Publié le 15 mai 2019Lecture 9 min
Approche diagnostique des cardiomyopathies hypertrophiques en 2019
Albert HAGÈGE, département de cardiologie, HEGP, Paris
À côté de la cardiomyopathie hypertrophique (CMH) dite primitive, hypertrophie ventriculaire gauche (HVG) secondaire à une mutation sur un gène codant pour une des protéines du sarcomère cardiaque, la plus fréquente des CMH et la plus fréquente des maladies monogéniques cardiaques, le plus souvent peu invalidante, les CMH non sarcomériques représentent une proportion non négligeable des étiologies (probablement de l’ordre de 10 %), en général beaucoup plus symptomatiques, et de pronostic plus sévère.
Les recommandations ESC 2014 sur la prise en charge des CMH avaient souligné l’importance de la recherche de ces étiologies, représentées principalement chez l’adulte par l’amylose cardiaque, la maladie de Fabry et les maladies mitochondriales, étiologies qui peuvent souvent bénéficier, au contraire de la CMH sarcomériques, de traitements spécifiques, avec souvent un impact sur la morbidité et mortalité. Les centres de références cardiomyopathie effectuent systématiquement une étude génétique chez ces patients qui inclut en général au moins une dizaine de gènes sarcomériques et les gènes GLA (Fabry) et TTR (amylose héréditaire).
Le diagnostic se fait en 2 temps :
– l’HVG est-elle compatible avec une CMH ?
– la CMH est-elle sarcomérique ? Ce diagnostic restant un diagnostic d’élimination des causes non sarcomériques.
Affirmer une CMH en présence d’une HVG
Le diagnostic clinique de CMH chez l’adulte repose sur l’existence d’une HVG, en imagerie de coupes (le plus souvent échocardiographie, avec en général confirmation IRM), au moins égale en télédiastole à 15 mm, sur au moins un segment ventriculaire gauche, et non expliquée uniquement par des conditions anormales de charge ventriculaire (hypertension artérielle sévère, sténose aortique…).
Un seuil diagnostique de 13 mm est utilisé dans les enquêtes familiales.
Le diagnostic chez l’enfant, chez lequel l’ECG est un marqueur plus sensible que l’HVG, est basé sur une épaisseur pariétale excédant d’au moins 2 déviations standards la moyenne prédite pour l’âge et la surface corporelle (il y a des abaques pour cela).
Il faut éliminer une HVG physiologique :
• L’HVG de l’hypertendu sévère est évoquée lorsqu’elle est modérée, avec HTA ancienne, négligée ou sévère, nécessitant une polythérapie ; le contexte familial, la régression lente de l’HVG avec le contrôle tensionnel strict, une IRM non évocatrice de CMH sarcomériques, orientent vers le diagnostic.
• L’HVG de l’athlète de haut niveau est en général modérée (13-15 mm) et rarement (< 1 %) supérieure à 15 mm, sauf chez le sujet afro-caribéen. En faveur du diagnostic sont le sexe masculin, l’ethnie caribéenne ou africaine, le caractère concentrique, la dilatation cavitaire associée, l’absence d’obstruction, d’anomalie diastolique ou du strain global longitudinal (SGL), la normalité des examens complémentaires (ECG effort, Holter ECG), et la régression de l’HVG avec l’arrêt prolongé de l’entraînement.
La présence d’un rehaussement tardif en IRM (souvent septal, aux zones de jonction des 2 ventricules) est rapportée chez 70 % des patients avec CMH sarcomériques et est habituellement absente en cas d’HVG du cœur d’athlète.
• L’HVG du sujet âgé hypertendu, à prédominance septale haute, avec angulation septoaortique marquée, calcifications postérieures volumineuses de l’anneau mitral et fréquente obstruction sous-aortique par SAM, est bien difficile à différencier de la CMH d’origine génétique. Les enquêtes génétiques sont le plus souvent négatives, mais de réelles CMH sarcomériques peuvent être découvertes à un âge avancé.
Évoquer une CMH sarcomérique
Il s’agit d’une affection à transmission autosomale dominante (50 % de probabilité pour un enfant de porter le gène morbide), à pénétrance incomplète (probablement 30 % de porteurs sains en France) et dépendante de l’âge (l’HVG apparaissant avec la croissance), relativement fréquente puisque touchant 1/200 à 1/500 individus dans la population générale adulte.
La découverte d’une mutation sur un gène morbide confirme le diagnostic, mais les tests génétiques systématiques dans les familles ne permettent de conclure que dans moins de 50 % des cas.
