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Cardiologie générale

Publié le 15 fév 2020Lecture 12 min

Les syncopes : le point sur les recommandations

Maxime ZABERN, Jean-Claude DEHARO, service de cardiologie-rythmologie, CHU La Timone, Marseille

Les syncopes sont un symptôme fréquent, touchant entre 18 et 40/1 000 sujets-années, et un motif courant de recours à une prise en charge médicale, en service d’accueil des urgences ou en consultation de médecine générale ou spécialisée (9-10/1 000 consultations-années). On note deux pics de survenue, le premier chez l’adulte jeune avant l’âge de 20 ans, et le second après l’âge de 70 ans. Leur prise en charge a longtemps pâti d’une approche non standardisée, très dépendante du ou des praticiens sollicités. Il en résultait une démarche souvent longue, génératrice d’examens complémentaires multiples, et une faible rentabilité diagnostique(1).
En 2018, la Société européenne de cardiologie (ESC) a publié les nouvelles recommandations relatives au diagnostic et à la prise en charge des syncopes. Nous détaillerons ici les éléments les plus marquants de ces recommandations.

Définition, épidémiologie et physiopathologie La syncope est définie comme une perte de conscience transitoire due à une baisse du débit sanguin cérébral global, caractérisée par sa survenue brutale, sa courte durée, et sa récupération complète spontanée, pouvant être précédée ou non de prodromes. Cette baisse du débit sanguin de perfusion cérébral est due à une chute de la pression artérielle (PA) systémique, avec en général une PA systolique < 60 mmHg. La PA étant égale au produit des résistances artérielles systémiques et du débit cardiaque, luimême égal à la fréquence cardiaque multipliée par le volume d’éjection systolique, toute baisse significative du débit cardiaque et/ou des résistances vasculaires est susceptible d’entraîner une syncope (figure 1). Figure 1. Mécanisme physiopathologique et classification des syncopes. D’après(1). Démarche diagnostique Le diagnostic de syncope est un diagnostic clinique et repose sur l’interrogatoire du patient et des éventuels témoins de la scène. L’interrogatoire cherche à confirmer la perte de connaissance et à préciser les circonstances de survenue, le déroulement de la perte de connaissance et de la période de récupération. Au terme de cet interrogatoire, le clinicien doit être en mesure d’écarter les diagnostics différentiels que constituent les autres causes de perte de connaissance, à savoir principalement les crises d’épilepsie, et plus rarement les causes psychogènes ou vasculaires (accident ischémique transitoire, vol sous-clavier, hémorragie sous-arachnoïdienne) ainsi que les pertes de connaissance d’origine traumatique. Classification des syncopes Les syncopes sont classées selon leur mécanisme physiopathologique prédominant (à savoir vasodépression, cardio-inhibition ou réponse mixte) et leur étiologie en 3 classes. Cette classification des syncopes est résumée dans le tableau 1. Évaluation initiale L’évaluation initiale joue un rôle clef, puisqu’elle permet de poser le diagnostic positif de syncope, mais aussi d’orienter le diagnostic étiologique, de stratifier le risque et de définir la suite de la prise en charge. Elle consiste en : – une anamnèse complète reprenant les antécédents personnels et familiaux, les traitements, les circonstances de survenue et le déroulement précis de l’épisode actuel et d’éventuels épisodes antérieurs ; – un examen physique complet, comprenant une mesure de la PA allongée et debout ; – un électrocardiogramme (ECG). La prescription éventuelle d’autres examens paracliniques est guidée par l’évaluation initiale et doit donc être adaptée à chaque patient et non systématique. Au terme de cette évaluation initiale, le clinicien doit être en mesure de poser le diagnostic de syncope et d’écarter les diagnostics différentiels. Certaines caractéristiques sémiologiques permettent de discriminer sensiblement une crise d’épilepsie d’une syncope. Ces caractéristiques sont résumées dans le tableau 2. Une fois le diagnostic de syncope établi, le praticien doit s’efforcer d’orienter le diagnostic étiologique de la syncope en s’appuyant sur les éléments de l’évaluation initiale. Ainsi, une syncope réflexe est suspectée en cas de facteur déclenchant à type de douleur, de peur, et accompagnée de symptômes d’activation du système nerveux autonome (nausées, sueurs, pâleur). Une syncope par hypotension orthostatique est probable en cas de syncope au lever, avec hypotension orthostatique documentée. Une syncope d’origine cardiaque doit être suspectée en cas d’anomalie ECG (dysfonction sinusale, BAV, bloc bifasciculaire, arythmie supraventriculaire