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Biologie-Explorations

Publié le 28 mai 2019Lecture 7 min

Génétique et séquence d’ADN de nouvelle génération en cardiologie pédiatrique : jusqu’où ne pas aller trop loin ?

Stanyslas LYONNET et coll.*, Hôpital universitaire Necker-Enfants Malades, Paris

La génétique est une discipline récente même si ses racines sont profondément ancrées dans nos mythologies collectives et familiales. Une accélération révolutionnaire des connaissances dans ce champ de la science est pourtant en train de se produire, depuis le début des années 2000, un siècle seulement après la redécouverte des lois de Mendel. Les données tirées des séquençages de l’ADN de nombreuses espèces ont déjà bouleversé la conception que nous avions de notre génome, de son façonnage par l’évolution, et même de l’influence et des empreintes que peuvent y laisser notre histoire biologique (épigénétique). Et voilà qu’il est, ou sera bientôt, possible d’étudier la séquence de la totalité de l’ADN constituant le génome d’une personne, cela pour quelques centaines d’euros !

Cette perspective est enthousiasmante, notamment en termes de recherche et de compréhension des liens entre nos génomes et nos maladies : utiliser la génétique et l’hérédité pour mieux comprendre, mieux prendre en charge et même espérer traiter des maladies génétiques de l’enfant, individuellement très rares, mais qui touchent collectivement des centaines de milliers d’entre eux. Pourtant, dans le même temps, cette révolution génomique n’est pas sans poser d’importantes questions, notamment lorsqu’il s’agit « de ne pas aller trop loin » ; en toute situation, et tout particulièrement lorsqu’il s’agit de génétique prénatale ! Variabilité génomique Ainsi, c’est avant tout l’extraordinaire variabilité de la séquence de nos ADNs (et non de notre ADN) qui ne cesse de nous surprendre. Si nous partageons globalement le même génome (6 milliards de nucléotides répartis entre 23 paires de chromosomes), ce génome dit « de référence » comporte en effet de très légères, mais extrêmement nombreuses variations entre chaque individu. Deux regards faussement contradictoires peuvent alors être portés sur notre ADN : nos milliards de nucléotides sont extraordinairement identiques (à 99,9 %), et en même temps, les différences observées entre deux personnes prises au hasard sont gigantesques (3,2 millions variants ponctuels ou SNP) même si elles ne concernent donc que 0,1 % de l’ensemble. Il en va de même pour les variations de nombre de copies d’ADN (Copy number variations ou CNV), de taille > 500 kb, et dont les différences entre deux individus non apparentés représentent près de 10 % du génome. On voit que ce que l’on a bien voulu appeler un programme génétique n’est donc qu’un très vague consensus, dont les variations communes et les altérations sont à rapprocher de la variabilité de l’expression de nos gènes et donc des phénotypes qui leur sont associés. Face à cette situation, le principal objectif de la génétique médicale reste de comprendre la façon dont ces différences génomiques expliquent et échafaudent l’architecture génétique de nos maladies. Et l’un des tous premiers champs concernés est celui des malformations congénitales et des maladies rares. Pour elles, on observe parfois une agrégation de plusieurs malades dans une même famille selon les modes traditionnels de l’hérédité mendélienne, même si beaucoup de cas surviennent après une mutation nouvelle, permettant de rappeler ici que nombre de maladies génétiques ne sont pas héritées des parents (mutations de novo) : génétique et héréditaire ne sont pas synonymes. Pourquoi identifier des gènes associés à des pathologies ? Si, dans ce domaine, les succès de la médecine génétique sont encourageants, plus que jamais, les difficultés demeurent, le plus souvent liées à deux dimensions très sous-estimées de la génétique : la variabilité (on l’a vu plus haut), et son corollaire l’hétérogénéité. Ainsi, la mutation responsable d’une même maladie peut se produire dans des gènes différents selon les familles (hétérogénéité de locus) ; et, à l’inverse, des altérations d’un même gène peuvent conduire à des phénotypes différents, par exemple une prédisposition au cancer ou une malformation congénitale, suivant la nature de la mutation en cause. Et pourtant, l’identification des gènes responsables de malformations congénitales et de maladies rares reste absolument indispensable : – de par son évident bénéfice diagnostique aboutissant, notamment, à limiter ou terminer les investigations, et mettre fin à l’errance ; – en vue de la constitution de cohortes homogènes de patients correctement phénotypés et génotypés, préalable évident à toute étude de corrélation, mais préalable tout aussi essentiel à l’inclusion dans d’éventuels essais thérapeutiques ; – comme prémices de toute étude physiopathologique, notamment au développement de modèles animaux ou cellulaires ; – comme fondement de toute démarche de conseil génétique (analyse des apparentés, diagnostic prénatal, voire diagnostic préimplantatoire) ; – et, enfin, comme ouverture d’options thérapeutiques innovantes, non seulement spécifiques de gènes, mais aussi spécifiques de mutations ou de mécanismes mutationnels. C’est pour ces raisons que ce champ de la médecine a déjà, et va continuer, de bénéficier des progrès