Publié le 15 mar 2018Lecture 5 min
Choisir un anticoagulant oral dans la FA : efficacité, sécurité d’emploi
Michèle DEKER, Paris
JESFC
Nous disposons aujourd’hui d’une somme impressionnante de données en conditions réelles de prescription qui attestent de l’efficacité et de la tolérance des anticoagulants oraux directs (AOD), dont les résultats se comparent favorablement à ceux des anti-vitamine K (AVK). Ces études observationnelles, le plus souvent réalisées à partir de bases de données médico-économiques, ont l’énorme avantage de réunir de grands effectifs, sans limite d’âge ni de comorbidités, contrairement aux essais cliniques.
Un bénéfice net confirmé pour les AOD
Les données concernant le dabigatran sont les plus nombreuses en raison de son antériorité sur le marché, comparativement aux deux autres AOD. Dans les données du registre danois forte dose, le bénéfice ischémique des trois AOD est équivalent à celui des AVK ; les événements hémorragiques, notamment majeurs, sont significativement moins fréquents sous apixaban 5 mg et dabigatran 150 mg ; la réduction des hémorragies intracérébrales est significativement réduite avec dabigatran 150 mg uniquement. Chez les patients recevant la faible dose d’AOD, souvent en raison de l’âge ou d’une insuffisance rénale, le bénéfice ischémique est similaire et le risque hémorragique réduit uniquement avec dabigatran 110 mg.
Dans l’étude française Engel 2 réalisée sur plus de 100 000 patients de la base du SNIRAM (environ 1/4 sous dabigatran, 1/3 sous rivaroxaban), dont la moitié étaient âgés de > 80 ans, il a été observé des réductions significatives de 20 % des événements ischémiques, de 40 % des hémorragies, de 78 % des hémorragies intracérébrales et de 25 % de la mortalité chez les patients traités par dabigatran vs AVK. Enfin, l’étude observationnelle française SPA (groupe PGRx) a confirmé une réduction du risque d’AVC ischémique et hémorragique et du risque d’hémorragie majeure chez les patients traités par dabigatran comparativement aux AVK.
Quel protocole chez les patients FA en cardiologie interventionnelle ?
Classiquement, les patients ayant une FA devraient recevoir après une procédure de revascularisation avec stenting, en plus du traitement anticoagulant, une bithérapie antiplaquettaire. Cette trithérapie potentiellement hémorragipare permet, certes, de prévenir les événements ischémiques cérébro-vasculaires et coronaires, mais au prix d’un surcroît de risque hémorragique, ce qui a motivé la recherche de stratégies ayant un meilleur rapport bénéfice/risque. Trois solutions sont possibles :
– identifier les patients chez lesquels un anticoagulant est inutile pour prévenir le risque d’événements ischémiques lié à la FA (patients CHADS2VASc = 0), ce qui laisse la discussion ouverte au cas par cas chez les patients CHADs2VASc = 1 ;
– limiter la durée de la trithérapie. La première étude ayant évalué cette stratégie, ISAR-TRIPLE, a montré un bénéfice net équivalent pour des durées de traitement de 6 semaines et 6 mois ;
– éviter la trithérapie. Ainsi, l’étude WOEST a montré la supériorité d’une bithérapie AVK + clopidogrel vs AVK + aspirine-clopidogrel, tant sur les événements ischémiques, y compris la thrombose de stent, que sur les événements hémorragiques.
L’arrivée des AOD a motivé la mise en œuvre de deux nouvelles études, PIONEER-AF PCI avec le rivaroxaban, puis REDUAL PCI avec le dabigatran. Dans la première, une réduction des événements hémorragiques cliniquement pertinents a été observée dans le bras rivaroxaban 15 mg + clopidogrel comparativement au traitement standard AVK + clopidogrel-aspirine sans différence sur les événements ischémiques (mais l’étude n’était pas dimensionnée pour démontrer une équivalence sur ces événements). À noter que les posologies de rivaroxaban utilisées étaient des doses inférieures à celles ayant prouvé une réduction des AVC dans ROCKET-AF.
