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Congrès et symposiums

Publié le 14 oct 2015Lecture 8 min

Endocardite : recommandations ESC 2015

J.-L. MONIN, CHU Henri Mondor, Créteil

Les recommandations ESC 2015 sur le diagnostic et la prise en charge des patients atteints d’endocardite sont dirigées une nouvelle fois par le Pr Gilbert Habib (CHU La Timone, Marseille), dont l’équipe a très largement contribué à l’avancement de nos connaissances dans ce domaine depuis une dizaine d’années. L’actualisation de ces Guidelines(1), dont la précédente version datait de 2009, est justifiée par un certain nombre d’évolutions récentes :
- publication de plusieurs séries observationnelles dont la première étude randomisée sur la chirurgie précoce en cas de dégâts valvulaires importants ou de végétations de grande taille ;
- développement de l’imagerie multi-modalité (PET-scanner, scintigraphie aux leucocytes marqués) qui vient améliorer la sensibilité de l’échographie cardiaque pour un diagnostic précoce ;
- nécessité d’une prise en charge pluridisciplinaire entre cardiologues, chirurgiens cardiaques, infectiologues, anesthésistes et spécialistes en imagerie permettant d’améliorer le pronostic des patients. 

Cet article abordera 3 points essentiels pour le cardiologue praticien : 1/ la prévention de l’endocardite et les indications d’antibioprophylaxie, 2/ les nouveaux critères diagnostiques intégrant l’imagerie cardiaque multi-modalité qui vient renforcer l’échographie, 3/ l’importance des centres de référence pour une prise en charge multidisciplinaire (Endocarditis Team) de tous les cas graves d’endocardite.   Antibioprophylaxie : confirmation des indications restreintes   La restriction des indications d’antibioprophylaxie est basée sur une meilleure connaissance de la physiopathologie de l’endocardite et sur la réévaluation du rapport bénéfice-risque. Les points importants sont les suivants : mise en évidence de faibles bactériémies à répétition lors de la mastication et du brossage dentaire potentiellement responsables d’endocardite, absence de lien formel entre les soins dentaires et la survenue d’endocardites dans les études cas-témoins, absence de réduction de la prévalence d’endocardites par une antibioprophylaxie large, qui expose par ailleurs au risque d’anaphylaxie et d’émergence de germes résistants. Entre 2000 et 2010, les indications d’antibioprophylaxie ont chuté de 80 % au Royaume-Uni, étant actuellement limitées aux porteurs de prothèses valvulaires et aux patients ayant un antécédent d’endocardite. Une seule étude épidémiologique anglaise est en faveur d’une augmentation faible mais significative de la prévalence d’endocardite à partir de 2008(2). Cependant le lien de causalité entre cette augmentation et la limitation de l’antibioprophylaxie ne peut être établi formellement compte tenu de nombreux facteurs confondants, notamment la progression des endocardites sur matériel implantable (pacemaker, défibrillateur) et l’absence de données microbiologiques sur la nature des germes impliqués(2). À l’opposé, 4 autres études d’envergure n’ont retrouvé aucune augmentation de l’incidence d’endocardite suivant l’application des nouvelles guidelines : une étude anglaise(3), une française(4) et 2 études américaines(5,6). En conséquence, le comité scientifique des Guidelines ESC 2015 confirme la restriction de l’antibioprophylaxie aux seuls patients à haut risque d’endocardite (tableau 1) et uniquement pour les soins dentaires touchant la muqueuse orale ou gingivale ou la région dentaire périapicale (tableau 2). À l’opposé des guidelines américaines, l’ESC ne recommande pas d’antibioprophylaxie chez les patients transplantés cardiaques qui développent une valvulopathie du greffon. L’antibioprophylaxie n’est recommandée dans aucune valvulopathie native en l’absence d’antécédent d’endocardite ni aucune cardiopathie congénitale en dehors des cardio-pathies cyanogènes ou des corrections chirurgicales incomplètes (shunt intracardiaque ou régurgitation valvulaire persistante) (tableau 1). L’antibioprophylaxie n’est également recommandée pour aucune procédure invasive cutanée, digestive, génito-urinaire ou respiratoire compte tenu de l’absence de lien de causalité entre d’éventuelles bactériémies survenant au cours de ces procédures et la survenue d’endocardites (tableau 2). Adapté d’après les Recommandations ESC 2015, Habib G et al.(1). Adapté d’après les Recommandations ESC 2015, Habib G et al.