Publié le 01 mar 2017Lecture 6 min
La cardiomyopathie dilatée alcoolique
Yves JUILLIÈRE et coll.*, Institut Lorrain du Cœur et des Vaisseaux, CHRU Nancy-Brabois, Vandœuvre-lès-Nancy
L’alcool a un rôle très controversé sur le système cardiovasculaire. À consommation alcoolique modérée, il existe un certain nombre de modifications interférant avec le métabolisme du cholestérol ou les processus de coagulation (agrégation plaquettaire et thrombose) qui peuvent être bénéfiques sur le plan cardiovasculaire. Par contre, la consommation excessive est responsable d’effets délétères au niveau biochimique.
Une consommation modérée correspond à 15-30 g d’alcool par jour chez l’homme et 15 g d’alcool par jour chez la femme. En pratique, 10 g d’alcool correspond à l’absorption d’un verre d’alcool servi dans un bar, quel qu’en soit le type (bière, vin, alcool fort).
Parmi les différents types d’alcools consommés, le vin rouge aurait des effets plus favorables, d’une part, par ses composants alcooliques sur la baisse de la thrombose et la baisse de l’agrégation plaquettaire induite par le collagène et, d’autre part, par ses composants phénoliques sur la baisse de l’oxydation du LDL et des radicaux libres, mais aussi sur la baisse de la thrombose. Parmi les composés phénoliques, le resvératrol, mais aussi certains composés flavonoïdes tels que les anthocyanes, sont les molécules les plus favorables en matière de protection cardiovasculaire. Toutefois, l’effet du resvératrol est actuellement remis en cause par certaines publications.
Il convient de rappeler que l’impact de l’alcool sur la mortalité toutes causes dessine une courbe en U. Il y a un effet favorable pour des faibles consommations liées à la baisse de la mortalité par maladie coronaire. Cependant, il ne faut surtout pas oublier que l’alcool à fortes quantités absorbées, accroît la mortalité du fait des pathologies digestives et des cancers qu’il induit directement.
Considérations générales
Les cardiomyopathies dilatées (CMD) alcooliques se présentent comme toutes les CMD, à savoir avec une altération de la contractilité ventriculaire (traduite par la baisse de la fraction d’éjection ventriculaire gauche [FEVG]) associée à une dilatation des cavités cardiaques, notamment celle du ventricule gauche.
L’absorption aiguë d’alcool entraîne une chute rapide en quelques heures de la FEVG, celle-ci redevenant normale tout aussi rapidement une fois l’alcool éliminé. Lorsqu’on découvre une dysfonction ventriculaire gauche possiblement imputable à l’alcool, on sait qu’une normalisation de la FEVG est possible un an après abstinence totale.
Si on poursuit la consommation, et plus la consommation alcoolique sera élevée quotidiennement, moins la possibilité de normalisation de la FEVG sera constatée.
La CMD alcoolique est décrite maintenant depuis plus de 40 ans. On connaît bien le rôle défavorable de l’alcool sur le myocarde avec de très nombreux effets toxiques directs (apoptose, modifications des protéines au sein des cardiomyocytes, des myofilaments et du cytosol, aggravation du stress oxydatif, modifications génétiques, etc.) mais également des effets liés à la malnutrition souvent associée (déficiences vitaminiques, en thiamine), des effets toxiques liés aux substances additives maintenant supprimées (cobalt dans la bière) et enfin des effets liés aux autres pathologies induites par l’alcool (hypertension artérielle et troubles du rythme). Ces anomalies sont souvent intriquées mais il n’est pas impossible qu’une susceptibilité génétique soit nécessaire pour induire l’apparition des modifications anormales lorsque la consommation est excessive.
Clinique
La prévalence de la CMD alcoolique au sein de l’ensemble des CMD idiopathiques varie énormément selon les études, avec des valeurs entre 20 et 50 %. Au sein des pays industrialisés, la CMD alcoolique pourrait représenter 20 à 40 % de l’ensemble des CMD non ischémiques. Elle est beaucoup plus fréquente chez l’homme, ne touche environ que 15 % des femmes. Sans une abstinence totale, la mortalité à 4 ans est de 50 % environ. Cette pathologie ne se différencie pas de la CMD non alcoolique sur le plan des aspects cliniques, diagnostiques et même thérapeutiques, si on excepte la nécessité absolue d’une abstinence totale. Après abstinence totale, la CMD alcoolique présente une survie au long cours tout à fait comparable à celle des CMD idiopathiques, alors qu’en cas de persistance de l’intoxication, la survie devient nettement plus défavorable.