Le dabigatran présente l’avantage d’être le seul AOD à avoir prouvé dans son étude pivot une réduction des AVC avec ses 2 dosages chez l’ensemble des profils de patients FA. L’étude REDUAL PCI a testé ces deux posologies usuelles de dabigatran 150 et 110 mg associées au clopidogrel vs AVK + clopidogrel-aspirine (trithérapie de £ 3 mois) avec des résultats impressionnants en faveur de la bithérapie dabigatran-clopidogrel en termes de sécurité d’emploi (réduction significative des hémorragies majeures et des hémorragies intracrâniennes), sans différence sur les événements ischémiques et ce, avec les 2 doses de dabigatran.
Des analyses de sous-groupes de l’étude REDUAL ont été réalisées qui montrent que l’association du dabigatran au ticagrelor est toujours supérieure au groupe AVK, mais avec un risque hémorragique absolu et majoré. Il est donc déconseillé d’utiliser les nouveaux antiagrégants plaquettaires chez les patients anticoagulés.
En pratique, il est donc possible de prescrire une bithérapie AOD + clopidogrel, sans impacter la protection anti-ischémique. Les recommandations de l’ESC 2017 laissent le choix entre plusieurs schémas thérapeutiques basés sur un AVK ou un AOD ; la bithérapie étant positionnée chez les patients à haut risque hémorragique. Dans ce cas, le choix de l’antiagrégant plaquettaire est également ouvert, en sachant que l’aspirine peut être interrompue très rapidement à la sortie de l’hôpital alors que le clopidogrel sera maintenu au moins pendant toute la période où le risque de thrombose de stent est maximal.
Urgences hémorragiques
Sont considérées comme graves les hémorragies ayant un retentissement hémodynamique, nécessitant un geste hémostatique, des culots globulaires, et menaçant le pronostic vital. Même si les AOD ont clairement diminué le risque hémorragique, il reste des situations à risque, tels les polytraumatismes dus aux chutes, dans lesquelles l’anticoagulation complique sérieusement la prise en charge en urgence d’un patient dont le pronostic vital est engagé.
Les tests de coagulation sont peu contributifs en urgence. Pour le dabigatran, seul le temps de thrombine dilué peut être utile et pour les autres AOD, la mesure de l’activité anti-Xa. En fait, la seule référence est la concentration plasmatique des molécules, mais son interprétation n’est pas toujours simple en raison de la variabilité des résultats, en fonction des traitements associés, de la fonction rénale et hépatique notamment. En outre, ces tests ne sont pas disponibles partout ni à toute heure.
En urgence, en l’absence d’agents de réversion spécifique, de nombreux patients sont transfusés et l’essentiel du traitement repose sur l’administration d’agents de substitution (concentré de complexe prothrombinique (CCP) normal ou activé) et d’acide tranexamique. Ces stratégies n’ont pas été évaluées dans des essais cliniques et fonctionnent globalement dans 2 cas sur 3. En outre, elles présentent le désavantage d’exposer le patient à un risque prothrombotique.
Sur les trois agents de réversion développés, un seul est actuellement disponible, l’idarucizumab, spécifique du dabigatran, dont l’efficacité a été démontrée dans l’étude REVERSE-AD. Ce fragment d’anticorps monoclonal, de très courte demi-vie, est administré en 2 bolus de 2,5 g et permet de normaliser l’hémostase en quelques minutes chez 100 % des patients, autorisant la réalisation d’un geste chirurgical sans délai et sans risque thrombotique après la réversion. L’andexanet alpha, spécifique des anti-Xa, est toujours en cours d’évaluation et non disponible.
Vraisemblablement, son administration nécessite un bolus et une perfusion continue durant les premières heures et semble exposer le patient à un rebond prothrombotique. Quant à l’aripazine, dotée d’un pouvoir de neutralisation des anticoagulants oraux et des héparines, son développement est encore loin d’être achevé.
D’après un symposium avec le soutien de Boehringer Ingelheim et la participation de O. Hanon, G. Montalescot et P. Goldstein
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