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Congrès et symposiums

Publié le 29 fév 2016Lecture 11 min

Régime en cardiologie : the death of a rising star ?

J. FERRIÈRES, Fédération de cardiologie, CHU Rangueil, TSA 50032, Toulouse


JESFC
Dès qu’un patient aborde la question du régime dans une consultation de cardiologie, nous sommes tous aussi mal à l’aise les uns que les autres. En effet, nous avons appris à l’université des éléments de nutrition qui sont des bases fondamentales. Ces connaissances ne sont généralement pas très faciles à transposer à la réalité du terrain tant est importante la diversité alimentaire chez nos patients. En 2016, on a la chance d’avoir de nombreuses publications récentes permettant d’y voir plus clair entre la nutrition et le risque cardiovasculaire dans le domaine de l’athérosclérose.

« Fat free », c’est fini ?   Les scientifiques ont désigné le gras comme un ennemi : pourquoi avaient-ils tort ? Voilà comment s’exprimait la Une du Time il y a quelques mois pour annoncer à la planète entière que les médecins s’étaient trompés en désignant comme athérogène les matières grasses. Bien évidemment, la situation est beaucoup plus complexe. Lors de nos consultations, le premier conseil qui était donné jusqu’à présent était de désigner le cholestérol alimentaire comme un des éléments cruciaux à l’origine de l’athérosclérose vasculaire. Il était pourtant relativement clair que la plupart des patients ne sont pas des consommateurs exagérés de chocolat ou ne mangent pas des quantités extraordinaires d’œufs. Il a fallu pourtant qu’une métaanalyse soit publiée en 2015 pour que la situation change(1). Les auteurs ont analysé 40 études publiées entre 1979 et 2013 pour savoir si le cholestérol alimentaire avait un impact sur le risque cardiovasculaire. Dans cette métaanalyse, le cholestérol alimentaire n’est pas associé au risque de maladie coronaire, d’accident vasculaire cérébral ischémique ou hémorragique. Il n’y a donc plus de raison de limiter de manière drastique la consommation de cholestérol alimentaire chez ceux qui en consomment de manière normale ou modérée et c’est bien ce qui a été mis dans les recommandations américaines de prévention cardiovasculaire de 2013. Un deuxième grand coup a été porté sur les acides gras saturés. Les acides gras saturés constituaient la cible majeure de tous les régimes proposés aux patients ayant fait une maladie cardiovasculaire d’origine athéromateuse. Or, deux métaanalyses successives ont été publiées prouvant l’absence de relation entre la consommation des acides gras saturés totaux et le risque cardiovasculaire. La première métaanalyse publiée en 2014(2) a analysé de nombreuses études en quantifiant les acides gras et en étudiant la maladie coronaire. L’énorme avantage de cette métaanalyse est qu’elle a pu analyser de manière précise les différents acides gras et leurs effets sur la maladie coronaire. Sur le plan nutritionnel, les acides gras saturés totaux ne sont pas associés à la survenue de la maladie coronaire alors que les acides gras trans sont associés à un surrisque de 16 % de développer une maladie coronaire. Lorsque ces mêmes auteurs(2) ont analysé les acides gras circulants dans les études biochimiques, ils ont montré que les acides gras de type margarique (17:0) et la combinaison des acides gras saturés pentadécanoïques et margariques (15:0 et 17:0) sont associés à une protection vis-à-vis de la maladie coronaire. Ceci est aussi vrai pour les acides gras polyinsaturés eicosapentaénoïques et docosahexaénoïques où l’on assiste à une protection vis-à-vis de la maladie coronaire. Ainsi, tous les acides gras ne sont pas équivalents à la plupart des acides gras saturés qui sont neutres vis-à-vis du risque cardiovasculaire ; certains acides gras saturés sont protecteurs et des acides gras polyinsaturés comme les acides gras oméga 3 sont également bénéfiques sur le plan cardiovasculaire. Une deuxième métaanalyse a été publiée en 2015(3). Dans cette métaanalyse récente, les auteurs ont analysé l’impact des acides gras sur les événements cardiovasculaires, qu’il s’agisse de la mortalité, de l’accident vasculaire ou du diabète de type 2. Il apparaît clair dans cette