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Prévention et protection

Publié le 15 mar 2018Lecture 6 min

Manger et bouger oui, mais que boire ?

Jean FERRIÈRES, Fédération de cardiologie, CHU de Toulouse

L’année 2018 démarre sur les routes par une modération de la vitesse autorisée. De plus en plus de domaines de la vie publique sont désormais limités et contrôlés par toute une série de recommandations de prudence. La thématique de l’alcool a fait l’objet ces dernières années en France d’une véritable cure de désintoxication ! En 2015, les autorités françaises ont validé les conclusions du code européen contre le cancer bannissant toute consommation d’alcool chez l’homme et chez la femme. Nous allons voir ce qu’il en est scientifiquement en 2018.

La consommation d’alcool et le risque de cancer La fameuse recommandation des cancérologues en 2015 était énoncée de la manière suivante : « Si vous consommez de l’alcool, limiter votre consommation. Ne pas boire est meilleur pour la prévention du cancer ». Heureusement que des scientifiques avisés se sont aperçus rapidement que cette analyse internationale était basée sur des études cas-témoins ainsi que sur des études de cohortes. Par conséquent, une nouvelle métaanalyse réalisée en 2017 a montré que les conclusions de 2015 étaient erronées. En résumé, il n’y a aucune preuve que la consommation modérée d’alcool est associée à une augmentation de l’incidence ou de la mortalité par cancers. Par contre, la consommation d’alcool de moins d’un verre par jour est associée à une augmentation de 9 % du cancer du sein chez la femme et est associée à une augmentation de 6 % du cancer colo-rectal chez l’homme. Bref, l’alcool à doses modérées n’est pas la plaque tournante étiologique des cancers dans le monde ! La consommation d’alcool et la mortalité totale Il y a longtemps que les scientifiques français savent que la consommation d’alcool à doses modérées n’est pas associée à une amputation de l’espérance de vie. Pour se le prouver encore une fois, de nouvelles publications internationales ont été présentées en 2017. Dans la grande cohorte anglaise QRISK, et dans un modèle multivarié, la consommation modérée d’alcool jusqu’à 6 verres par jour, est associée à une protection vis-à-vis de la mortalité totale. Ce n’est qu’au-delà de ces 6 verres par jour qu’il y a une association entre la consommation exagérée d’alcool et la mortalité totale. Toujours en 2017, dans une grande cohorte américaine, la consommation d’alcool est associée à une protection vis-à-vis de la mortalité totale lorsqu’il s’agit d’une consommation modérée ; l’alcool est associé à une augmentation de la mortalité totale lorsqu’il s’agit d’une consommation exagérée (figure 1). Alors qu’il existe une relation effet-dose entre la consommation de cigarettes et la mortalité totale, en ce qui concerne l’alcool, il s’agit d’une courbe en J. En d’autres termes, quel que soit le pays considéré, les consommations d’alcool à doses modérées, jusqu’à 40 g d’alcool par jour, sont associées à une protection vis-à-vis de la mortalité totale et on retrouve ainsi tout ce qui a été dit dans les années 90 par les scientifiques français. Figure 1. La consommation d’alcool et la mortalité totale. D’après Xi B et al. J AM Coll Cardiol 2017 ; 70 : 913-22. La consommation d’alcool et la mortalité par cardiopathies ischémiques À partir des registres des cardiopathies ischémiques sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé, le projet MONICA a montré une extraordinaire variabilité dans l’incidence et la mortalité par cardiopathie ischémique selon les pays considérés. À titre d’exemple, la mortalité par cardiopathie ischémique chez l’homme est de 91 pour 100 000 en France alors qu’elle est de 365 pour 100 000 à Glasgow. Dans les années 1990, de nombreux auteurs se sont précipités sur la notion de « French Paradox » avec deux piliers essentiels : la consommation des graisses saturées et la consommation de vin rouge. Il est évident que si l’on compare les pays européens du Nord avec les pays européens du Sud, des différences nutritionnelles majeures apparaissent. Il a été publié à plusieurs reprises que la consommation des graisses est plutôt sous la forme de graisses mono-insaturées