettres, les ordonnances. Tout ça va être automatiquement envoyé du logiciel médecin ou de l’établissement de santé, du biologiste ou du radiologue dans l’espace santé. Il y a aura une copie électronique qui sera envoyée au patient qui n’aura rien d’autre à faire, ça tombera dans le coffre-fort numérique. C’est ce que j’ai piloté pendant 4 ans, et il a fallu modifier tous les logiciels de France concernant la santé (médecins, biologistes, radiologues, etc.) afin que tous puissent se connecter à Mon espace santé et envoyer une copie des données aux patients. C’est ce que j’essaye de promouvoir avec une vision souveraine. C’est ce qui me semble essentiel pour notre pays, des sujets aussi importants que la santé, mais aussi l’éducation et la justice. Il faut que la France et l’Europe se dotent de moyens technologiques souverains pour être autonomes et maîtres de leur destin dans le numérique. C’est ça vraiment ma mission pour le moment.   LC : On ne peut qu’adhérer à un tel projet, mais des réticences ont vu le jour quant à la sécurisation. Nous en avons beaucoup parlé dans cette rubrique médico-légale : évidemment cela impose une protection des données extrêmement fortes.   DP : Oui. Je suis un ingénieur et un ingénieur ne pourra jamais vous dire qu’il n’y aura jamais de faille : il y a toujours des failles techniques. En revanche, je peux vous décrire ce qui est mis en œuvre sur Mon espace santé. Tout d’abord, il y a une redevabilité déontologique et de sécurité sur les données puisque c’est l’État qui porte ce projet dont il est redevable devant le citoyen. En revanche, que voulez-vous faire contre Google, Facebook ou Amazon ? On ne peut rien faire. Un autre point, c’est qu’en termes de sécurité, on a mis en place une architecture technique, bien qu’aucune ne puisse être infaillible, avec un niveau de sécurité très, très élevé. C’est un changement de catégorie par rapport à ce que l’on voit dans tous les systèmes d’informations classiques en France. Donc, on a vraiment franchi un cap de sécurité et d’éthique avec ce projet en termes de numérique en santé : c’est comme si nous étions passé de la 2e division à la Champion’s League en gros.   LC : Ceci est en effet très prometteur. Vous disiez que vous aviez mis en place plusieurs startups. Pensez-vous que dans notre pratique médicale en pathologie vasculaire, le numérique va apporter de grandes innovations ?   DP : Mon sentiment, je peux me tromper, mais j’ai confiance dans mon sentiment, c’est qu’il aura plusieurs générations et une évolution en fait dans l’apport du numérique dans le domaine du médical et en particulier sur le traitement des pathologies cardiovasculaires. En fait, pour moi, il y a une première étape : on informatise le cœur de métier, comment on range les données de santé, comment on saisit un compte rendu, comment on se connecte à une machine qui fait l’imagerie. Donc, on informatise le cœur de métier. Maintenant, la nouvelle étape est d’intégrer le patient. Le patient va avoir des outils numériques mis à sa disposition pour être acteur de sa santé au travers de ce que l’on appelle en anglais les digital therapeutics, en français les thérapies digitales. Ce sont les outils numériques qui permettent de faire de l’observance à distance, de l’autosurveillance, de la télésurveillance. Ces outils permettront d’avoir des conseils, d’être en lien avec son professionnel et le patient atteint d’une pathologie chronique, par exemple, sera acteur de sa santé au travers de l’outil numérique. Ce sont des milliards qui sont mis en jeu actuellement, donc pour moi c’est un gros sujet d’avenir notamment dans le traitement des pathologies cardiovasculaires. Ensuite, l’étape d’après et pour les prochaines années, c’est l’exploitation des données. On collecte des données partout : si on sait bien les exploiter, bien les structurer, faire tourner de l’intelligence artificielle dessus, les gérer, travailler entre des spécialistes des métiers de la santé, des professionnels de l’exploitation des données de l’intelligence artificielle, on arrivera à faire des choses assez fabuleuses par rapport à ce que l’on fait aujourd’hui en termes d’aides à la décision médicale, de détection précoce de maladies, d’accompagnement et de prédictibilité d’effets secondaires. Voilà, à mon avis l’exploitation des données c’est le dernier étage de la fusée numérique dans le domaine médical.   LC : Et dans le domaine de l’imagerie, puisqu’évidemment notre spécialité est très dépendante de l’imagerie, quels sont les apports spécifiques sur ce domaine-là ?   DP : Mon sentiment, c’est que la façon dont on voit le métier aujourd’hui quant à l’utilisation de l’imagerie dans le diagnostic et le traitement sur les maladies cardiovasculaires, va évoluer. Il ne s’agira plus tellement d’une logique de « je récupère une image, je l’analyse, moi être humain, avec des outils d’aide à la décision et je prends une décision de traitement » mais ce seront ces images qui seront sur des plateformes, probablement sur le cloud, et le médecin aura accès à tout un tas de services numériques qui feront de l’aide à la décision. Il deviendra comme une espèce d’ingénieur de supervision d’outils. Le médecin lancera ces outils à distance sur le cloud qui lui donneront un certain nombre d’aides et pourront le mettre en lien avec énormément de données qui ne sont pas stricto sensu médicales. Voici comment j’imagine l’évolution future dans ce métier de l’imagerie notamment dans le vasculaire : comme des outils qui vont chaîner les données, les vôtres plus celles de grandes bases de données internationales au travers d’algorithmes que l’on retrouvera sur le cloud et qui vous permettront d’avoir une vision globale avec tout un tas d’aides qui seront des aides humaines et des aides algorithmiques. C’est comme ça que je me représente le métier dans le futur.   LC : C’est encore une nouvelle révolution qui nous attend.

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