Congrès et symposiums
Publié le 31 oct 2013Lecture 11 min
Les recommandations de l’ESC 2013 - Prise en charge de la maladie coronaire stable
F. DIÉVART, Clinique Villette, Dunkerque
Les nouvelles recommandations de la Société européenne de cardiologie (ESC) pour la prise en charge de la maladie coronaire stable ont été présentées par leurs coprésidents, Gilles Montalescot et Udo Sechtem, lors des sessions scientifiques de l’ESC. Elles ont été publiées conjointement dans l’European Heart Journal en deux textes : un principal de 62 pages et 514 références bibliographiques et un addenda de 32 pages et 336 références bibliographiques. Leur taille rend compte de l’impossibilité d’une présentation exhaustive de leur contenu, et leur lecture reste utile, notamment concernant des formes particulières d’angor (microvasculaire, spastique, etc.) et, entre autres, le dépistage des sujets asymptomatiques. Ces recommandations rappellent le niveau de preuve relativement faible des stratégies diagnostiques et de surveillance (une seule recommandation est gradée IA sur 62 dans la stratégie préthérapeutique, soit moins de 2 %) et le niveau de preuve plus élevé des stratégies thérapeutiques (18 recommandations sont gradées IA sur 68 dans la stratégie thérapeutique, soit un peu plus du quart). Elles consacrent l’importance majeure de l’évaluation de la probabilité de maladie coronaire, ou probabilité prétest, et de la stratification du risque.
Le premier principe de ces recommandations a été de délimiter leur domaine spécifique dans la prise en charge d’une maladie pouvant alterner phases instables et stables, d’une maladie symptomatique ou non, diagnostiquée ou non, et pouvant avoir plusieurs déterminismes : sténose coronaire, atteinte microvasculaire et/ou spasme coronaire. Ces recommandations s’adressent à tous les types de patients n’ayant pas d’angor instable.
Résumé de la démarche proposée
Ces recommandations proposent une synthèse de la démarche décisionnelle choisie, qui repose sur 3 étapes chez les patients chez lesquels une maladie coronaire est envisagée.
• La première étape est d’évaluer cliniquement la probabilité de maladie coronaire chez un patient particulier, c’est-à-dire d’évaluer la probabilité prétest de maladie coronaire.
• La deuxième étape est celle des examens non invasifs pour établir le diagnostic de maladie coronaire stable ou d’athérome non obstructif (typiquement, en effectuant un échodoppler carotide) chez les patients à probabilité intermédiaire de maladie.
• La troisième étape débute quand le diagnostic est fait. Elle consiste à commencer un traitement médical optimal et à effectuer une stratification du risque d’événements cliniques, usuellement à partir des données des examens non invasifs déjà effectués, afin de sélectionner les patients qui doivent avoir une exploration invasive et une revascularisation.
• Cas particulier, en fonction de la sévérité des symptômes, une stratégie invasive précoce peut être envisagée avec une méthode appropriée de confirmation du retentissement fonctionnel d’une sténose (la FFR) afin de proposer une revascularisation. Dans ce cas, les étapes 2 et 3 sont court-circuitées.
Une fois cette démarche exposée, le reste du texte des recommandations expose les raisons, le détail et les modalités de chacune de ces étapes.
Stratégie diagnostique : importance majeure de la probabilité prétest (étape 1)
Avant d’envisager un quelconque examen complémentaire, lorsqu’un diagnostic d’angor est évoqué, le médecin doit évaluer la probabilité que les symptômes d’un patient soient corrélés à une maladie coronaire, avec un moyen simple : l’utilisation des 3 paramètres cliniques que sont l’âge, le sexe et le caractère des symptômes (tableau 1). Il va alors établir une probabilité d’être ou non en présence d’une maladie coronaire et cette probabilité peut être faible (< 15 %), élevée (> 85 %) ou intermédiaire (entre 15 et 85 %). Toute la stratégie ultérieure découle de cette évaluation.
• Chez les patients dont la probabilité prétest est faible (c’est-à-dire les femmes de moins de 50 ans avec un angor atypique et les femmes de moins de 60 ans avec des douleurs non angineuses), un autre diagnostic qu’une maladie coronaire doit être évoqué et les examens complémentaires pour établir un diagnostic de maladie coronaire ne doivent pas être proposés.
