publicité
Facebook Facebook Facebook Partager

Thérapeutique

Publié le 15 mai 2017Lecture 7 min

Faut-il encore envisager un relais des anticoagulants oraux (quels qu’ils soient…) avant une intervention ou une procédure invasive ?

Marc SAMAMA, Service d'anesthésie-réanimation, Hôpital Cochin, Paris

L’intérêt d’un relais des AVK en périopératoire est de plus en plus souvent remis en question pour les patients porteurs d’une fibrillation atriale, mais il reste conseillé en présence d’une valve mécanique. Pour la maladie thromboembolique veineuse, l’analyse au cas par cas prévaut. La vitamine K seule n’a pas sa place, et les concentrés de complexe prothrombinique sont réservés au contexte de l’urgence. Pour les anticoagulants oraux directs, les dernières recommandations suggèrent une absence de relais.

L’histoire commence en 1976 à l’occasion d’une étude publiée par Khatoli et coll.(1). L’auteur inclut 36 patients porteurs de valves mécaniques, et devant bénéficier de procédures non cardiaques, chez qui l’anticoagulation (warfarine) a été arrêtée pour 25 d’entre eux. Chez 9 patients pour lesquels l’anticoagulation a été poursuivie, 4 hémorragies sont observées, alors qu’il n’y a pas d’événements hémorragiques chez ceux dont le traitement été interrompu. En revanche, on note 2 thromboses de valve mitrale sur 10 dans ce groupe. L’auteur continue ce travail en 1978 en incluant 39 patients porteurs d’une valve mécanique également pour des procédures non cardiaques. Il interrompt l’anticoagulation par warfarine chez tous les patients et soumet les porteurs de valve aortique a un test biologique qui doit être normal (temps de Quick)(2). Pour les patients porteurs de valve mitrale, il arrête l’anticoagulation 24 heures avant l’intervention, donne de la vitamine K et utilise de l’héparine en postopératoire. Aucun accident hémorragique ni thrombotique n’est rapporté. À partir de cette expérience, le raisonnement va se développer, basé sur le fait que plus on se rapproche de l’intervention sans interrompre le traitement anticoagulant, plus le risque hémorragique augmente et, inversement, plus on interrompt le traitement tôt, plus le risque thrombotique devient conséquent. Quel risque thrombotique périopératoire chez ces patients ? Dunn et coll. calculent en 2003 le risque thrombotique global moyen des patients avec une valve mécanique, en fibrillation atriale (FA), ou traités pour une thrombose veineuse quand les anti-vitamine K sont arrêtés(3). Le risque annuel avoisine 4 %, correspondant à un risque théorique de 0,08 % pour 7 jours, mais le taux réel mesuré par les études avec ou sans relais est plus proche de à 0,8 %, ce qui n’est pas négligeable. Le débat du relais a donc tout lieu d’être. Quelles recommandations ? De nombreuses recommandations ont été publiées depuis. Les derniers guidelines de l’ACCP en 2012 (9e édition) sont assez flous(4). Chez les patients traités par AVK (valve mécanique, fibrillation atriale, maladie thromboembolique veineuse, avec un risque thrombotique élevé, l’ACCP suggère le relais au lieu de l’absence de relais, mais le grade de la recommandation est faible (2C). À l’opposé, pour les patients porteurs de ces mêmes pathologies, mais chez qui le risque thrombotique serait faible (??), l’absence de relais est préférée. Enfin chez les patients avec un risque modéré, l’option choisie sera fonction du risque personnel du patient, combiné à celui de la chirurgie. Il faut bien reconnaître que ces suggestions (grade 2) sont peu utiles. Le relais en pratique Pour les anti-vitamine K, le relais, quand il a lieu, doit être stéréotypé, comme le proposent les recommandations françaises de la Haute Autorité de santé parues en 2008(5). À J-5, dernière prise d’anticoagulant oral type warfarine ou fluindione, J-4 pas de traitement, à J-3 premières doses d’héparine de bas poids moléculaire (HBPM) à dose curative (100 UIAXa/kg d’énoxaparine ou de daltéparine SC) le matin et le soir, même traitement à J-2 et dernière injection à J-1, 24 h avant l’intervention. L’INR est vérifié à J-1 au soir, il doit être inférieur à 1,5. Dans le cas contraire, un supplément de 5 mg de vitamine K est donné. Les HBPM prescrites en dose unique (tinzaparine, nadroparine), pas plus que le fondaparinux, ne sont recommandés. Pour le postopératoire, l’ACCP et la HAS recommandent une reprise du traitement entre 48 et 72 heures chez les patients dont le risque hémorragique est élevé, et seulement 24 h après, en présence d’un faible risque de saignement. Et la vitamine K seule ? Un travail de Steib et coll. a comparé l’administration la veille de l’intervention de 1 mg de vitamine K au relais classique avec arrêt du traitement à J-5 et substitution HBPM(6). La vitamine K n’a pas permis de normaliser l’INR des patients dans le délai imparti. Ces derniers étaient en moyenne supérieurs à 1,6 le jour de l’intervention, comparativement à 1,2 pour le groupe relais. L’idée était bonne, mais la dose probablement insuffisante. Qu’apportent les concentrés de complexe prothrombinique (CCP)? Une étude peut être mise en exergue car elle est très démonstrative. Vigué et coll. ont inclus 18 patients traités par AVK et victimes d’une hémorragie intracrânienne qui devaient bénéficier d’une intervention chirurgicale(7). Une dose de 20 UI/kg de CCP a permis une normalisation quasi immédiate de l’INR, permettant la chirurgie dans tous les cas. Les CCP doivent être réservés au contexte de