et de graisses poly-insaturées en France et que la consommation d’alcool est plus volontiers sous la forme de vin rouge en France et sous la forme de bière dans les pays européens du Nord. Résumer l’étiologie de la maladie coronaire à ces 2 paramètres est très réducteur et ne correspond qu’à l’une des facettes de la complexité étiologique de l’athérosclérose coronaire. Le vin rouge est-il un médicament ? Le vin est un assemblage complexe d’eau, de sucres, en particulier du glucose et du fructose, d’éthanol, d’acides et de phénols. Ces phénols correspondent à des flavonoïdes tels que les anthocyanines et des composés non flavonoïdes tels que les stilbènes dont le représentant essentiel est le resvératrol. Les flavonoïdes sont présents dans le vin rouge mais également dans le thé, les fruits et les légumes. En raison de la présence dans le vin d’une quantité variable mais significative de composés biologiquement actifs, la consommation régulière de vin est associée à des modifications du profil lipidique, de l’inflammation, de la fonction endothéliale, de la coagulation et du métabolisme du glucose (figure 2). Sur le plan lipidique, la consommation de vin est associée à une augmentation du HDL-cholestérol et à une diminution de l’oxydation des lipoprotéines LDL. Le vin est un agent anti-inflammatoire qui se traduit en particulier par une baisse de la CRP. Le vin augmente la production de NO et améliore ainsi la fonction endothéliale. Sur le plan de la coagulation, le vin diminue l’agrégation plaquettaire et augmente la fibrinolyse. Sur le plan du métabolisme glucidique, le vin favorise l’action de l’insuline et ainsi améliore la captation du glucose par les cellules. Figure 2. Les effets biologiques du vin rouge. Tous ces effets du vin rouge se combinent pour être plus prévalents dans les pays d’Europe du Sud et ainsi contribuer à la baisse de l’incidence de la maladie coronaire et de l’infarctus du myocarde en Europe du Sud. Notre équipe a publié de nombreux travaux internationaux montrant la réalité populationnelle des effets de la consommation de vin rouge avec un impact à la fois sur les facteurs de risque et sur l’incidence de l’infarctus du myocarde. Au-delà de la quantité, ce sont les modes de consommation d’alcool qui comptent le plus. En d’autres termes, il y a la quantité en grammes par jour qui influence le niveau des facteurs de risque mais il y a aussi la répartition de cette consommation dans la journée et selon les jours de la semaine qui compte énormément sur l’athérosclérose. Ainsi, le « binge drinking » (consommation exagérée d’alcool en une courte période) est associé à l’hypertension artérielle dans les 48 heures qui suivent et ceci est susceptible d’expliquer les accidents coronaires aigus du lundi dans les populations anglo-saxonnes. De la même manière la consommation d’alcool est préférentiellement sous la forme de bière au Royaume-Uni et préférentiellement sous la forme de vin rouge en France ce qui occasionne un profil lipidique différent chez les consommateurs britanniques et français (tableau ci-dessous). Dans un article paru dans l’European Heart Journal en 2004, nous avions montré le rôle prépondérant de l’approche nutritionnelle du risque coronaire pour expliquer la protection relative des français vis-à-vis des cardiopathies ischémiques. Quelques années plus tard en 2010, nous avons montré que la consommation d’alcool de type « binge drinking » est associée à un sur-risque d’infarctus du myocarde au Royaume-Uni alors que la consommation modérée d’alcool est associée à une protection coronaire en France. En pratique La consommation de vin rouge existe depuis la nuit des temps et c’est mieux d’en analyser la complexité que de supprimer ce facteur à double tranchant. Les avocats du risque zéro préconisent l’abstention complète vis-à-vis de l’alcool, ce qui ne correspond à aucune réalité scientifique. L’athérosclérose n’a pas un seul remède qui serait basé sur la consommation de vin rouge mais une approche globale basée sur une nutrition saine et équilibrée, un exercice physique modéré et régulier et pourquoi pas une consommation de vin rouge le plus souvent possible mais avec modération !

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