Publié le 15 mar 2022Lecture 6 min
Une nouvelle ère dans l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection réduite
Michèle DEKER, Neuilly
Les preuves d’un effet bénéfique important du traitement par iSGLT2 dans l’insuffisance cardiaque sont aujourd’hui réunies, et ce, quels que soient le contexte et le type d’IC (à FE réduite ou préservée, en ambulatoire ou en aigu). L’effet des iSGLT2 est rapide et le profil de sécurité est très bon. La reconnaissance des bénéfices cardio-rénaux de cette classe thérapeutique a logiquement conduit à revoir les recommandations dans l’insuffisance cardiaque.
L’étude DAPA-HF a bouleversé la prise en charge de l’insuffisance cardiaque (IC) en montrant que la dapagliflozine réduit les hospitalisations et les visites urgentes pour insuffisance cardiaque, avec un NNT de 20 pour éviter un événement. Cet effet est rapide puisque que le nombre d’événements est divisé par 2 à 30 jours. En outre, la qualité de vie est améliorée. Les deux principales difficultés dans le traitement de l’insuffisance cardiaque sont la pression artérielle et la fonction rénale. À cet égard, les iSGLT2 ne posent pas de difficulté particulière. La baisse de pression artérielle est en moyenne de 4 mmHg chez les patients ayant une PAS aux alentours de 130 mmHg et < 2 mmHg lorsque la PAS est < 110 mmHg. L’efficacité du traitement est maintenue même si la PA baisse. Une réanalyse de DAPA-HF montre que la diminution hémodynamique initiale de la fonction rénale est suivie d’un retour ad integrum ; l’effet du traitement est conservé même pour des DFG < 45 ml/min voire en deçà. L’effet décongestionnant est plus ou moins important en fonction des patients, sans nécessité de réduire systématiquement le traitement par diurétique de l’anse.
Les bénéfices des gliflozines démontrés dans l’IC à FE réduite s’appliquent aussi dans l’IC à FE préservée avec une réduction de 20 % des événements mise en évidence dans l’étude EMPEROR-Preserved. Les résultats d’une étude avec la dapagliflozine dans cette indication sont attendus. L’étude EMPULSE a évalué l’empagliflozine dans l’IC aiguë sur plusieurs critères : la mortalité, la fréquence des hospitalisations pour IC et la qualité de vie. En intégrant ces trois critères, on obtient une amélioration de 30 % sous empagliflozine ; le temps jusqu’au décès est amélioré significativement (décès à 90 jours :4,2 % vs 8,3 % sous placebo).
• Une stratégie « pragmatique » vs « evidence-based »
Pour la première fois les peptides natriurétiques intègrent la définition universelle de l’IC, suspectée sur des symptômes, des signes et des facteurs de risque. Un taux élevé ne suffit pas au diagnostic mais conduit à réaliser une échocardiographie.
La ligne directrice des nouvelles recommandations dans l’IC à FE réduite a changé passant d’une stratégie en plusieurs étapes successives à une stratégie où tous les patients devraient recevoir d’emblée un IEC/ARA2, un bêtabloquant (BB), un antagoniste des récepteurs minéralocorticoïdes (ARM) et un iSGLT2, tous ces médicaments étant classés IA. Le sacubitril-valsartan vient en remplacement des IEC ; il peut être prescrit en première intention mais sans bénéficier d’un niveau de preuve suffisant en 1re intention (IB).
Prescrire tous les médicaments ayant montré leur efficacité dans l’IC d’emblée chez tous les malades ne relève pas uniquement de raisons scientifiques, mais aussi de raisons pragma-iques pour éviter l’inertie médicale : attendre, c’est prendre le risque qu’un malade décède avant d’avoir pu bénéficier de tous les traitements disponibles ; le niveau de preuve en faveur d’une bithérapie initiale (qui pourrait être estimée suffisante a priori) est inférieur à celui de la quadruple association.
