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Congrès et symposiums

Publié le 28 fév 2015Lecture 10 min

Les pièges dans la quantification du rétrécissement aortique

O. HUTTIN, C. SELTON-SUTY, Laboratoire d’échocardiographie – ILCV (Institut lorrain du cœur et des vaisseaux), CHU de Nancy

Le diagnostic de certitude et la confirmation du caractère réellement serré en échocardiographie du rétrécissement aortique (RAo) n’ont jamais été autant d’actualité depuis l’avènement des techniques de remplacement valvulaire par voie percutanée. La complexité de la prise en charge de patients souvent très âgés avec de nombreuses comorbidités nous oblige à une vigilance et à une précision accrues(1). En effet, les imprécisions ou erreurs dans nos évaluations peuvent être responsables d’une prise en charge erronée et des pièges anatomiques peuvent aussi être de potentielles contre-indications ou sources de complications des nouvelles procédures percutanées(2).

Pour bien comprendre les différentes sources d’erreur dans l’appréciation de sa gravité, il faut rappeler que le RAo est une maladie systémique ne touchant pas uniquement la valve. L’ensemble du système cardiovasculaire intégrant la fonction ventriculaire gauche (VG) et le degré de remodelage cardiaque mais également vasculaire, peut moduler la tolérance et la sévérité de l’atteinte. Ainsi, les sources d’erreur se multiplient lorsque coexistent une dysfonction diastolique ou systolique VG, une hypertrophie VG, des valvulopathies associées ou une hypertension artérielle.   Certitude du caractère serré du RAo (figure 1)   Les critères échocardiographiques de sévérité du RAo sont une surface valvulaire aortique effective (SVAo) calculée par équation de continuité inférieure à 1 cm2 ou 0,6 cm2/m2, et/ou un gradient moyen transvalvulaire supérieur à 40 mmHg avec un volume d’éjection systolique (VES) et un débit cardiaque normal(3,4). À noter qu’une dysfonction VG n’est pas synonyme de bas débit et inversement qu’une fonction VG préservée n’est pas synonyme de débit cardiaque préservé. Les erreurs potentielles de quantification du RAo sont en lien direct avec les différents paramètres constituant les formules et méthodes de quantification. Pour l’estimation de la SVAo effective, il faut tout d’abord mesurer la chambre de chasse VG (mm), le VES par l’intégrale temps vitesse sous-aortique en Doppler pulsé (ITV ; cm) et le gradient moyen transvalvulaire aortique en Doppler continu (GM ; mmHg). Les recommandations EAE/ASE proposent aussi le pic de vélocité et l’index de perméabilité < 0,25 (ratio entre ITV sous-aortique et aortique). L’autre paramètre nécessaire peut être la SVAo anatomique par planimétrie bi- ou tridimensionnelle (2D-3D ; cm2)(5). La validité de tous ces critères de quantification a comme prérequis une acquisition et des mesures de qualité, une FEVG normale avec débit cardiaque physiologique et un rythme sinusal et régulier. Cependant, en pratique clinique quotidienne, ces conditions idéales ne sont réunies que dans moins de 50 % des cas. Trois pièges dans l’évaluation de la sténose aortique en découlent : - les pièges techniques relevant de la mauvaise qualité des images obtenues ou d’erreurs de mesure ; - les pièges anatomiques liés à des modifications de géométrie de la zone aortique ; - les pièges hémodynamiques liés à des variations de la précharge, du VES mais également de la postcharge et de l’état vasculaire du patient. Le cardiologue est alors en situation de sur- ou sous-estimation de la sténose ou avec des données discordantes pouvant entraîner un retard de diagnostic ou une prise en charge inadaptée(6). Figure 1. Stratégies et paramètres impliqués dans la survenue de discordance d’évaluation du rétrécissement aortique – surface valvulaire aortique effective (SVAo) avec l’intégrale temps vitesse (ITV) ; le diamètre de la chambre de chasse ventriculaire gauche (D CCSao) et le gradient moyen transvalvulaire aortique – SVAo anatomique par planimétrie. VES : volume d’éjection systolique. Les pièges techniques (figure 2)   Ils peuvent porter sur les 3 paramètres utilisés dans l’équation de continuité. L’imprécision de la mesure de la chambre de chasse avec approximation de la surface sous-aortique est l’erreur la plus souvent rencontrée. Elle est d’autant plus importante que sa valeur est élevée au carré dans la formule de l’équation et que l’anneau aortique n’est pas circulaire(7). Les recommandations ASE/EAE précisent bien que cette mesure doit être réalisée un peu en amont de la valve (0 à 5 mm) contrairement à la mesure de l’anneau aortique réalisée au niveau de l’anneau virtuel que constitue l’insertion des cusps. Elle s’effectue en méso-systole à partir de la coupe parasternale gauche grand axe zoomée. Second élément, le flux sous-aortique doit être laminaire (enveloppe nette, vide de signal) enregistré pas trop proche de la valve pour éviter