(1). Implants dentaires, tatouages, piercing : principe de précaution La question des implants dentaires revient régulièrement, sans que l’on dispose de données solides sur ce point. Actuellement, les implants dentaires ne sont pas systématiquement contre-indiqués, y compris chez les patients à haut risque d’endocardite(1). Les indications doivent être pesées au cas par cas, en informant le patient d’un risque potentiel d’infection et de la nécessité d’un suivi dentaire rapproché (au moins semestriel chez les patients à haut risque)(1). Les tatouages et piercings représentent également un risque infectieux mal évalué, des cas de bactériémie ayant été rapportés, notamment après piercing de la langue. Bien qu’il n’existe aucune donnée précise sur le risque d’endocardite après tatouage ou piercing, il semble raisonnable de prévenir les patients des dangers de ces pra tiques et d’essayer de les décourager, non seulement pour les patients à haut risque (tableau 1) mais également pour tout patient ayant une valvulopathie native(1). Si le patient persiste dans son intention, l’antibioprophylaxie n’est pas recommandée ; par contre, les conditions d’asepsie au cours de ces pratiques doivent être strictement respectées(1).   Modalités pratiques de l’antibioprophylaxie/ autres mesures préventives L’antibioprophylaxie, réservée uniquement aux patients à haut risque et avant soins dentaires touchant la muqueuse orale ou gingivale ou la région dentaire périapicale, consiste généralement en la prise orale (PO) de 2 g d’amoxicilline (50 mg/kg chez l’enfant) une heure avant le soin ; l’injection intraveineuse (même posologie) est également possible. En cas d’allergie aux bêtalactamines, l’alternative peut être la clindamycine, 600 mg PO (20 mg/ kg chez l’enfant). Concernant les autres mesures préventives, l’hygiène dentaire semble primordiale avec notamment un brossage biquotidien et une consultation dentaire annuelle (semestrielle pour les patients à haut risque) afin de dépister d’éventuelles caries ou autre foyer infectieux(1). Tout foyer infectieux dentaire (ou autre) identifié avant une intervention valvulaire cardiaque programmée doit être éradiqué avec respect d’un délai de cicatrisation d’au moins 15 jours avant l’intervention valvulaire(1) (tableau 3). Il va de soi qu’une asepsie rigoureuse doit être respectée pour tous les actes invasifs qui ne nécessitent pas d’antibioprophylaxie, notamment les actes d’endoscopie digestive, respiratoire ou génito-urinaire(1).   Antibioprophylaxie systématique avant implantation d’un pacemaker, prothèse transcathéter ou endoprothèse vasculaire Compte tenu du risque de bactériémie, l’antibioprophylaxie doit être systématique avant implantation d’un pacemaker ou défibrillateur, d’une prothèse valvulaire transcathéter ou de toute endoprothèse vasculaire(1) (tableau 3). Les bactéries les plus souvent en cause étant les staphylocoques dorés ou coagulase-négatifs, il est recommandé d’injecter 1 g de céfazoline IV juste avant la procédure et de renouveler l’injection après 8- 12 heures en cas de procédure longue et jusqu’à 48 heures après la fin de la procédure(1). Ce protocole a démontré son efficacité avant implantation d’un pacemaker ou défibrillateur dans une large étude randomisée brésilienne(7). Par ailleurs, le dépistage du portage nasal de staphylocoques dorés est systématiquement recommandé avant toute chirurgie cardiaque, suivi d’un traitement antibiotique et antiseptique local (mupirocine, chlorhexidine) en cas de prélèvement positif. L’efficacité du traitement local en cas de portage asymptomatique a également été démontrée dans une étude randomisée(1). Adapté d’après les Recommandations ESC 2015, Habib G et al.(1). Diagnostic positif : apport de l’imagerie multi-modalité   Compte tenu de la grande variété de tableaux possibles, l’endocardite demeure un challenge diagnostique pour le clinicien dans bon nombre de cas. En dehors des formes aiguës avec tableau septique bruyant le plus souvent dues aux staphylocoques, les formes lentes peuvent prendre le masque d’affections rhumatologiques, neurologiques, autoimmunes ou cancéreuses. Les accès fébriles éventuellement accompagnés de frissons sont extrêmement fréquents (90 % des cas), de même que l’anorexie et la perte de poids. Un souffle cardiaque est retrouvé dans 85 % des cas et une embolie systémique est présente au premier examen dans 25 % des cas. De ce fait, l’association fièvre-embolie systémique doit déclencher le processus diagnostique et la collaboration entre cardiologues, infectiologues et bactériologistes(1).   