• Chez les patients dont la probabilité prétest est élevée (hommes de plus de 70 ans avec un angor typique), les examens diagnostics non invasifs ne sont pas nécessaires et l’évaluation du risque évolutif devient alors essentielle pour juger, si ce risque est élevé, de la nécessité d’une coronarographie dans l’objectif de proposer une revascularisation.
• Chez les patients dont la probabilité prétest est intermédiaire, les examens complémentaires sont nécessaires, d’une part afin d’améliorer la probabilité d’existence d’une maladie coronaire – et donc de permettre le diagnostic – et, d’autre part, afin d’évaluer le risque évolutif potentiel.
Examens non invasifs (étape 2)
Dès lors que la démarche repose sur l’évaluation d’une probabilité prétest, les résultats des examens non invasifs de la stratégie diagnostique doivent être évalués par une approche bayésienne, c’est-à-dire permettre de répondre à la question : quelle est, en fonction de la probabilité prétest de la sensibilité et spécificité de l’examen, la probabilité post-test de maladie coronaire ?
Les examens non invasifs ne doivent être proposés qu’aux patients à probabilité prétest intermédiaire (entre 15 et 85 %) ; deux options sont alors possibles en fonction de la valeur de la fonction cardiaque, ce qui justifie la pratique d’une échocardiographie.
• Soit la fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) est supérieure ou égale à 50 %et les examens à envisager sont : l’épreuve d’effort si elle est faisable, mais lui sera préféré, en fonction de la disponibilité et du niveau d’expertise des praticiens locaux, l’échocardiographie de stress, l’IRM, la scintigraphie myocardique ou le PET.
• Soit la FEVG est inférieure à 50 %et l’épreuve d’effort n’est alors à envisager qu’en cas d’impossibilité d’effectuer un des autres examens cités ci-dessus. Les auteurs précisent toutefois que si l’IRM peut, en un même examen, apporter des renseignements sur l’anatomie coronaire et la fonction cardiaque, elle doit encore être considérée comme un outil de recherche et ne peut être officiellement recommandée comme moyen diagnostique de la maladie coronaire stable. Dans des cas restreints, le coroscanner peut être envisagé en première intention, c’est-à-dire chez les patients à probabilité prétest intermédiaire basse (15 à 50 %), chez qui les conditions techniques sont réunies (rythme cardiaque régulier et non rapide, faible probabilité de calcifications coronaires, disponibilité et expertise locales, etc.).
Au terme de cette démarche, trois possibilités existent.
• Premièrement, le résultat de l’examen n’est pas discriminant (ce qui, par exemple, est regroupé sous les termes « épreuve d’effort douteuse, suspecte, non contributive… ») : en fonction des caractéristiques (p. ex. : pilote de ligne, transporteur routier, etc.) et des choix du patient, soit un deuxième examen diagnostique non invasif, soit un coroscanner, soit une coronarographie avec évaluation de la fonctionnalité des sténoses éventuelles par FFR peut être proposé.
• Deuxièmement, le résultat de l’examen est en faveur d’une ischémie et/ou d’une sténose coronaire : il s’agit donc d’une maladie coronaire stable et c’est alors la stratification du risque qui déterminera s’il faut proposer ou non une coronarographie.
• Troisièmement, le résultat de l’examen permet d’éliminer une ischémie et/ou une sténose coronaire : il faut envisager soit une autre cause que coronaire aux symptômes, soit une maladie coronaire fonctionnelle.
Stratification du risque (étape 3)
L’évaluation du risque s’appuie sur les résultats d’études ayant permis de quantifier non pas le risque d’infarctus du myocarde ou de décès cardiovasculaire, mais la mortalité totale annuelle. Les auteurs des recommandations ont stratifié les niveaux de risque en 3 groupes selon l’incidence de la mortalité annuelle telle qu’elle paraît prédite par certains critères qu’ils vont proposer : risque faible (mortalité annuelle inférieure à 1 %), risque intermédiaire (mortalité annuelle entre 1 et 3 %) et risque élevé (mortalité annuelle supérieure à 3 %). Les 4 éléments d’évaluation du risque sont :
- l’évaluation clinique ; la fonction ventriculaire gauche ;
- la réponse aux examens de stress ;
- l’anatomie coronaire.
Le tableau 2 fournit une synthèse de la prise en compte de certains de ces éléments. La classification du risque à partir de l’épreuve d’effort repose sur le score d’exercice de Duke (figure 1).