l’urgence. Il persiste néanmoins que ces patients sont traités au long cours par anticoagulants pour une raison précise et qu’ils ont donc, par définition, un risque thrombotique augmenté. Dans la métaanalyse de 27 études de Dentali et coll., le risque de survenue d’un événement thrombo embolique atteignait 1,8 % chez les patients traités par des CCP quatre facteurs(8). Ce traitement est efficace, mais il augmente évidemment le risque thrombotique. Rapport bénéfice/risque du relais pour les AVK Dès 2008, Garcia et coll. montraient que le relais héparinique était responsable d’une augmentation des complications hémorragiques sans aucun bénéfice sur les événements thromboemboliques, comparativement à l’absence de relais(9). Une métaanalyse de Siegal et coll. affiche la même tendance en 2012 : majoration du risque hémorragique sans modification du risque thrombotique chez les patients ayant bénéficié d’un relais, quelle que soit d’ailleurs la dose d’anticoagulants utilisée durant ce « bridging »(10). La grande étude BRIDGE (Douketis et coll.) publiée en 2015 va confirmer ces résultats(11). Les auteurs comparent avec une méthodologie stricte de double aveugle un groupe bénéficiant d’un relais dès J-3 par daltéparine à dose curative en deux injections par jour (total de 5 injections) avec un groupe placebo. En postopératoire, la daltéparine ou le placebo sont repris à J1 ou J3 selon le risque hémorragique, la warfarine étant represcrite dès J1 dans les deux groupes. Le risque de saignements majeurs est de 3,2 % dans le groupe avec relais, contre 1,3 % dans le groupe placebo. La différence est également très significative pour les saignements mineurs. Il existe même une différence non significative en défaveur du groupe avec relais vis-à-vis des accidents thrombotiques. La seule critique que l’on puisse faire à cette étude est que le score CHADS2 médian est assez peu élevé, et que les patients à haut risque sont peu représentés dans cette large étude. Par ailleurs, très peu de données sont disponibles chez les patients traités pour un épisode thromboembolique veineux, et a fortiori pour les patients porteurs d’une ou plusieurs valves mécaniques chez qui le relais demeure obligatoire pour l’instant. Et le postopératoire ? Un travail récent publié par une équipe d’orthopédie parisienne (Gibon et coll.) a montré que le relais postopératoire avec la combinaison d’un traitement AVK associé à une anticoagulation injectable par HBPM était responsable d’une augmentation des complications hémorragiques (42 % vs 7 % en l’absence de reprise des AVK en postopératoire) dans cette population de patients opérés d’une prothèse de genou(12). Les auteurs rapportent également un taux de 21 % de réinterventions chez les patients avec reprise des AVK, vs 5 % dans le groupe sans relais. Un travail préliminaire non publié de l’équipe anesthésiste du même hôpital suggère de ne pas chevaucher le traitement anticoagulant oral avec une injection d’héparine quotidienne, mais plutôt de recommencer l’anticoagulation en postopératoire avec un anticoagulant oral direct (AOD) à doses prophylactiques pendant 24 à 48 heures, et de monter ensuite la dose pour obtenir des doses curatives. Le retour aux AVK se ferait ensuite plus tardivement par le médecin généraliste. Cette idée, non validée pour l’instant, devrait être bientôt mieux explorée. Pas de relais pour les AOD Le Groupe d’intérêt en hémostase périopératoire (GIHP) avait d’abord recommandé en 2011 le même schéma de relais qu’avec les AVK en remplaçant tout simplement dans l’algoritme HAS 2008, la molécule d’AVK par le dabigatran, le rivaroxaban, ou l’apixaban(13). L’interruption du traitement était longue et le relais recommandé pour les patients à haut risque thrombotique. La procédure avait le mérite de la simplicité pour des médecins non encore au fait de ces nouvelles molécules. Toutefois ces recommandations se sont heurtées à la pratique, et à l’analyse des données post-hoc des études dans la FA, RE-LY (dabigatran) et ROCKET-AF (rivaroxaban) qui montre une augmentation des complications hémorragiques chez les patients qui ont bénéficié d’un relais, que ce soit dans les groupes AOD ou warfarine, comparativement à ceux qui n’ont pas été substitués(14,15). Les deux études sont homogènes sur le sujet. La Société européenne de cardiologie (ESC) en 2015 a fait des propositions pour l’interruption préprocédurale des AOD allant de 24 à plus de 96 h pour le dabigatran en fonction du Cockcroft, et de 24 à 48 h pour les anti-Xa, également en suivant le Cockcroft(16). Le GIHP a résumé cet ensemble de données avec des recommandations très simples à appliquer (tableau)(17). Si les tests biologiques spécifiques doivent être disponibles partout et 24 h/24, ils ne doivent être pratiqués qu’exceptionnellement.   En pratique AVK - Risque hémorragique avéré du bridging/relais dans tous les cas. - Pas d’efficacité antithrombotique évidente dans la FA : abandon à prévoir. - Peu ou pas de données pour la maladie thromboembolique veineuse aiguë (attention) ni pour les valves mécaniques (bridging/relais à conserver). AOD - Pas de bridging/relais Et surtout… - Les accidents hémorragiques surviennent en postopératoire en raison du cumul des héparines et des AVK. - Risque faible avec les AOD mais reprise progressive avec HBPM dose préventive 48 à 72 h. 

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :

Version PDF

Articles sur le même thème

  • 5 sur 48