Reste la problématique de l’IC de novo, chez des patients récemment décompensés. Il a été montré que le remplacement de l’IEC par le sacubitril-valsartan apporte un bénéfice sur le NT-proBNP et diminue le risque de réhospitalisation dans PIONEER-HF. Les études SOLOIST, avec un inhibiteur mixte des cotransporteurs de type 1 et 2 chez des patients diabétiques, et EMPULSE, chez des patients diabétiques ou non diabétiques avec l’empagliflozine, ont montré l‘intérêt d’introduire rapidement une gliflozine pour améliorer le pronostic. En revanche, il est vrai qu’aucune étude contrôlée n’a évalué l’introduction concomitante de toutes les thérapeutiques de l’IC, en particulier pour les patients naïfs de tous ces agents, ce qui ne signifie pas que cette stratégie pragmatique soit inefficace. En pratique, la question n’est pas tant celle de leur efficacité mais plutôt de leur tolérance et de l’ordre d’introduction de ces médicaments. On peut s’interroger sur le risque d’hypotension artérielle, qui existe principalement avec le sacubitril-valsartan lorsqu’il est introduit conjointement aux autres thérapeutiques. En revanche, ce risque est mineur à l’introduction de la dapagliflozine en addition d’un diurétique. Le risque d’hypovolémie existe à l’introduction du sacubitril-valsartan, mais pas avec la dapagliflozine, même si cet agent est un aquarétique. Il faut laisser la même dose de diurétique en s’assurant que le malade ne se déshydrate pas.
Certains malades vont s’améliorer sous traitement, ce qui pose la question du maintien des quatre thérapeutiques. Les IEC et les BB doivent être poursuivis, en particulier s’il s’agit d’une IC postinfarctus. Il n’existe cependant pas de réponse concernant les autres thérapeutiques.
• Ne pas négliger le rein
La fonction rénale décline de 0,5 à 1 ml/min/an, mais plus rapidement en cas de diabète, IC, HTA non contrôlée, obstruction, néphropathie, et avec certains traitements. L’insuffisance rénale chronique est un facteur de risque cardiovasculaire. Le traitement de l’insuffisance rénale chronique (IRC) est proche de celui de l’IC, basé sur les IEC/ARA2, qui permettent de ralentir de déclin de la fonction rénale et de diminuer la protéinurie. Par ailleurs, les gliflozines ont fait la preuve d’un bénéfice rénal, d’autant plus important que la protéinurie est élevée. Le débit de filtration glomérulaire (DFG) diminue initialement mais, avec la poursuite du traitement, la pente de déclin du DFG s’améliore. Dans l’étude DAPA-CKD réalisée dans l’insuffisance rénale chronique avec la dapagliflozine, en dehors de l’IC, le critère composite rénal est nettement amélioré versus placebo, de même que le critère cardiovasculaire, et ce chez les patients diabétiques et non diabétiques. Une extrapolation réalisée en considérant que l’effet de la dapagliflozine est stable dans le temps montre que la dapagliflozine permettrait de reculer d’une dizaine d’années la survenue d’une insuffisance rénale au stade de suppléance. Qu’en est-il du risque d’insuffisance rénale aiguë si tous les traitements de l’IC sont prescrits simultanément ? Un récent travail ne montre pas d’augmentation significative des IR aiguës chez les malades du groupe dapagliflozine versus placebo (Heerspink KI, 2022).
En pratique, il faut vérifier que le DFG remonte après avoir baissé à l’introduction de la dapagliflozine. Il est important quand on prescrit un iSGLT2 de surveiller la créatinine 15 jours après puis tous les mois pendant 6 mois et de faire des bandelettes urinaires : la mise en évidence d’une glucosurie permet de vérifier que le traitement est bien pris ; cela permet aussi de déceler l’apparition d’une albuminurie, éventuellement de la suivre, et de surveiller les nitrites et les leucocytes pour dépister une infection urinaire asymptomatique.
Le meilleur traitement de l’insuffisance rénale consiste ralentir sa progression. Nous disposons pour cela des IEC/ARA2, du contrôle des facteurs de risque cardiovasculaires et des iSGLT2.
D’après le symposium « L’insuffisance cardiaque dans tous ses états », organisé avec le concours de AstraZeneca, avec la participation d’A. Cohen-Solal, M.-F. Seronde, N. Girerd, N. Lamblin, F. Diévart et C. Vigneau JESFC 2022
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