La généralisation du génotypage et la multiplication des gènes testés complexifient le diagnostic en mettant souvent en évidence des variants génétiques de signification inconnue. Il peut être aussi évoqué sur l’association de plusieurs des éléments suivants :
– absence de signe extracardiaque ;
– HVG importante du sujet jeune, asymétrique, avec aspect en faux de la cavité ventriculaire ;
– obstruction sous-aortique par SAM de la valve mitrale sur élongation valvulaire ;
– FEVG normale et absence d’HVD ;
– strain global longitudinal et IRM gadolinium non évocateurs d’une cause non sarcomérique :
– biologie systématique normale (hors éventuellement élévation de troponine et/ou BNP) incluant glycémie, créatininémie, ALAT, ASAT, CPK, électrophorèse des protéines, protéinurie.
Éliminer une CMH non sarcomérique
Les CMH non sarcomériques peuvent totalement mimer une CMH sarcomérique, sans (ou peu de) signes systémiques (« variants cardiaques »), mais certains signes cliniques, biologiques ou en imagerie doivent y faire penser.
Sont en faveur d’une CMH de surcharge, non sarcomériques, chez l’adulte :
• L’association à des signes extracardiaques (la CMH sarcomérique ne touche que le coeur) tels un syndrome malformatif, des signes cutanéo-muqueux (angio-kératomes du Fabry, hématomes périorbitaires ou macroglossie de l’amylose), neurologiques (canal carpien uniou bilatéral et neuropathie périphérique de l’amylose, surdité ou AVC/AIT du Fabry), des problèmes visuels (cornée verticillée du Fabry), rénaux (insuffisance rénale, protéinurie du Fabry ou de l’amylose AL) ou musculaires (mitochondriopathies).
• Une histoire familiale compatible avec une transmission liée à l’X (pas de transmission pèrefils).
• Une HVG concentrique, symétrique, homogène, un myocarde scintillant (amylose).
• L’association de l’HVG à une hypertrophie du ventricule droit, à un épanchement péricardique (et éventuellement pleural) et à un profil transmitral restrictif avec E/A > 2 est très évocatrice d’amylose.
• L’absence d’obstruction sous aortique ou de SAM (mais ils sont parfois présents).
• Un microvoltage (50 % des amyloses AL, 20 % des amyloses TTR), un PR court ou un BAV de haut degré (maladie de Fabry, mitochondriopathies, amylose).
• Certaines caractéristiques en IRM gadolinium et en échocardiographie de strain en faveur :
– d’une amylose : strain préservé à l’apex contrastant avec un strain effondré à la base (aspect en cocarde du « bull’s eye »), rehaussement tardif diffus sousendocardique, signal T1 similaire en cavitaire et myocardique) ;
– d’une maladie de Fabry : anomalies du segment ventriculaire gauche basal inférolatéral (amincissement, strain diminué, fibrose médio-murale), signal T1 septal altéré en IRM. • Une hyperfixation myocardique marquée (stades 3/4 ou 4/4) lors d’une scintigraphie osseuse au 99mTc-DPD, très évocatrice d’une amylose à TTR sénile ou héréditaire (présente dans moins de 5 % des amyloses AL).
• Une insuffisance cardiaque NYHA III après 65 ans avec éventuellement altération de la FEVG (amylose).
• Éliminer une amylose AL par la recherche d’une immunoglobuline monoclonale : électrophorèse des protéines sériques, immuno-électrophorèse, recherche d’une protéinurie de Bence Jones, de chaînes légères circulantes (examen non remboursé par la Sécurité sociale).
• Une augmentation des ALAT/ASAT et CPK ou une intolérance glycémique (mitochondriopathies).
• Une activité plasmatique ou intraleucocytaire -galactosidase A effondrée chez l’homme de plus de 30 ans (Fabry).
Les amyloses cardiaques
Elles sont secondaires à des dépôts myocardiques (qui intéressent aussi les autres tissus) de protéines anormales, chaînes légères dans l’amylose AL (secondaire à un pic monoclonal malin, avec ou sans myélome), ou transthyrétine (TTR), sauvage dans l’amylose sénile, mutée dans l’amylose héréditaire.
Longtemps négligées par le cardiologue, ces maladies reviennent sur le devant de la scène en raison de la fréquence élevée des amyloses du sujet âgé.
La prévalence de l’’amylose sénile a été évaluée à 13 % des patients avec insuffisance cardiaque à FEVG préservée et 16 % en cas de sténose aortique proposée pour TAVI. L’amylose AL est fréquente après 80 ans (7 % des cas). Les atteintes de l’amylose héréditaire sont cardiaques, neurologiques ou mixtes. La prévalence de l’amylose héréditaire a été évaluée à 8 % des CMH de plus de 55 ans vues en milieu cardiologique en France ; certaines mutations sont fréquentes dans certaines populations (mutation Val122Ile chez 4 % des Afro-Caribéens).