nouvelle métaanalyse que les acides gras saturés ne sont pas associés aux épisodes cardiovasculaires ni à la mortalité totale. Par contre, les acides gras trans sont associés à plus de mortalité, en particulier à plus de mortalité coronaire. Enfin, les auteurs différencient les acides gras trans d’origine industrielle qui sont dangereux sur le plan cardiovasculaire des acides gras trans d’origine animale qui semblent neutres vis-à-vis du risque cardiovasculaire et protecteurs vis-à-vis du risque de diabète de type 2. En résumé, tous les acides gras ne sont pas équivalents et s’il est clair que les acides gras trans augmentent le risque cardiovasculaire, le cholestérol n’est plus relié au risque cardiovasculaire. Les acides gras constituent un groupe hétérogène dont il est nécessaire d’étudier l’impact de manière précise. Dans les recommandations les plus récentes, le cholestérol a disparu comme un élément à supprimer de l’alimentation(4).   La complexité des nutriments et des aliments   Si les aliments ou les nutriments ont un impact sur le risque cardiovasculaire, c’est qu’ils doivent avoir un impact sur les facteurs de risque classiques de la maladie cardiovasculaire. C’est bien ce que l’on observe dans les nombreuses études cliniques et physiopathologiques qui ont été réalisées et dont le résumé est présenté dans les tableaux 1 et 2. La plupart des aliments sont constitués de glucides, de lipides et de protéines et il est donc très difficile de dire qu’un aliment donné est néfaste sur le plan cardiovasculaire. C’est la composition relative de ces aliments qui assure leurs effets sur les critères intermédiaires que sont la pression artérielle, les lipides plasmatiques ou l’oxydation des lipoprotéines athérogènes. L’alcool est une situation à part puisqu’il ne s’agit pas à proprement parler d’un aliment mais d’une boisson qui comporte de l’éthanol et des polyphénols. L’éthanol a des propriétés multiples et les polyphénols complètent l’action de l’alcool en fonction de la qualité du produit. En d’autres termes, les vins sont plus riches en polyphénols que les alcools forts mais tout dépend de l’année de production et des cépages d’origine. À la lecture des tableaux 1 et 2, il apparaît clair que la consommation simultanée de nombreux produits alimentaires peut ne pas avoir d’effet facile à prévoir et que l’exclusion alimentaire n’est probablement pas l’une des meilleures manières de contrôler les facteurs de risque classiques et leur impact sur le risque cardiovasculaire. L’exemple des produits laitiers   Voici une classe de produits alimentaires, les produits laitiers, qui a été successivement bannie puis réhabilitée. La situation scientifique est loin d’être simple car les produits laitiers sont soit des produits liquides, soit des produits solides et qui ont des compositions variées en acides gras et des compositions en sels minéraux également très variables d’un produit à l’autre. Dans un travail récent(5), nous avons analysé l’impact des produits laitiers chez 3 490 sujets français représentatifs de la population générale et qui ont accepté de participer à une enquête nutritionnelle. En pratique, ces sujets issus de Lille, Strasbourg et Toulouse, ont recueilli tous leurs aliments et boissons pendant 3 jours et la quantité et la qualité des nutriments ont été vérifiées par une diététicienne. L’effet des produits laitiers a été analysé sur le risque cardiovasculaire évalué selon l’équation européenne SCORE de mortalité cardiovasculaire à 10 ans. Les consommations de produits laitiers ont été divisées en quartiles, méthode traditionnelle pour l’épidémiologie nutritionnelle. Une consommation élevée de produits laitiers de type lait, yaourts ou fromage blanc est associée à une diminution du risque cardiovasculaire à 10 ans alors que la consommation de fromage est neutre sur le plan du risque cardiovasculaire. Après analyse précise de l’impact des produits laitiers sur les facteurs de risque classiques, il s’avère que la consommation de produits laitiers frais est associée à une baisse du cholestérol LDL. En d’autres termes, les produits laitiers réputés comme athérogènes sont en fait protecteurs sur le risque cardiovasculaire lorsqu’ils sont consommés