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Histoires légales

Publié le 30 oct 2023Lecture 4 min

Recommandations, références opposables et obsolescence des techniques

Laurent CASBAS, Expert près la Cour d'Appel de Toulouse – Chirurgien vasculaire, Centre de chirurgie thoracique, vasculaire et endocrinien, Clinique Rive Gauche, Toulouse

Les sources de recommandations pour la pratique médicale sont très nombreuses. Les instances officielles, comme la Haute Autorité de santé en France, mais aussi bien d’autres, telles que les sociétés savantes, les conférences de consensus ou, comme dans certaines spécialités telle la chirurgie vasculaire, les collèges, vont produire de nombreux travaux, qui deviennent des recommandations de pratique. Des articles originaux de la littérature ou des présentations en congrès pourront aussi servir de base à la justification d’une attitude médicale. Il existe une hiérarchie dans la force des recommandations, selon l’importance de l’argumentation scientifique.

Classes de recommandation : définition, suggestion de termes à utiliser   Classe I : preuve et/ou accord général sur le fait qu’un traitement ou une procédure sont bénéfiques, utiles et efficaces ; est recommandé(e)/est indiqué(e). Classe II : preuve d’un conflit et/ou une divergence d’opinions sur l’utilité/l’efficacité du traitement ou de la procédure en question. Classe II a : le poids de la preuve/de l’opinion est en faveur de l’utilité/de l’efficacité ; devrait être considéré(e). Classe II b : L’utilité/l’efficacité est moins bien établie par la preuve/l’opinion ; peut être considéré(e). Classe III : preuve ou accord général sur le fait que le traitement ou la procédure en question n’est pas utile/efficace, et peut être nuisible dans certains cas. Niveau de preuve A : données issues de plusieurs essais cliniques randomisés ou de métaanalyses. Niveau de preuve B : données issues d’une seule étude clinique randomisée ou de grandes études non randomisées. Niveau de preuve C : consensus de l’opinion des experts et/ou de petites études, des études rétrospectives, des registres. Quel que soit le niveau de preuve, les recommandations doivent faire évoluer la pratique et s’appliquer dans la prise en charge des patients, dès lors qu’elles sont en vigueur. S’il s’agit, avant tout, d’une implication dans la pratique et les choix techniques, ces recommandations deviennent également des références opposables, c’est-à-dire qu’elles recouvrent une dimension légale. Les experts médico-légaux vont tout particulièrement s’emparer de ces textes pour évaluer si les actes effectués sont conformes aux règles de l’art, au moment où ils ont été effectués. C’est-à-dire, est-ce que le praticien mis en cause a bien réalisé les actes « litigieux », conformément aux recommandations en vigueur au moment de leur réalisation ?   Code de la santé publique   En dehors des aspects scientifiques, et de l’intérêt médical, comme l’utilisation d’une technique plus efficace ou moins invasive, et du fait de se mettre en conformité sur le plan médico-légal, il faut noter que faire évoluer sa technicité est une obligation déontologique, comme le rappelle le Code de la santé publique. • article R4127 -11 : Tout médecin doit entretenir et perfectionner ses connaissances ; il doit prendre toutes dispositions nécessaires pour participer à des actions de formation continue. Tout médecin participe à l’évaluation des pratiques médicales • article R4127-40 : Le médecin doit s’interdire, dans les interventions comme dans les thérapeutiques qu’il prescrit, de faire courir au patient un risque injustifié.   Code de déontologie   Il existe plus d’articles du Code de déontologie sur l’utilisation de techniques innovantes et de la prudence nécessaire à leur mise en pratique que sur la persistance d’utilisation de techniques devenues obsolètes. Mais dès lors qu’une technique est mise en avant dans une recommandation forte, en raison de son efficacité ou de son caractère moins invasif, le fait d’utiliser « l’ancienne » technique moins efficace ou plus invasive peut générer une faute dans l’exécution de l’acte, en cas de recours médico-légal.   En pratique   Après ce long préambule, il devient évident que la pratique médicale ne peut pas être guidée que par l’expérience d’un praticien vis-à-vis d’une technique ou par ses simples habitudes. Même si l’Interventionnel est surtout centré sur la pratique endovasculaire artérielle, il est possible de prendre l’exemple des techniques endovasculaires veineuses superficielles, d’ablation thermique par radiofréquence ou par laser. Pendant des décennies, la technique proposée était exclusivement l’exérèse chirurgicale classique des systèmes veineux saphènes par crossectomie et stripping. Au début des années 2000, est arrivée l’ablation thermique par laser puis son alternative par radiofréquence. Ces techniques, regardées avec suspicion, voire décriées par les tenants de la crossectomie-stripping, ont été évaluées, incluses dans des registres, comparées à la technique de référence et entre elles. En 2018, après de très nombreux travaux et expertises, le laser et la radiofréquence sont reconnus comme les techniques de premier choix pour la prise en charge de l’insuffisance veineuse chronique, tant en termes d’efficacité, avec une meilleure capacité à prévenir les récidives, qu’en termes d’invasivité et de qualité de vie. Elles bénéficient, à égalité, d’une recommandation classe I, niveau A. Ce qui est extrêmement rare, il faut le reconnaître, en pathologie vasculaire. Donc depuis 2018, la chirurgie d’exérèse par crossectomie-stripping a complétement disparu… Il n’en est rien, selon les rapports d’activité, au niveau national. Même, s’il est noté une baisse régulière du nombre d’actes réalisés, la chirurgie classique est encore pratiquée pour des milliers de cas. Certes, cette technique est toujours autorisée, l’acte CCAM existe et le matériel nécessaire est toujours disponible. Mais du point de vue d’un expert médicolégal…

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