L’échocardiographie (ETT/ETO) toujours en première ligne L’échographie cardiaque, transthoracique (ETT) ou transoesophagienne (ETO), reste la pierre angulaire du diagnostic, de l’évaluation pronostique et de la surveillance sous traitement des patients atteints d’endocardite. Quatre critères diagnostiques majeurs sont diagnostiqués par échographie : végétations, perforations valvulaires, abcès/fistules périvalvulaires et désinsertions de prothèses. L’ETO est plus sensible que l’ETT pour détecter les végétations sur valve native (95 % vs 70 %) ou sur prothèse (90 % vs 50 %) ; il en est de même pour le diagnostic d’abcès périvalvulaire (90 % vs 50 %). De ce fait, l’ETT est pratiquée d’emblée chez tous les patients suspects d’endocardite, suivie d’une ETO dans la plupart des cas compte tenu d’une meilleure précision, y compris en cas d’ETT positive(1). En cas d’échographie négative, il est important de répéter l’examen (ETT et/ou ETO) 5 à 7 jours plus tard si la suspicion clinique (et biologique) d’endocardite reste forte ; ce délai doit être raccourci en cas de suspicion d’endocardite à Staphylococcus aureus(1).   Scanner multi-coupes, PET-scanner et scintigraphie aux leucocytes marqués Pour pallier les limites de l’échographie, le scanner cardiaque, la scintigraphie aux leucocytes marqués et le PET-scanner sont actuellement d’utilité reconnue. Le scanner permet notamment de mieux évaluer l’extension des abcès ou autres lésions périvalvulaires, volontiers sous-estimés par l’ETO. Le PET-scanner permet un diagnostic précoce d’endocardite sur prothèse en visualisant l’inflammation périprothétique (fixation du 18F-FDG) à un stade ou l’ETO et le scanner multi-coupes sont encore négatifs (figure)(9). La scintigraphie aux leucocytes marqués, d’un maniement plus complexe, détecte également les processus infectieux périprothétiques avec une spécificité probablement accrue par rapport au PET-scanner. De ce fait, les recommandations ESC 2015 préconisent d’ajouter 2 critères majeurs d’imagerie pour le diagnostic d’endocardite (tableau 4) : 1/ fixation du traceur périprothétique détectée par PET-scanner ou scintigraphie à plus de 3 mois du remplacement valvulaire initial et 2/présence d’abcès ou fistulisation périvalvulaire détectée au scanner multi-coupes(1). Pour mémoire, la détection d’un accident ischémique cérébral asymptomatique par IRM est également proposée comme nouveau critère mineur ESC 2015(1). Intérêt d’une imagerie de fusion PET-scanner pour le diagnostic précoce d’endocardite sur prothèse valvulaire. A/ Fixation précoce du 18F-FDG (inflammation) sur la zone périprothétique (flèches jaunes) et sur la porte d’entrée digestive (sigmoïdite, flèches vertes). B/ Absence de végétation ou d’abcès périprothétique sur la première ETO, contemporaine de l’imagerie de fusion. C/ Apparition d’un abcès périprothétique sur un contrôle ETO pratiqué à J+10. Remerciements : Pr Gilbert HABIB, CHU La Timone, Marseille.  Adapté d’après les Recommandations ESC 2015, Adapté d’après les Recommandations ESC 2015, Habib G et al.(1). Habib G et al.(1). Staff multidisciplinaire au sein d’un centre de référence : Endocarditis Team   Après le Heart Valve Teamencouragé par les dernières Guidelines européennes et américaines pour optimiser la prise en charge des patients valvulaires, voici l’Endocarditis Team ! En effet, l’endocardite est une maladie infectieuse complexe pouvant toucher plusieurs organes (coeur, cerveau, reins, peau et oeil entre autres) dont la prise en charge requiert la collaboration de plusieurs spécialités médicales, chirurgicales et biologiques. Un Groupe Expert Endocardite composé de cardiologues, chirurgiens cardiaques, infectiologues, bactériologistes, neurologues, radiologues (et autres) est donc indispensable pour optimiser la prise en charge des patients. Cette collaboration multidisciplinaire a démontré son efficacité dans plusieurs études récentes. L’équipe du CHU La Timone (Marseille) a notamment démontré qu’en appliquant des protocoles thérapeutiques standardisés, des indications opératoires conformes aux recommandations et un suivi du patient jusqu’à 12 mois après la phase aiguë, la mortalité de l’endocardite à 1 an pouvait être réduite de 19 à 8 %, ce qui est très significatif(10). Il est donc recommandé d’adresser les patients atteints d’endocardite compliquée dans un centre médico-chirurgical disposant de toutes les facilités (chirurgie cardiaque, imagerie multimodalité incluant échographie, scanner, PET-scanner et scintigraphie) et d’un groupe multidisciplinaire d’experts afin d’essayer de réduire progressivement la mortalité qui reste lourde actuellement(1). Le prérequis et les responsabilités du Groupe Expert Endocardite sont résumés dans le tableau 5, qui insiste notamment sur la nécessité d’une autoévaluation des pratiques et une publication des résultats de l’équipe ainsi que sur la participation à des registres multicentriques nationaux et internationaux(1).  Adapté d’après les Recommandations ESC 2015, Habib G et al.(1).

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