Publié le 14 fév 2015Lecture 7 min
GRCI 2014 : morceaux choisis
G. TREULET, Reims
Le Groupe de réflexion sur la cardiologie interventionnelle (GRCI) est constitué de professionnels de santé intéressés par le partage d’expériences et la transmission d’informations concernant les nombreux domaines couverts par la cardiologie interventionnelle.
Le congrès du GRCI s’est tenu en décembre dernier pour faire partager aux participants : passion, communication et éducation. Vous trouverez ici quelques morceaux choisis.
Syndromes coronariens aigus après 80 ans : comment gérer ?
L’âge est-il une limite à la revascularisation ? Clairement non, selon la présentation d’Erwin Schroeder (Namur, Belgique) lors du GRCI France 2014 sur le thème épineux de la prise en charge du syndrome coronarien aigu (SCA) du sujet âgé (> 80 ans). Premier constat : l’absence quasi complète de recommandations officielles sur le sujet. Concernant le SCA avec sus-décalage ST, le groupe de Zwolle (Hollande) a été le premier à démontrer la supériorité de l’angioplastie primaire sur la thrombolyse. Ce même groupe a montré que ce bénéfice restait significatif chez le sujet âgé. Dans une métaanalyse de 22 essais randomisés(1) incluant 6 763 patients, la réduction de la mortalité absolue à 30 jours était fortement et positivement associée à l’âge. Chez les octogénaires et plus (représentant 6 % des patients), ceux qui étaient randomisés vers l’angioplastie primaire versus la thrombolyse avaient un risque moindre de mortalité (18,3 % versus 26,4 %), de récidive d’infarctus (3,9 % versus 7,0 %) et d’accident vasculaire cérébral (5,8 % versus 7,9 %), bien que la significativité statistique n’ait pas été atteinte, cela étant probablement dû à un trop faible nombre de patients. Cela pose le problème récurrent du manque de données randomisées centrées sur la personne âgée, on n’a que des registres !, dixit Jacques Monségu (Grenoble). Globalement, les données montrent un avantage de l’angioplastie primaire sur la thrombolyse (qui ne fait pas mieux que l’absence de reperfusion au-delà de 80 ans), avec peut-être un biais lié au délai de la prise en charge souvent allongé chez la personne âgée (symptomatologie atypique, appel plus tardif) en faveur de l’angioplastie primaire. Bien que cette dernière ait démontré son efficacité sur les patients les plus à risque, dont font partie les plus de 80 ans, ceux-ci sont paradoxalement moins explorés de manière invasive, probablement par peur des complications iatrogènes. Ces dernières, forcément plus fréquentes dans cette population fragile, ont tendance à diminuer ces dernières années (figure 1).
Figure 1. Mortalité hospitalière liée à la procédure interventionnelle selon l’âge après une angioplastie primaire(2).
Pour les SCA sans sus-décalage ST, mêmes considérations : la stratégie invasive réduit la mortalité et les infarctus non fatals avec un bénéfice d’autant plus important que le patient est âgé(3). Pour le choix du mode de revascularisation (ou de ne pas revasculariser), on peut s’aider des différents scores disponibles (STS, EuroSCORE II, SYNTAX et SYNTAX II, NCDR CathPCI Risk Score System, GRACE, TIMI, HAS-BLED), mais c’est l’âge physiologique qui doit être considéré avant tout, ainsi que les comorbidités, le mode de vie et les préférences du patient. L’âge en lui-même ne doit donc plus être un facteur limitant. Il faut rappeler deux éléments consensuels : privilégier la voie radiale au maximum (voire la radiale gauche en raison de sinuosités fréquentes du tronc brachiocéphalique) et se limiter à traiter la seule lésion coupable.
Quel traitement antithrombotique dans le SCA sans sus-décalage ST chez le sujet âgé ? Malgré une audience plutôt favorable au clopidrogrel en association avec l’aspirine, Adel Aminian (Charleroi, Belgique) a plaidé pour une utilisation plus large du ticagrelor chez le sujet âgé en détaillant l’analyse du sous-groupe des patients de plus de 75 ans de l’étude PLATO (15 % des 18 624 patients) montrant un bénéfice vis-à-vis du risque thrombotique quel que soit l’âge, les patients sous traitement médical bénéficiant le plus du ticagrelor versus le clopidogrel sans majoration significative du risque hémorragique. En revanche, en cas d’anticoagulation orale associée nécessaire, seul le clopidogrel est autorisé. Par ailleurs, l’étude WOEST ouvre des opportunités sur l’utilisation du clopidogrel seul associé aux AVK sans association à l’aspirine, avec une nette diminution du risque hémorragique sans augmenter le risque thrombotique. Les anti-GP IIb/IIIa avant l’exploration invasive sont à oublier dans ce contexte et le fondaparinux doit être privilégié (étude OASIS 5) avec obligatoirement une administration d’héparine non fractionnée en cas de procédure interventionnelle. À défaut, l’énoxaparine peut être utilisée (étude SYNERGY). On rappelle qu’un débit de filtration glomérulaire < 20 ml/min contre-indique le fondaparinux et < 30 ml/min l’énoxaparine. La place de la bivalirudine, du fait de sa récente rétrogradation dans les recommandations européennes, reste controversée. La durée de double thérapie antiplaquettaire n’a pas été étudiée spécifiquement dans la population très âgée, mais une durée raccourcie à 6 mois est parfois évoquée. L’étude TWILIGHT qui évaluera le ticagrelor seul versus le ticagrelor associé à l’aspirine à 3 mois d’une angioplastie par un stent actif chez des patients sélectionnés à hauts risques thrombotiques et hémorragiques pourrait apporter une réponse. Olivier Gash (Liège, Belgique) a rappelé quelques pièges physiopathologiques induits par la vieillesse dans les SCA, notamment la diminution du relargage des troponines par diminution du stock protéique ou encore les doutes sur l’interprétation de la FFR en raison de troubles fréquents de la microcirculation coronaire.
