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Cardiologie générale

Publié le 15 déc 2018Lecture 5 min

Rythme circadien et maladies cardiovasculaires

Denis ANGOULVANT, Hôpital Trousseau, CHRU de Tours ; Loire Valley Cardiovascular Collaboration & EA4245 « T2I », Université de Tours, Tours

L’adaptation à l’environnement est l’une des qualités des espèces vivantes sur notre planète. La rotation de la terre est à l’origine de modifications importantes de la lumière et de la température dans une journée. Au cours de l’évolution, les organismes vivants ont développé une horloge biologique interne qui anticipe les cycles jour/nuit permettant d’optimiser les phénomènes physiologiques et le comportement. C’est le rythme circadien du latin circa (autour) et dies (jour). Il s’agit d’un processus biologique très ancien et hautement conservé que l’on retrouve aussi bien chez les organismes unicellulaires que chez les végétaux et les espèces animales, dont la nôtre.

La fondation de ce système biologique est un génér teur ou oscillateur autonome de rythme sur 24 heures à l’origine d’interactions entre l’oscillation interne et les stimuli externes (time keepers) comme la lumière. Le prix Nobel de physiologie et de médecine 2017 a d’ailleurs été décerné à trois chercheurs américains (J. Hall, M. Rosbash et M. Young) pour leurs travaux sur l’identification des mécanismes moléculaires contrôlant le rythme circadien. Identifier le rythme circadien L’histoire scientifique autour de l’identification du rythme circadien est singulière. En 1729, l’astronome français Jean-Jacques d’Ortous de Mairan observe qu’un plant de mimosas placé dans l’obscurité conserve le processus d’ouverture et de fermeture rythmé et approprié de ses feuilles sur 24 heures. C’est finalement au XXe siècle, après deux siècles de débats dans la communauté scientifique, que la mise en évidence d’une horloge biologique interne et transmissible entre générations a été établie. Dans les années 60, une équipe américaine parvient à établir des mutants ayant un rythme de 19 h ou 28 h sur un modèle de drosophiles modifiées par muta-genèse chimique. Ceci conduira à l’identification des premiers gènes impliqués dans le contrôle du rythme circadien dans les années 80 par les futurs lauréats du prix Nobel. Il faudra attendre les années 90 pour que soient découverts les gènes de régulation TIMELESS et CLOCK et les protéines régulatrices impliquées, qui sont aujourd’hui exploités dans les travaux en recherche translationnelle. Le programme circadien est régulé à la fois de façon centrale et périphérique chez les mammifères. Les stimulus lumineux reçus par la rétine sont relayés vers le système nerveux central au niveau du noyau suprachiasmatique qui synchronise l’horloge des neurones. La régulation du reste de l’organisme (centres périphériques) est assurée par voie endocrine et via le système nerveux autonome. Cependant, des oscillateurs autonomes sont présents dans l’ensemble des organes. Pour donner une image parlante, l’ensemble aurait l’aspect d’une horlogerie avec de nombreuses horloges plutôt qu’à un mécanisme unique. D’où la question de la synchronisation de ces horloges. Ces horloges périphériques vont réguler de nombreux processus biologiques comme la glycolyse, le stockage des graisses, etc. Il existe en fait de nombreuses boucles de rétrocontrôle qui vont également envoyer des signaux vers l’horloge centrale, ce qui aboutit à un réseau complexe d’oscillateurs interconnectés (figure). L’influence du rythme circadien sur le système cardiovasculaire Elle est connue depuis longtemps, à travers les variations circadiennes observées de la pression artérielle, de la fréquence cardiaque, de la température corporelle ou de la sécrétion du cortisol. En 1989, Muller et coll. montraient un pic d’événements cardiovasculaires le matin (IDM, AVC ischémiques, mort subite), attribué au rythme circadien (Muller et coll. Circulation 1989). Des travaux récents ont montré l’influence des rythmes circadiens sur l’expression génique et protéomique des cellules cardiaques, avec des conséquences sur le métabolisme énergétique, la contraction, l’électrophysiologie et la sécrétion hormonale (Chaix et coll. J Cell Biol 2016). Une étude expérimentale menée sur un modèle murin suggère que la perturbation du rythme circadien (interruptions des périodes de sommeil) en post-infarctus du myocarde entraîne des modifications des réponses immuno- inflammatoires avec pour conséquence un remodelage plus important aboutissant à une extension de la zone infarcie et une dilatation ventriculaire gauche. Des travaux expérimentaux ont également été menés chez l’homme. Une équipe américaine a rapporté en 2016 un travail original testant l’effet des perturbations du rythme circadien sur les réponses physiologiques. Sept volontaires sains étaient exposés successivement à un protocole respectant le rythme circadien, puis à un protocole de désalignement, tandis que sept autres étaient exposés aux deux protocoles dans l’ordre inverse. Le désalignement était induit à partir du 4e jour en inversant les périodes de sommeil et les heures des repas. Les investigateurs ont démontré que le désalignement entraînait une diminution du tonus vagal, une augmentation de la pression artérielle avec perte du profile deeper, une augmentaTion de la fréquence cardiaque, une augmentation des marqueurs d’inflammation (IL-6, TNF-α, CRP), et une diminution de PAI-1 (inhibiteur de l’activateur du plasminogène) (Morris et coll. PNAS 2016). La lumière artificielle omniprésente dans notre vie quotidienne a des conséquences sur le sommeil, l’alimentation et les activités à l’origine de perturbations du rythme circadien. Elle diminue son amplitude, modifie la synchronisation des oscillateurs biologiques et interfère ainsi avec le métabolisme et les réponses immuno-inflammatoires (C. Wyse et coll. Annals of Medicine 2014). D’où l’hypothèse d’une influence du rythme circadien sur la physiopathologie des maladies cardiovasculaires. Des données contradictoires issues d’études rétrospectives ont été publiées concernant son influence sur la taille de l’infarctus du myocarde, qui serait moins élevée lorsque celui-ci survient en milieu de journée (Reiter et coll. Circ Res 2012 ; Ammirati et coll. Circ Res 2013). Les travaux très récents de l’équipe lilloise de D. Montaigne ont exploré l’influence du rythme circadien sur les lésions myocardiques résultant de l’ischémie reperfusion induite par un remplacement valvulaire aortique chirurgical. Leurs résultats suggèrent une moindre souffrance myocardique chez les patients opérés l’après midi, qui s’accompagnerait d’un meilleur pronostic cardiaque au long cours. Leur étude clinique était complétée par une analyse transcriptomique, qui identifie le gène Rev-Erbα (récepteur nucléaire impliqué dans l’horloge biologique) comme étant une cible potentielle permettant d’induire une protection myocardique contre les lésions d’ischémie reperfusion (Montaigne et coll. Lancet 2018). Connaître ces perturbations et les mécanismes moléculaires impliqués dans le désalignement circadien est important pour les cardiologues et les chercheurs. Il y a matière à progresser dans la prise en charge et la prévention des maladies cardiovasculaires : à travers la resynchronisation circadienne qui répond aux programmes de réadaptation cardiaque, d’une part, et à travers le développement de stratégies thérapeutiques innovantes ciblant certaines voies de signalisation impliquées dans l’horloge biologique, d’autre part. Les données récentes suggèrent que l’heure de prise en charge des patients devrait être un paramètre à analyser dans les études cliniques évaluant des interventions thérapeutiques dans l’ischémie-reperfusion ou l’insuffisance cardiaque aiguë par exemple.

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