sous la forme de lait ou de fromage blanc et neutres sur le plan du fromage. Ceci est dû au fait que le calcium des produits laitiers baisse la pression artérielle et diminue l’insulinorésistance. Par ailleurs, le calcium empêche l’absorption des graisses au niveau intestinal. Enfin, les protéines du lait ont un effet inhibiteur au niveau de l’enzyme de conversion de l’angiotensine. Ces travaux français ont été corroborés par de nombreux autres travaux dans la littérature internationale. Dans un autre travail récent qui a été primé au Congrès européen de cardiologie en 2015(6) et qui a été présenté aux Journées européennes de la Société française de cardiologie en 2016, nous avons essayé de comprendre pourquoi la consommation de produits laitiers pouvait avoir un impact sur le risque cardiovasculaire en analysant de manière très fine la composition en phospholipides des globules rouges des sujets enquêtés. Dans ce travail, nous avons quantifié les acides gras des globules rouges de 400 sujets représentatifs de la population française à l’aide d’une analyse du profil de ces acides gras érythrocytaires. Il s’agit là d’une technique éprouvée qui a été utilisée à plusieurs reprises par nos collègues nordaméricains de l’école nutritionnelle de Harvard. Dans ce travail, nous montrons que l’acide pentadécanoïque (15:0) et l’acide heptadécanoïque (17:0), qui sont des acides gras saturés, sont associés à une protection cardiovasculaire. L’augmentation de la consommation de l’acide pentadécanoïque est associée à une baisse du syndrome métabolique et à une baisse de la pression artérielle. La consommation importante d’acide heptadécanoïque est associée à une baisse de la pression artérielle, à une diminution des triglycérides plasmatiques, du surpoids et à une baisse de la prévalence du syndrome métabolique. En d’autres termes, les aliments que nous consommons sont susceptibles de modifier le profil des acides gras saturés des globules rouges circulants et donc, de l’ensemble des cellules de l’organisme. C’est par cet intermédiaire que des métabolismes fondamentaux sont modifiés et que le risque cardiovasculaire peut être altéré. Il est donc caricatural de cibler l’ensemble des graisses comme néfastes alors que les acides gras trans sont dangereux pour le coeur et que certains acides gras saturés comme ceux des produits laitiers d’origine animale sont bénéfiques sur le plan cardiovasculaire.   Impact des comportements alimentaires sur le pronostic cardiovasculaire   Nous avons évoqué dans les chapitres précédents le fait qu’on ne peut pas isoler les nutriments les uns des autres et que ce sont les aliments consommés par les sujets qui sont responsables du risque cardiovasculaire. Des travaux également très récents sont venus documenter le rôle protecteur de certains comportements alimentaires vis-à-vis du risque d’infarctus du myocarde. En prévention secondaire, nos collègues hollandais viennent tout juste de publier un article majeur sur l’impact du comportement alimentaire chez des patients cardiaques(7). Les auteurs ont analysé l’impact des comportements alimentaires chez 4 307 patients qui avaient présenté un infarctus du myocarde. La durée de suivi médiane a été de 3,7 ans. Les auteurs ont analysé l’impact des comportements alimentaires sur la mortalité totale ainsi que sur la mortalité cardiovasculaire. Les sujets qui ont l’alimentation la plus saine ont une diminution de 30 % de la mortalité totale et une diminution de 32 % de la mortalité cardiovasculaire. L’impact des nutriments sur le risque cardiovasculaire a été étudié par nos collègues catalans en fonction soit de la consommation d’huile d’olive, soit de la consommation de noix, de noisettes et d’amandes, chez des sujets à haut risque cardiovasculaire. Ces sujets présentaient un cumul des facteurs de risque (diabète de type 2 ou 3 facteurs de risque cardiovasculaires parmi le tabac, l’HTA, le LDL élevé, le HDL bas ou les antécédents familiaux de coronaropathie prématurée), l’objectif de l’étude étant de modifier le pronostic à 5 ans(8). Ces auteurs ont montré que le régime méditerranéen incluant soit de l’huile d’olive, soit des noix, des noisettes et des amandes diminuait d’environ 30 % les