Figure 1. Évaluation du risque de la maladie coronaire stable à partir de l’épreuve d’effort selon le score d’exercice de Duke (les explications sont données dans le corps de l’article).
Cette démarche en 5 étapes et/ou 5 critères est exposée dans l’addenda des recommandations :
- la valeur du sous-décalage maximal à l’exercice ;
- la survenue ou non d’une douleur angineuse, limitant l’exercice ou non ;
- la prise en compte des paramètres 1 et 2 fournissant, sur un abaque, un degré d’ischémie ;
- la durée de l’exercice en minutes en cas de protocole de Bruce, sinon la capacité d’exercice en METs en cas d’autres protocoles ;
- la construction d’une ligne, sur l’abaque précité, entre la valeur de la durée d’exercice et le degré d’ischémie, qui croisera alors un marqueur indiquant le risque annuel de mortalité.
L’étape suivante de prise en charge dépend alors du niveau de risque évalué.
• Si le risque est faible (mortalité annuelle prédite inférieure à 1 %), il faut proposer un traitement médical optimal. Si ce traitement est efficace sur les symptômes, il sera poursuivi ; s’il n’est pas efficace, il sera renforcé ; s’il n’est toujours pas efficace, une coronarographie sera proposée.
• Si le risque est intermédiaire (mortalité annuelle prédite entre 1 % et 3 %), il faut proposer un traitement médical optimal, mais une coronarographie peut aussi être envisagée en fonction des comorbidités et des préférences des patients.
• Si le risque est élevé (mortalité annuelle prédite supérieure à 3 %), une coronarographie (avec FFR si nécessaire) en vue d’une éventuelle revascularisation et un traitement médical optimal doivent être proposés.
Traitement médical optimal (étape 3)
Le traitement médical optimal est défini comme celui qui réduit le risque d’événements cliniques et qui prévient et/ou soulage les symptômes.
Réduire le risque est alors envisagé sous deux approches : l’une globale, reposant sur la prise en compte des facteurs de risque, et l’autre, spécifique, considérant l’utilisation de traitements symptomatiques en fonction de leur possibilité d’améliorer le pronostic.
La démarche globale est classique : traitement de l’hypertension artérielle (avec recours préférentiel aux IEC), utilisation d’une statine (si possible pour tous les patients), d’un antiagrégant plaquettaire (aspirine à faible dose si possible pour tous les patients), etc. Élément nouveau, la rééducation cardiaque doit être proposée aussi largement que possible aux patients ayant une maladie coronaire stable. Enfin, parmi les détails « techniques », les tests génétiques permettant d’envisager la réponse aux antiagrégants plaquettaires ne sont pas recommandés.
La démarche spécifique propose de recourir aux traitements de la crise d’angor (nitrés d’action rapide) et aux traitements préventifs, selon une hiérarchie prenant notamment en compte leur effet sur la fréquence cardiaque, l’objectif étant, si cela paraît possible, d’obtenir une fréquence cardiaque de repos inférieure à 60 bpm/min.
Seront donc privilégiés, en première intention, les bêtabloquants et les antagonistes calciques ralentisseurs de la fréquence cardiaque, le vérapamil et le diltiazem (recommandation de grade IA).
Les traitements de seconde intention sont alors les dérivés nitrés d’action prolongée, ou l’ivabradine, ou le nicorandil, ou la ranolazine, en fonction de la fréquence cardiaque, de la pression artérielle et de la tolérance (recommandation de grade IIaB).
Stratégie invasive et revascularisation (étape 3 et/ou 1 dans certains cas)
Les auteurs ont jugé que la coronarographie invasive (avec une FFR si nécessaire) est recommandée :
- pour la stratification du risque chez les patients ayant un angor stable sévère (classe CCS 3) ou ayant un profil clinique suggérant un risque élevé d’événement, particulièrement si les symptômes ne répondent pas adéquatement au traitement médical (grade IC) ;
- pour les patients avec des symptômes modérés, ou asymptomatiques, sous traitement médical et chez qui une stratification du risque par des examens non invasifs indique un haut risque d’événement et pour lesquels une revascularisation est envisagée pour améliorer le pronostic (grade IC).