l’aliasing lié au RAo mais avec la visualisation du clap de fermeture. La sonde doit être orientée afin d’obtenir le meilleur alignement possible et le volume d’échantillonnage doit être positionné à l’endroit même de la mesure de la chambre de chasse pour ne pas sous-estimer la valeur du VES. Pour l’acquisition en Doppler continu du flux aortique, il faut multiplier les incidences par voie apicale 3 et 5 cavités d’autant plus qu’il existe des calcifications et ne pas hésiter à enregistrer les flux par voie parasternale droite ou supra - sternale en utilisant la sonde Pedoff. Un des pièges techniques pouvant se produire chez des patients peu échogènes est de confondre l’enregistrement du flux de fuite mitrale avec celui du Rao en Doppler continu. Il est utile pour faire la part des choses d’analyser le flux, en apprécier la vitesse maximale et s’aider du Doppler couleur. Un point clé dans la différenciation de ces deux flux est l’inclusion des temps de relaxation et contraction isovolumique dans le flux Doppler continu de l’insuffisance mitrale. Figure 2. Piège technique. A. Principalement lié à une irrégularité ou imprécision de la mesure de la chambre de chasse du ventriculaire gauche ou B de la vitesse intégrale temps vitesse sous-aortique en Doppler pulsé. Les pièges anatomiques (figure 3)   Tout obstacle sur la voie aortique peut entraîner une élévation des vitesses sous-aortique ou des gradients alors même que la valve aortique est strictement normale. Les vraies sténoses supra- et sous-aortiques sont assez rares mais doivent être évoquées en cas de gradients élevés alors même que la SVAo anatomique n’est pas en relation avec le degré de l’obstruction. Des investigations supplémentaires avec réalisation d’une ETO (2D et 3D) et d’une imagerie en coupe (scanner ou IRM cardiaque) permettent de rétablir le diagnostic. Parmi les sténoses sous-valvulaires, il faut penser à la membrane sous-aortique qui est parfois très fine, mobile et non visible en ETT. Peut s’y associer une bicuspidie mais surtout une dégénérescence précoce de la valve aortique liée aux turbulences entre la membrane et la valve elle-même avec une fermeture méso-systolique. On observe lors de l’enregistrement du flux Doppler sous-aortique des vitesses très élevées avec aliasing rendant impossible la quantification de la surface effective et des gradients élevés alors même que la valve s’ouvre normalement en imagerie bidimensionnelle avec une SVAo par planimétrie qui est normale. L’autre cause d’obstruction sous-valvulaire, plus fréquente, est liée à un bourrelet sous-aortique avec modification de la géométrie de la chambre de chasse et accélération des vélocités sous-aortiques. Cette accélération va alors être responsable d’une surestimation de la SVAo effective. Les causes de l’association d’une obstruction sous-aortique et d’un RAo sont la présence concomitante d’une cardiomyopathie hypertrophique primitive ou le plus souvent d’une hypertrophie VG réactionnelle à la surcharge de pression créée par la sténose aortique. Il faut dans tous les cas regarder attentivement la valve pour réaliser une planimétrie en complément et la chambre de chasse qui est souvent plus petite mais aussi sous-estimée à cause de la présence du bourrelet. Un mouvement antérieur systolique de la grande valve mitrale (SAM) comme dans la CMH primitive est moins habituel mais peut exister, notamment s’il existe une angulation septo-aortique faible (< 110°). L’apparition d’un flux en lame de sabre en transparence du flux de Doppler continu doit faire évoquer une participation dynamique sous-aortique à l’obstruction et pousser à la réalisation de la manœuvre de Valsalva pour en apprécier l’importance. Nous insistons sur cette association car il s’agit d’un élément de mauvais pronostic reconnu et nécessaire à identifier en préopératoire(8). Tout d’abord elle peut entraîner une sous-estimation de la SVAo effective avec un retard de prise en charge mais aussi aboutir à des complications per- et postopératoire avec persistance de gradients élevés, instabilité postopératoire hémodynamique liée au SAM, voire malposition et migration vers l’aorte d’une prothèse percutanée lors de son implantation. Dans ces situations, l’une des alternatives recommandées, en cas d’impossibilité d’appliquer les équations Doppler dépendantes, est de mesurer la SVAo par planimétrie en ETO ou scanner si nécessaire. La limite principale de la planimétrie hormis l’échogénicité et les calcifications est la difficulté de mesurer la surface à l’extrémité des cusps aortiques au risque sinon de la surestimer. L’une des options pour améliorer la précision est l’utilisation d’ETO et l’imagerie en 3D multiplanaire pour se placer sur une coupe grande axe (ETO 120°) avec sur une reconstruction orthogonale la mesure en planimétrie à l’endroit souhaité avec la meilleure corrélation au scanner(9). Figure 3. Piège