récents et inouïs en matière de séquençage automatisé de l’ADN. Ce séquençage de nouvelle génération (séquence à haut débit par capture de gènes, ou encore NGS pour Next generation sequencing) s’impose désormais comme méthode de référence et de progrès. Il se décline actuellement en trois dimensions : – séquençage complet du génome ; – exome ou séquençage de l’ensemble des gènes codant pour des protéines (nos 22 000 gènes codants), ainsi que de nombreux ARNs non codants (microARNs notamment) ; – séquence de panels de gènes, approche plus restreinte visant à analyser un groupe de gènes par capture ciblée. Les techniques de séquençage Si l’étude du génome complet est encore assez éloignée des applications cliniques, il s’en rapproche pourtant, ne serait-ce que dans le cadre du diagnostic prénatal non invasif des trisomies par étude sur sang maternel, et très bientôt par sa mise en œuvre dans le contexte de l’ambitieux plan France médecine génomique 20 25, qui va s’appuyer sur des plates formes nationales ayant pour prestation majeure la réalisation de séquences de génomes complets en trio (un enfant et deux parents), dans le domaine des maladies génétiques rares, et de séquences de génomes complets de patient et sa tumeur, dans le contexte de la cancérologie et l’oncogénétique. Des difficultés majeures compliquent cette approche : bonnes indications, interprétation, détection des variants de structure, projet médico-économique, et même stockage des données. Les deux autres approches ont des avantages et inconvénients contrastés. L’analyse de panels de gènes a bien sûr une envergure restreinte puisque ne sont investigués que les gènes préalablement inclus dans le panel. La principale critique faite à cette méthode étant évidemment la limitation a priori des gènes analysés. En revanche, celle-ci garantit la capacité de valider des résultats dans la mesure où seuls figurent sur ces panels des gènes déjà connus pour être responsables des phénotypes testés et écarte les découvertes incidentes. Le séquençage d’exome est en revanche et par essence bien plus complet que les études de panels, mais il souffre encore aujourd’hui, à notre sens, de trois ordres de difficultés : – son coût et son organisation méthodologique, qui sont en core du ressort de quelques plates formes nationales ou institutionnelles, ou d’entreprises privées ; – l’interprétation et la validation des résultats puisque, à titre d’exemple, le nombre moyen de variants rares identifiés dans l’exome d’un individu est de l’ordre de 20 000. L’enjeu de la bioinformatique est donc absolument crucial dans la mise en œuvre d’une telle stratégie ; – enfin, le fait d’avoir à disposition des variants génomiques dans des gènes qui n’ont rien à voir avec la question médicale posée par les patients et les familles, ce qui soulève le problème des découvertes faites « en passant » (données secondaires ou incidentes) et pose de délicates questions de l’ordre du consentement, de l’information et de l’éthique. Pourtant, dans des domaines bien définis, où les panels sont rapidement dépassés par l’accumulation rapide des gènes candidats et/ou validés, et où le rendement diagnostique de ces panels est donc faible (< 30 %), alors l’indication de « l’exome clinique » nous semble pertinente. Il s’agit clairement des syndromes polymalformatifs et des déficiences intellectuelles syndromiques ou non. Une expérience pilote de ce type a eu lieu à l’institut Imagine et l’hôpital Necker-Enfants malades, dans ces deux domaines, avec un rendement diagnostique de 46 % ! Une exploration en 2 temps Conscients de cette difficulté d’organisation stratégique, il est possible d’imaginer le développement de ces méthodes en deux temps, consécutifs : • analyse de panels de gènes pour inclure : – « Les bons malades », c’est-à-dire les patients soigneusement sélectionnés par des staffs pluridisciplinaires, comme ceux des centres de référence maladies rares dans chaque domaine de pathologies, dans l’analyse des « bons gènes », c’est-à-dire des gènes déjà validés par la littérature ou l’expérience des équipes de recherche et qui méritent donc d’être testés dans le cadre d’un phénotype particulier, – et avec « la bonne interprétation », c’est-à-dire une analyse non seulement solide, compétente et argumentée des gènes en question, mais aussi ne pouvant s’étendre à des découvertes non sollicitées ; • Suivie, en cas de résultat négatif, d’un exome, mais d’abord dans des conditions dites « filtrées », c’est-à-dire pour ne lire que les groupes de gènes, validés ou fortement candidats, tout en ménageant une réanalyse possible au fil du temps et des découvertes, et en ouvrant aussi la possibilité d’une analyse globale, possiblement simultanée, mais cette fois-ci, dans un cadre de recherche. Au fond, nous sommes exactement en train de revivre la conduite du changement entre le caryotype et les études ciblées de type FISH (Fluorescent in situ hybridrization) vers la CGH (Comparative genomic hybridization) et, à la lumière de cette expérience récente, nous devons mesurer au mieux les avantages contrastés de ces différentes approches (tableau), en argumentant de la situation particulière du diagnostic prénatal, qui ne rend ces choix que plus délicats. * Comparative genomic hybridation. "Publié dans Pédiatrie Pratique"

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