La coronarographie invasive (avec une FFR si nécessaire) peut aussi être envisagée pour une stratification du risque d’événements chez les patients dont les tests non invasifs de diagnostic ne sont pas concluants ou ayant des résultats discordants en cas de tests multiples (grade IIaC).
Enfin, si un coroscanner est disponible pour une évaluation du risque d’événements, une possible surestimation de la sévérité des sténoses doit être envisagée dans les segments coronaires ayant des calcifications importantes, spécialement chez les patients présentant une probabilité prétest intermédiaire à élevée. Une imagerie de stress additionnelle peut être nécessaire avant d’adresser le patient peu ou asymptomatique à la coronarographie invasive (grade IIaC).
Les recommandations abordent ensuite les différentes modalités techniques de revascularisation coronaire (angioplastie et type de stent, traitement adjuvant, pontage, avec ou sans CEC, type de pontage et, même, procédures hybrides associant pontage et angioplastie…). Elles proposent alors une stratégie reprenant l’essentiel des recommandations de revascularisation proposées conjointement par l’ESC et l’European Association for Cardio-Thoracic Surgery (EACTS) en 2010 et justifiant l’utilisation d’une équipe pluridisciplinaire (heart team) pour porter l’indication. Dans deux cas, le recours à la heart team peut ne pas être envisagé :
- le patient a des sténoses sur 1 à 2 artères coronaires, sans atteinte de l’IVA proximale, cas dans lequel une angioplastie peut être d’emblée proposée ;
- le patient a des lésions tritronculaires, un score SYNTAX au moins égal à 23 et un faible risque chirurgical, cas ou une chirurgie de pontage peut être d’emblée envisagée.
Élément nouveau, ces recommandations intègrent les résultats de l’étude FREEDOM qui sont favorables à une revascularisation par chirurgie plutôt que par angioplastie chez les diabétiques ayant une maladie coronaire pluritronculaire.
Et la part d’inconnu…
En matière de suivi des patients ayant une maladie coronaire stable diagnostiquée, les recommandations rappellent qu’« il n’y a actuellement aucun essai thérapeutique randomisé évaluant l’influence sur le pronostic de différentes stratégies de suivi chez les patients ayant une maladie coronaire stable ».
Les recommandations de suivi sont donc toutes affectées d’un niveau de preuve C. Les trois recommandations de classe I sont les suivantes :
- les visites de suivi sont recommandées tous les 4 à 6 mois dans l’année qui suit le début d’un traitement de maladie coronaire stable et peuvent être espacées à 1 fois par an ensuite. Ces visites peuvent être faites par le médecin généraliste, qui peut adresser le patient au cardiologue en cas de doute sur la conduite à tenir. Ces visites doivent comprendre une prise en compte attentive de l’histoire clinique et des examens biologiques tels que cliniquement justifiés ;
- un électrocardiogramme (ECG) de repos est recommandé de façon annuelle, de même qu’un nouvel ECG en cas de modification du statut angineux, ou de symptômes suggérant une arythmie, ou d’utilisation de traitements pouvant modifier la conduction cardiaque ;
- une épreuve d’effort ou une imagerie de stress, si justifiée, est recommandée en présence de récidive de symptômes ou d’apparition de nouveaux symptômes une fois qu’un angor instable a pu être éliminé.
En France, rappelons que dans son guide ALD (affection longue durée) sur la maladie coronarienne, en avril 2012, la Haute autorité de santé (HAS) proposait, au chapitre du suivi concernant l’épreuve d’effort, qu’elle soit effectuée en bilan initial puis tous les ans chez les patients atteints d’angor stable, capables de faire un test d’effort.
En pratique
Plusieurs examens non invasifs sont disponibles pour faire le diagnostic de maladie coronaire stable. Une utilisation optimale des ressources n’est permise qu’en considérant la probabilité prétest de maladie coronaire. Cette probabilité prétest peut être quantifiée avec des moyens cliniques simples (sexe, âge et caractéristique des symptômes).
Une fois le diagnostic de maladie coronaire stable établi, la prise en charge dépend principalement de la sévérité des symptômes, du risque d’événements cliniques et des préférences du patient.
L’étape thérapeutique consiste à proposer des traitements préventifs des complications et des traitements symptomatiques. En parallèle, il faut évaluer la pertinence d’une indication de revascularisation, et déterminer le mode de revascularisation le plus approprié pour un patient donné.
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