Le diagnostic d’amylose a des conséquences majeures sur la prise en charge :
– l’amylose AL est une urgence thérapeutique (prise en charge hématologique et chimiothérapie) ;
– l’amylose TTR (mutée ou sauvage) est depuis peu accessible à un traitement spécifique, le tafamidis, stabilisateur spécifique de la TTR, premier traitement ayant montré une amélioration significative de la morbidité et mortalité cardiovasculaires (étude ATTRACT, 2018) ; il est possible aujourd’hui de le prescrire en France dans le cadre d’une RTU (recommandation temporaire d’utilisation, procédure exceptionnelle en attente d’une AMM) ;
– une enquête familiale et génétique est indispensable en cas d’amylose à TTR mutée (transmission autosomale dominante) ;
– enfin, le diagnostic a aussi des conséquences sur la prise en charge cardiologique : intolérance aux bradycardisants (éviter bêtabloqueur) et hypotenseurs (éviter IEC), anticoagulation préventive, indications larges d’implantation de pacemaker, etc.
La maladie de Fabry
La maladie de Fabry est une sphingolipidose lysosomale de transmission génétique liée au chromosome X, entraînant un déficit d’activité de l’ α-galactosidase A lysosomale. C’est en général une maladie multisystémique à début dans l’enfance, avec atteintes rénale, cutanée, ORL, gastro-intestinale et cérébro-vasculaire, mais il existe des formes tardives avec atteinte cardiaque prédominante ou exclusive (variant cardiaque).
L’atteinte cardiaque est au premier plan dans tous les cas et constitue la première cause de mortalité.
Les complications cardiovasculaires représentent la cause la plus fréquente de décès à un âge moyen de 55 ans chez l’homme et de 66 ans chez la femme.
Dans une étude nationale menée par la Société française de cardiologie, la prévalence des variants cardiaques du Fabry a été estimée à 1,8 % dans la cohorte des hommes de plus de 40 ans. L’HVG est rare avant 30 ans chez l’homme et 40 ans chez la femme, mais très fréquente ensuite.
En cas de CMH sans étiologie retrouvée, la Société européenne de cardiologie recommande la recherche d’une maladie de Fabry, soit par dosage de l’activité alphagalactosidase A et/ou le génotypage du gène GLA chez l’homme de plus de 30 ans, soit par génotypage chez la femme.
Les traitements spécifiques, traitement enzymatique substitutif ou molécule chaperonne disponible plus récemment, doivent être entrepris tôt, dès la détection des premières anomalies cardiaques structurelles ou fonctionnelles.
Les CMH mitochondriales
Les maladies mitochondriales sont des maladies rares dues à un dysfonctionnement de la chaîne respiratoire mitochondriale OXPHOS (OXidative PHOsphorylation System). Leurs manifestations cliniques sont très diverses, car elles peuvent toucher n’importe quel organe (mais fréquemment le myocarde), à tout âge et selon tous les modes possibles d’hérédité. Le diagnostic repose sur l’association d’une CMH atypique avec des symptômes neuromusculaires d’évolution progressive, qui orientent vers des tests biologiques enzymologiques spécialisés, avec un diagnostic de certitude histologique (biopsie tissulaire) et génétique. Des traitements spécifiques sont disponibles.
En pratique
Ainsi, en cas de CMH, selon l’orientation clinique et biologique, il faut en parallèle :
- éliminer une amylose AL (urgence thérapeutique) ;
- rechercher une maladie de Fabry (activité alpha-galactosidase sérique effondrée chez l’homme de plus de 30 ans) ;
- demander une scintigraphie osseuse (pour évaluer la fixation cardiaque du traceur), examen essentiel en cas de signes cliniques, échographiques et/ou IRM évoquant une amylose ; en l’absence de gammapathie, en cas de fixation cardiaque est intense, elle signe en pratique le diagnostic d’amylose TTR, la génétique permettant alors de distinguer amyloses séniles et héréditaires ; dans le cas contraire, le diagnostic d’amylose TTR (comme AL) reste possible, bien que peu probable, orienté alors sur IRM et biopsies tissulaires ;
- en présence d’une gammapathie, et quel que soit le degré de fixation cardiaque à la scintigraphie, il faudra éliminer une amylose AL (qui peut côtoyer une amylose sénile), faire un myélogramme et/ou recourir à des biopsies tissulaires (gingivale, graisse sous-cutanée, rectale, médullaire, voire myocardique).
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