anatomique. A. Obstruction sous-aortique concomitante d’un RA serré avec gradient moyen transvalvulaire aortique (52 mmHg) et une obstruction sous-aortique dynamique avec lame de sabre et (gradient maximal à 34 mmHg) ; B. Sténose aortique sous-valvulaire aortique secondaire à une membrane sous-aortique sans RA (aliasing débutant sous la valve et gradient moyen transvalvulaire à 42 mmHg). Les pièges hémodynamiques (figure 4)   Les gradients de pression transvalvulaires aortiques sont fortement dépendants du volume de sang éjecté lors de chaque systole. Toute modification des conditions de pré- et postcharge va entraîner des variations des vélocités mais également de leur profil(10). Pour exemple, une durée de diastole longue lors de troubles conductifs ou après le repos compensateur d’une ESV entraînera une surestimation systématique du gradient de la systole suivante. Tout contexte d’hyperdébit va également majorer le VES et donc les gradients (anémie, fièvre, hyperthyroïdie, fistule artérioveineuse). Une fuite aortique importante va aussi du fait de la surcharge volumique majorer les gradients et par conséquent surestimer la sténose. L’association d’une fuite et d’une sténose modérément serrée peut cependant constituer une maladie aortique sévère avec indication chirurgicale. La postcharge doit aussi être prise en compte avec au moins la mesure de la pression artérielle au moment de l’évaluation. La rigidité de l’arbre vasculaire semble un paramètre fondamental avec un intérêt d’évaluer cette postcharge globale par le calcul de l’impédance ventriculo-artérielle (pression artérielle systolique + GM/VES) dans certaines situations avec bas gradients(11). On sait qu’une valeur ≥ 4,5 mmHg/ml/m2 augmente le risque de mortalité(11). Enfin, le phénomène de restitution de pression lié à une récupération de l’énergie cinétique par les parois d’une aorte de petit calibre (< 30 mm) en aval de la sténose peut aussi conduire à une surestimation des gradients. Dans ce cas précis, l’indice de perte d’énergie (IPE), qui tient compte de la SVAo effective (SVAoE) et de la surface de section de l’aorte ascendante (SAA) doit être calculé [(IPE = (SVAoE°—SAA)/(SAASVAoE)] et est considéré comme pronostique si < 0,6 cm2/m2(10). La situation inverse est la présence d’un bas débit cardiaque avec chute des vélocités sousaortiques. Il est défini par un VES inférieur à 35 ml/m2 et entraîne une diminution des gradients transvalvulaires aortiques (< 40 mmHg). Il faut en premier lieu éliminer une fuite mitrale importante responsable d’une chute du débit aortique. En cas de fonction VG normale et donc de discordance entre la SVAo et les gradients, nous sommes dans la situation du bas débit paradoxal lié en partie à un VES faible par remodelage concentrique du VG mais également à une postcharge élevée. Il s’agit d’une entité clinique qui est bien identifiée où malgré la discordance entre les 2 mesures, le caractère serré du RA n’est plus discuté. Par contre, en cas de dysfonction VG (FEVG < 40 %) et en présence d’un bas débit cardiaque et de gradients faibles, le calcul de la SVAo effective est alors pris en défaut en raison des modifications du profil de vélocité de la chambre de chasse devenant parabolique(12). La SVAo est alors sous-estimée, le seul moyen de confirmer le caractère réellement serré du RA est de réaliser une échocardiographie de stress à la dobutamine afin de restaurer un débit suffisant pour conforter une augmentation parallèle des gradients transvalvulaires s’il existe une réserve contractile. Une SVAo restant infracentrimétrique tout au long du stress et au pic confirme le caractère réellement serré du RAo. Un certain nombre de pièges dans la quantification du RA peuvent être écartés en réalisant des images et mesures de qualité explorant précisément l’ensemble de la zone aortique constituée par la chambre de chasse, le bourrelet sous-aortique et l’aorte ascendante. Il reste alors dans certaines situations une discordance entre les différents paramètres de quantification en sachant qu’une évaluation précise et attentive du VES (Doppler et volumétrique) peut le plus souvent permettre de comprendre la situation et apporter une information pronostique majeure, ceci quels que soient la FEVG et les gradients(13). Figure 4. Piège hémodynamique. Exemple de 2 patients avec sténose aortique, dysfonction ventriculaire gauche (FEVG < 30 %) et bas débit cardiaque avec bas gradient : échocardiographie de stress à la dobutamine avec réserve contractile dans les 2 cas (augmentation de l’ITV sous aortique de plus de 20 %) ; au pic du stress, on dévoile une RA pseudo-serré (à gauche) avec surface devenant > 1 cm2 et à droite un RA réellement serré avec surface infracentrimétique (GM : gradient moyen ; ITV : intégrale temps vitesse ; SVAo : surface valve aortique ; VES : volume d’éjection systolique). 

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