Troponines élevées : comment gérer ?
Sandrine Charpentier (Toulouse) a évoqué les difficultés de l’interprétation de la troponine US (ultrasensible) chez la personne âgée, notamment lors de la prise en charge dans les services d’accueil des urgences. La définition de la valeur seuil pathologique de la troponine US correspond à une valeur supérieure au 99e percentile par rapport à une population de référence de sujets sains (ou une majoration après 3 heures de 50 % en cas de premier dosage négatif ou de 20 % en cas de premier dosage pathologique). Les patients âgés peuvent-ils être considérés comme des sujets sains ? Ils sont porteurs de beaucoup plus de comorbidités pouvant faire monter de façon non spécifique le taux enzymatique cardiaque, notamment la dysfonction rénale, d’où l’intérêt de déterminer une valeur seuil pathologique plus adaptée. Différentes publications proposent donc des seuils à 35 ng/l (versus 14 ng/l habituellement) ou 92 ng/l(4,5). Mais on perd inévitablement en spécificité en majorant la valeur seuil pathologique. On rappelle donc que la troponine US est spécifique de la souffrance myocardique mais pas nécessairement d’une origine coronaire et qu’elle doit toujours être interprétée selon le contexte clinique et électrocardiographique (souvent moins typiques chez l’octogénaire). L’infarctus du myocarde de type 2 (secondaire à l’inadéquation des besoins et des apports myocardiques en oxygène mais sans être forcément lié à une coronaropathie) en est un bon exemple (figure 2). Ce qu’on doit retenir c’est que chez la personne âgée, la troponine doit être plutôt considérée comme un marqueur de fragilité cardiovasculaire.
Figure 2. Causes de concentration anormalement élevée de la troponine(6).
Que faire d’une troponine élevée dans la maladie coronaire stable ?
Pour François Raoux (Le Plessis- Robinson), la troponine T HS (hypersensible) peut être considérée comme un marqueur pronostique. Dans l’étude PEACE(7), chez une population de coronariens stables, après ajustement pour les autres indicateurs pronostiques indépendants, le taux de la troponine T HS est significativement associé à l’incidence des décès d’origine cardiovasculaire et à l’insuffisance cardiaque, mais en revanche pas à l’infarctus du myocarde non fatal. Par contre, le taux de la troponine I US est significativement associé au risque d’infarctus du myocarde, peut-être en rapport avec des mécanismes de libération et/ou de dégradation différents dans le cadre d’une pathologie coronaire chronique. La troponine T ou la troponine I peuvent donc être augmentées dans la maladie coronaire stable. Les explications physiopathologiques sont multiples : épisodes ischémiques minimes et silencieux touchant les microvaisseaux, petites embolisations sur rupture chronique de plaque, processus inflammatoires et apoptotiques, augmentation et remodelage de la masse ventriculaire gauche, élévation du strain ou des pressions de remplissage ventriculaires gauches. La troponine peut donc être un nouveau moyen de stratification du risque cardiovasculaire. Les études futures devront pouvoir identifier les stratégies thérapeutiques en réponse.
Unités de douleurs thoraciques (Chest Pain Unit)
Xavier Marcaggi (Vichy) a fait le point sur le développement assez récent des unités de douleur thoracique (2 000 aux États-Unis, 600 en Europe dont 200 en Allemagne) avec une comparaison par rapport au dosage classique des troponines dans un service d’accueil des urgences. Les études menées en Allemagne et aux États-Unis sont en faveur des CPU (Chest Pain Unit) mais une évaluation récente en Angleterre est plutôt défavorable. On retient que ces unités de douleur thoracique font globalement aussi bien que le dosage des nouvelles troponines US et HS dans la détection du SCA, mais que l’analyse médico-économique n’est pas favorable pour le moment à leur développement en France. La prévalence des facteurs de risque et de la maladie coronaire, et l’organisation des soins urgents sont différentes selon les pays. Le niveau d’éducation de la population, avec un recours au service d’urgence peut-être moins rapide, peut limiter l’efficacité des unités de douleur thoracique dont l’intérêt est celui d’une prise en charge ultra-précoce. Cependant, ces unités spécialisées limitent le temps d’attente aux urgences, améliorent la collaboration avec les cardiologues et les radiologues, avec un accès plus rapide aux USIC ou aux examens d’imagerie en coupe, et permettent à défaut un suivi spécialisé à la sortie. La discussion reste encore ouverte sur leur développement en France.
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