ou ventriculaire soutenue ou non soutenue), ou en cas d’antécédent de cardiopathie ou d’anomalie de l’examen physique. Les caractéristiques sémiologiques permettant d’orienter le diagnostic étiologique sont résumées dans le tableau 3. Cette prise en charge initiale doit aboutir à la stratification du risque de la syncope en se basant sur les caractéristiques de l’événement syncopal, les antécédents personnels et familiaux, l’examen physique et l’ECG. Ces critères de stratification du risque sont résumés dans le tableau 4. Prise en charge des syncopes au service d’accueil des urgences Dans le cadre de la prise en charge en service d’urgences, à l’issue de l’évaluation initiale décrite ci-dessus, on distingue trois grands types de situations (figure 2) : • Patient à bas risque : syncope la plus probablement hypotensive ou réflexe, ne nécessitant pas de prise en charge supplémentaire aux urgences. Ces patients doivent bénéficier d’une réassurance et de conseils, avec un retour rapide à domicile. • Patient à haut risque : syncope suspecte d’être d’origine cardiaque, nécessitant une prise en charge diagnostique rapide justifiant une hospitalisation avec une surveillance monitorée (durée entre 6 h et 24 h) et rapprochée, et une prise en charge thérapeutique adaptée. • Patient ne présentant ni les critères de haut risque ni ceux de bas risque : nécessitant une prise en charge spécialisée rapide par un médecin ayant une expertise dans le domaine des syncopes, afin de décider de l’orientation du patient. La décision d’hospitalisation doit se faire au cas par cas. Figure 2. La prise en charge d’une syncope en service d’Urgence. D’après(1). a ou lipothymie ; b certains patients peuvent nécessiter une admission pour une autre raison (traumatisme…) Évaluation diagnostique et examens paracliniques La prescription d’examens paracliniques ne doit pas être systématique, mais guidée par l’évaluation initiale. Ces examens ont pour but de confirmer la suspicion diagnostique. Les indications et les conditions de réalisation des différents examens sont particulièrement détaillées dans les dernières recommandations. Massage sino-carotidien Il est indiqué chez les patients de plus de 40 ans en cas de syncope d’origine indéterminée ou de suspicion de syncope réflexe. Il doit être réalisé en position allongée et debout, avec un monitoring continu de la PA. Il est considéré comme positif en cas d’hypersensibilité sino-carotidienne (définie par la survenue d’une pause supérieure à 3 secondes et/ou une chute de la PA systolique de plus de 50 mmHg) associée à la reproduction des symptômes. Il ne doit pas être réalisé chez les patients ayant un antécédent d’AVC ou d’accident ischémique transitoire (AIT) ni chez les patients présentant une sténose carotidienne > 70 %. Test d’hypotension orthostatique Il doit être réalisé assez largement en cas de suspicion de syncope d’origine hypotensive. Considéré comme positif en cas de baisse lors du passage à l’orthostatisme de la PA systolique de plus de 20 mmHg ou de baisse de la PA diastolique de plus de 10 mmHg, ou de PA systolique inférieure à 90 mmHg en position debout. Le diagnostic de syncope par hypotension orthostatique n’est posé que lorsque la chute de PA s’accompagne d’une reproduction des symptômes du patient. Test d’inclinaison Les indications retenues dans les dernières recommandations sont restreintes, et concernent les patients présentant des syncopes réflexes atypiques ou secondaires à une hypotension orthostatique, afin d’étayer le diagnostic, ou des patients suspects de présenter un syndrome de tachycardie posturale orthostatique (POTS) ou des pseudosyncopes psychogènes. Les conditions de réalisation sont détaillées et illustrées dans un document annexe des recommandations(1). Il est considéré comme positif en cas de reproduction de la syncope, et permet de préciser le mécanisme cardioinhibiteur et/ou hypotensif. Dysautonomie En cas de dysautonomie suspectée, on peut s’aider de tests diagnostiques simples comme la réalisation d’une manœuvre de Valsalva et d’un test de respiration profonde. Un monitoring ambulatoire de la PA (MAPA) sur 24 h peut être réalisé à la recherche d’une baisse brutale de la PA (en per- ou postprandial par exemple). Monitoring ECG Il est indiqué sans délai chez les patients présentant des syncopes à haut risque (surveillance hospitalière en unité télémétrée ou de soins intensifs). Chez les patients présentant des syncopes très fréquentes (au moins 1 épisode par semaine), un Holter ECG de 24 h peut être réalisé afin d’éliminer une cause cardiaque. En cas de syncopes moins fréquentes, un enregistreur ECG longue durée ou un enregistreur d’événement externe peut être indiqué si une