événements cardiovasculaires à 5 ans. Notre équipe cardiovasculaire vient tout juste de démontrer des résultats similaires, cette foisci chez des patients apparemment sains et représentatifs de la population générale(9). Nous avons inclus 960 hommes dans une étude épidémiologique majeure entre 1995 et 1997 qui avait pour but d’analyser de manière approfondie les apports alimentaires et d’évaluer le risque à long terme (tableau 3). Dans ce travail, nous avions la possibilité d’évaluer vis-à-vis de la mortalité totale à 15 ans, l’impact soit de la composition précise en glucides, lipides et protéines, soit des groupes alimentaires. La tendance récente des études scientifiques étant de privilégier la diète globale, nous avons présenté l’impact des aliments vis-à-vis du risque plutôt que des nutriments. Les sujets inclus étaient à risque variable au niveau cardiovasculaire puisque 29,3 % étaient à risque cardiovasculaire bas alors que 28,7 % étaient à risque cardiovasculaire élevé et 6,5 % avaient déjà présenté un événement cardiovasculaire. Dans le tableau 4, sont présentés les apports précis en calories, protéines, glucides et lipides et selon les différents aliments. Dans le tableau 5, après ajustement sur les facteurs de risque principaux, la mortalité toutes causes est analysée selon la consommation alimentaire. On s’aperçoit ainsi qu’un certain nombre d’aliments sont associés à une amélioration de l’espérance de vie. a. Calculé uniquement chez 937 sujets avec triglycérides < 4,6 mmol/l. b. Maladie coronaire, accident vasculaire cérébral ischémique, maladie vasculaire périphérique. c. Risque d’événements cardiaques (décès coronaire ou infarctus du myocarde) dans les 10 années suivantes. d. Antécédent de maladie cardiovasculaire, de cancer (à l’exclusion des tumeurs malignes in situ), de cirrhose, d’accident vasculaire cérébral hémorragique, d’insuffisance cardiaque chronique, d’insuffisance rénale chronique. Min : minimum ; Max : maximum. a. Riz, pâtes, blé, maïs, etc. b. Haricots, lentilles, fèves, etc. c. Vin, bière, cidre, apéritifs et digestifs. De manière très parlante vis-à-vis des patients, 1 à 2 verres de lait de 150 ml, 1 yaourt de 120 g, 2 portions de fromage de 30 g, 5 à 6 fruits ou légumes de 100 g ou 5 morceaux de pain de 30 g sont associés à une amélioration de l’espérance de vie.   Points forts   C’est la diversité alimentaire qui prime. L’athérosclérose est complexe et la nutrition encore plus. Le cholestérol alimentaire a un rôle marginal. Les graisses saturées sont à diminuer mais pas toutes. L’équilibre alimentaire est la clé de la prévention cardiovasculaire. Le « French paradox » était une version simplifiée d'une réalité scientifique désormais bien établie.    En pratique    En résumé, « Fat free » c’est presque fini. Il est désormais clair que ce n’est pas la quantité mais la qualité des nutriments et des aliments qui compte. Il est certain que de consommer trop d’acides gras saturés est néfaste sur le plan cardiovasculaire. Ceci n’a jamais été le cas en Europe du Sud et c’est pour cela que nous n’avons jamais partagé ces théories réductrices vis-à-vis de l’athérosclérose. Lorsque des quantités importantes d’acides gras saturés sont consommées, c’est qu’il y a un déficit relatif en acides gras mono- ou polyinsaturés ou un déficit relatif en fruits et légumes. Nos régimes méditerranéens ont toujours été équilibrés visà- vis des graisses saturées et lorsqu’il y a une consommation d’acides gras saturés, elle vient essentiellement des produits laitiers et non d’une quantité importante de viande rouge. Le cardiologue doit retenir que c’est la diversité alimentaire qui prime. Il faut bien évidemment se restreindre dans la plupart des aliments afin de ne pas devenir obèse et être diabétique ensuite. Par contre, une alimentation saine et équilibrée n’exclut pas les graisses saturées d’origine animale pourvu qu’elles soient en quantité modérée et accompagnées d’un maximum de fruits et légumes, et pourquoi pas d’un verre de vin rouge ! Conflit d’intérêts : Certains de nos travaux ont été financés par l’ANR et le CERIN. Références sur demande à la rédaction : biblio@axis-sante.com

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