Des facteurs de risque existent : l’absence de traitement bêtabloquant, la largeur du QRS > 120 ms ou la présence d’une fibrillation atriale.
Schématiquement, on peut dire qu’un tiers des cardiopathies dilatées alcooliques peuvent récupérer une FEVG normale, un tiers ne récupèrent pas d’amélioration de la FEVG mais ne présentent pas d’événement cardiaque et un tiers s’associent à des événements cardiaques graves (décès ou transplantation). De plus, même en cas de récupération d’une fonction cardiaque normale, il persiste des troubles de la perfusion myocardique avec des zones de fibrose toujours présentes malgré la récupération d’un chiffre de FEVG normal.
Physiopathologie
(figure)
Figure. Physiopathologie.
La quantité d’alcool à consommer pour développer une CMD alcoolique est difficile à déterminer. Les chiffres avancés dans la littérature sont extrêmement variables. L’élément permanent est la nécessité d’une consommation chronique assez longue. On retrouve ainsi des valeurs de 67 g d’alcool par jour pendant 20 ans, 45 g d’alcool par jour pendant 30 ans ou 90 g d’alcool par jour pendant plus de 5 ans.
La consommation chronique, chez l’homme ou chez la femme, induit une augmentation du stress oxydatif et une activation des systèmes neurohormonaux délétères.
Cela conduit à l’apparition d’une apoptose, d’une baisse de la synthèse ou une accélération de la dégradation des protéines, d’une dysfonction myocytaire intrinsèque et des modifications dans le métabolisme de transport des acides gras. L’ensemble de ces altérations conduit à une dégradation de la contractilité des myocytes avec apparition d’une dilatation ventriculaire gauche, d’un amincissement pariétal et de l’apparition de la dysfonction systolique ventriculaire gauche. S’il y a poursuite de l’intoxication, la dilatation ventriculaire gauche et l’amincissement pariétal s’aggravent et des signes d’insuffisance cardiaque (IC) apparaissent. L’ensemble de ces anomalies sont intriquées avec des facteurs nutritionnels défavorables et peuvent être induits par une composante génétique personnelle qui expliquerait la susceptibilité différente selon les races.
Insuffisance cardiaque
La CMD alcoolique finit par aboutir à l’installation d’un état d’IC. Mais des éléments contradictoires existent en matière d’IC. La consommation alcoolique peut être responsable d’une diminution du risque de développement d’une IC de façon intrinsèque, là encore lorsque l’absorption se compose de faibles quantités d’alcool par semaine. Non seulement les cas incidents d’IC sont diminués pour ces faibles consommations, mais la survie lorsque l’IC est patente, en est également améliorée. Cela peut s’expliquer en partie par le rôle favorable du vin rouge sur la sirtuine, protéine qui est un facteur de longévité. La sirtuine induit l’inactivation du facteur p53, facteur responsable de cycles cellulaires bloqués, de sénescence et d’apoptose. Or, l’IC inhibe la sirtuine qui peut être réactivée grâce à un agoniste important, le resvératrol. Dans l’organisme, de nombreuses sirtuines existent, celles impliquées dans la fonction cardiaque pourraient être les sirtuines 3, 6 et 7.
Traitement
Il n’existe pas de traitement spécifique de la CMD alcoolique. L’abstinence totale est absolument nécessaire et devrait être conseillée face à toute CMD idiopathique afin d’être certain que le patient ne présente pas une susceptibilité génétique à l’alcool. Cependant, l’abstinence totale peut ne pas être suffisante si elle est mise en place trop tardivement alors que les dommages myocardiques sont déjà constitués. Mais ce ne sera qu’en cas d’abstinence totale que l’on pourra espérer une meilleure survie globale des CMD alcooliques.
On peut associer une supplémentation vitaminique par apport de vitamine B1 et B6. Dans tous les cas, une éducation du patient est impérative pour l’aider dans sa démarche de sevrage.
Il conviendra également de prendre en compte les autres pathologies liées à l’alcool, notamment les troubles du rythme et l’hypertension artérielle.
En pratique
La CMD alcoolique n’a pas de prise en charge spécifique, si on excepte la nécessité d’une abstinence totale. On ne doit pas sous-estimer une possible composante génétique.
Une triple association pourrait toutefois être délétère : une consommation alcoolique parfois même très modérée, une prédisposition génétique souvent assez difficile à affirmer, et des efforts physiques répétés, notamment professionnels, qui vont progressivement participer au maintien d’une baisse chronique de la FEVG, l’ensemble aboutissant à une CMD grave et constituée lorsque la consommation alcoolique apparaîtra importante.
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