origine cardiaque est suspectée. Enfin, un moniteur cardiaque implantable est indiqué en cas de syncope d’origine inexpliquée ou chez les patients présentant des syncopes réflexes fréquentes et/ou sévères(3). Le diagnostic de syncope cardiaque d’origine rythmique (bradycardie ou tachycardie) ne peut être retenu qu’en cas de corrélation temporelle entre l’arythmie et la survenue d’une syncope. Ce diagnostic peut être suspecté en l’absence de syncope en cas de trouble conductif de haut grade (BAV 2 Mobitz 2 ou BAV 3), de pause diurne > 3 s, d’arythmie ventriculaire, ou d’arythmie supraventriculaire rapide. Exploration électrophysiologique (EEP) L’étude de la conduction intracardiaque est indiquée chez les patients présentant un bloc bifasciculaire. Une valeur de HV > 70 ms à l’état de base ou l’induction d’un BAV de haut grade par un test pharmacologique (ajmaline) justifie la mise en place d’un stimulateur cardiaque. Chez les patients présentant un antécédent d’infarctus du myocarde ou une cardiopathie ischémique, une stimulation ventriculaire programmée (SVP) est indiquée et considérée comme positive en cas d’induction d’une TV monomorphe soutenue, justifiant alors l’implantation d’un défibrillateur. Monitoring ECG prolongé Le monitoring ECG prolongé (par moniteur implantable) a aussi sa place en cas de cardiopathie sévère, mais seulement après des investigations approfondies négatives. Échocardiographie Elle est indiquée seulement chez les patients présentant une cardiopathie connue ou pour lesquels une cardiopathie structurelle est évoquée sur les bases de l’examen clinique. Test d’effort Il est indiqué chez les patients présentant des syncopes à l’effort ou en récupération. Prise en charge thérapeutique Traitement des syncopes réflexes En dépit de leur caractère bénin, les syncopes réflexes peuvent constituer un réel handicap pour le patient du fait de leur fréquence et de leur imprévisibilité. La stratégie de prise en charge thérapeutique recommandée est illustrée dans la figure 3. Figure 3. Prise en charge thérapeutique des syncopes réflexes. D’après(1). Le traitement de ces syncopes est avant tout non médicamenteux. En première intention, il faut rassurer le patient en insistant sur le caractère bénin des syncopes, une éducation du patient à reconnaître d’éventuels prodromes précédant la syncope dans le but de prévenir celle-ci et une éventuelle chute en se mettant en sécurité, l’éviction des facteurs déclenchant identifiés par le patient, mais aussi l’augmentation de l’apport sodé journalier (eau gazeuse riche en NaCl par exemple). L’utilisation de ces mesures simples s’accompagne d’une absence de récurrence de syncope dans les 2 années suivantes chez plus de 50 % des patients, et pour ceux présentant toujours des syncopes d’une réduction de plus de 70 % de la fréquence des syncopes. L’efficacité de ces mesures et leur simplicité en font le traitement de première intention. En cas de forme sévère (sans prodromes) et/ou récidivante uniquement, d’autres thérapeutiques peuvent être utilisées, guidées par l’âge du patient et le mécanisme de la syncope : – chez les patients sous traitement antihypertenseur, une réévaluation des traitements s’impose avec diminution, voire arrêt de ceux-ci, notamment chez les personnes âgées ; – les mesures de contre-pression physiques ont démontré leur efficacité chez les patients présentant des prodromes prolongés. Il s’agit de manœuvres de contraction isométrique mettant en jeu de grandes masses musculaires ou les membres supérieurs, qu’il convient d’enseigner au patient. Ces contractions isométriques agissent en augmentant le débit cardiaque et la PA dans la phase précédant la syncope, permettant de contrer la baisse de débit cardiaque et de la PA à l’origine de la syncope ; – les traitements médicamenteux utilisant la fludrocortisone et les alpha-agonistes comme la midodrine ont montré leur efficacité dans des études à faible effectif. Ils peuvent être utilisés chez les patients jeunes, dits « à phénotype de basse tension artérielle », en cas d’échec des règles hygiéno-diététiques et des manœuvres de contre-pression. Les bêtabloquants ne sont plus recommandés ; – les indications d’implantation de stimulateur cardiaque restent réservées aux patients âgés de plus de 40 ans, présentant des syncopes de mécanisme cardio-inhibiteur spontané documenté par un monitoring ECG ou chez les patients présentant une hypersensibilité sino-carotidienne symptomatique. L’implantation d’un stimulateur cardiaque peut se discuter chez les patients présentant des syncopes adénosine-sensibles ou pour lesquels le test d’inclinaison ou le test à l’ATP induit une réponse cardio-inhibitrice asystolique. L’implantation de stimulateur n’est pas recommandée chez les patients sans pause documentée. Les indications d’implantation d’un stimulateur cardiaque sont résumées dans la figure 4. L’implantation d’un stimulateur cardiaque ne permet pas de prévenir complètement la récidive de syncope, et son efficacité dépend de la présence ou non d’un mécanisme vasodépresseur associé ou non. Le test d’inclinaison peut permettre de prédire l’efficacité de la stimulation, sa positivité signant une tendance à la vasodépression. Le risque de récurrence de syncope après implantation est résumé dans le tableau 5. Figure 4. Efficacité prévisible de la stimulation cardiaque définitive dans les syncopes réflexes et risque de récurrence. D’après(1). Traitement des syncopes par hypotension orthostatique L’éducation du patient et les règles hygiéno-diététiques constituent, comme pour les syncopes réflexes, le traitement de première intention, avec une attention particulière portée aux traitements antihypertenseurs et, si besoin, recours à un monitoring ambulatoire de la PA (MAPA), et à l’apport journalier hydro-sodé qu’il convient d’évaluer et d’augmenter si besoin. En deuxième intention, les manoeuvres de contre-pression peuvent être utilisées, tout comme le port de bas ou de chaussette de contention. Les traitements médicamenteux par fludrocortisone ou alpha-agoniste (midodrine) peuvent également être utilisés en deuxième intention. Traitement des syncopes d’origine cardiaque Chez les patients présentant des syncopes dues à une dysfonction sinusale symptomatique ou BAV du 2e ou 3e degré, ayant été documenté par un ECG, il existe une indication d’implantation de stimulateur cardiaque. En cas de bradycardie symptomatique documentée par un monitoring ECG, avec une pause symptomatique > 3 s ou une pause asymptomatique > 6 s, il existe une indication d’implantation de stimulateur cardiaque. Chez les patients présentant des syncopes avec sur l’ECG de base un bloc bifasciculaire, une exploration électrophysiologique doit être pratiquée, et une indication d’implantation est retenue en cas d’intervalle HV > 70 ms à l’état de base ou en cas de BAV induit par test pharmacologique. Chez les patients présentant des syncopes dues à une tachycardie, la prise en charge est celle de l’arythmie, avec une part importante accordée à l’ablation en première intention. En cas de cardiopathie structurelle ou de canalopathie, la prise en charge rejoint celle spécifique de la pathologie, en intégrant la syncope dans le cadre plus général de la maladie sous-jacente et dans l’évaluation du risque rythmique. Syncope et conduite automobile L’autorisation de conduite automobile chez les patients présentant des syncopes dépend de l’étiologie des syncopes, et du type de conduite (à titre privé ou professionnel). Les recommandations quant à la conduite automobile sont résumées dans le tableau 6. Mise en place des unités de syncope Les recommandations préconisent clairement la mise en place d’un parcours-patient standardisé spécifique à la syncope, avec la nécessité de développer des unités de syncope ayant pour but d’améliorer la prise en charge diagnostique et thérapeutique des syncopes, notamment pour la prise en charge des syncopes à bas risque ou à risque intermédiaire. Ces unités de syncopes dirigées par un médecin spécialisé dans la thématique de la syncope doivent fournir le plateau technique nécessaire à la prise en charge des patients (test d’inclinaison, Holter, monitoring ECG, MAPA, table d’éléctrophysiologie), et peuvent regrouper les différents acteurs impliqués dans la prise en charge, médecins cardiologues, neurologues, internistes, gériatres, etc., mais également des infirmières ou des infirmières de pratique avancée. La formation des médecins ou infirmières impliqués peut passer par des formations spécifiques, l’une d’entre elles étant disponible en France à Aix-Marseille université : le CESU de prise en charge experte des syncopes et autres pertes de connaissances brèves (https://umfcs.univ-amu.fr ou umfcsdesu@univ-amu.fr). En pratique Une démarche initiale simple et standardisée permet d’orienter les patients de façon optimale et de limiter le nombre d’hospitalisations, encore beaucoup trop élevé. La prise en charge « moderne » des syncopes nécessite un environnement adapté, garant de l’efficience diagnostique et thérapeutique. Cet environnement correspond à celui des unités de syncopes qui sont encore trop rares dans notre système de soins, bien qu’elles soient prônées par les recommandations internationales(1,2). Une discussion avec l’administration hospitalière et nos tutelles s’impose pour promouvoir l’ouverture de ce type d’unités.

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