Rythmologie et rythmo interventionnelle
Publié le 01 mar 2020Lecture 7 min
Quand ne pas proposer un TAVI et pourquoi ?
Dominique HIMBERT, CHU Bichat-Claude Bernard, AP-HP, Paris
JESFC
Les situations dans lesquelles un TAVI ne doit pas être proposé sont diverses mais peuvent être regroupées en trois grands cas de figure :
• Celles où l’indication n’est pas (encore) établie par manque de preuves scientifiques. C’est le cas par exemple des RAC serrés asymptomatiques ou des RAC non critiques.
• Celles où le geste est rendu futile par la présence de comorbidités limitant fortement l’espérance ou la qualité de vie attendues (néoplasies évoluées, démences sévères…).
• Celles où l’indication d’un remplacement valvulaire aortique (RVA) est validée mais où la chirurgie doit être préférée au TAVI.
C’est sur ce dernier point que porte cet article.
La dernière décennie a vu la prise en charge du RAC changer de paradigme, passant progressivement d’une stratégie : « Chirurgie si possible, TAVI si nécessaire » à l’opposé : « TAVI si possible, chirurgie si nécessaire ». Cette évolution a été sous-tendue et justifiée par la succession d’études randomisées comparant TAVI et chirurgie dans les différents groupes de patients, allant du risque très élevé au risque faible. La métaanalyse de l’ensemble de ces études permet de conclure qu’en comparaison avec la chirurgie de RVA, le TAVI est associé à une réduction de la mortalité toutes causes et des accidents vasculaires cérébraux (AVC) à 2 ans, quels que soient le profil de risque du patient et le type de prothèse percutanée utilisée, déployée par ballon ou autodéployée.
Pourquoi alors ne pas proposer systématiquement un TAVI à tout candidat à un RVA ?
La première raison est liée à la sélection draconienne des patients inclus dans ces études, en particulier dans l’étude sur le faible risque PARTNER 3, où un tiers des 1 500 patients proposés à la randomisation ont été exclus, principalement pour des raisons anatomiques : bicuspidie, abord transfémoral impossible, calcifications de la chambre de chasse, etc. Les paramètres pris en compte dans la décision sont multiples (figure 1), mais la réponse n’est pas binaire Oui/Non. En effet, pour une anatomie donnée, le patient peut être orienté vers la chirurgie ou le TAVI selon son profil de risque. De même, pour un niveau de risque donné, la décision sera dictée par les conditions anatomiques (figure 2).
Figure 1. Paramètres décisionnels.
Figure 2. Anatomie/niveau de risque.
L’âge
L’âge est le premier paramètre décisionnel, car il est déterminant en lui-même et étroitement lié aux autres facteurs tels que l’incidence des bicuspidies, des coronaropathies, les interrogations sur les conséquences à long terme des blocs de branche gauche ou des pacemakers, et pose surtout la question de la durabilité des prothèses percutanées. Dans PARTNER 3, les patients de moins de 65 ans étaient exceptionnels et ceux de moins de 70 ans rares. Les conclusions de l’étude ne s’appliquent donc pas légitimement chez ces patients très jeunes.
Risque faible n’est pas synonyme de jeune âge et, en deçà de 70 ans, le TAVI doit par principe être contre-indiqué sauf contexte d’inopérabilité ou de haut risque chirurgical.
Au-delà de 70 ans, la question se pose différemment avant et après 75 ans. Avant 75 ans, sauf risque chirurgical élevé, la décision d’un TAVI pose la question de la durabilité des prothèses percutanées, incertaine au-delà de 7 ans. Dans cette hypothèse pessimiste, un patient traité par TAVI à 70 ans aura 77 ans lors de la dégénérescence de sa prothèse et moins de 85 ans après un TAVI valve-in-valve… Il paraît donc par principe souhaitable de privilégier la chirurgie au TAVI chez les patients à faible risque dans cette tranche d’âge. Au-delà de 75 ans, la question de la durabilité est moins importante car le cap des 90 ans peut être atteint après un TAVI valve-in-valve. Les contre-indications « de principe » au TAVI sont donc plus rares à cet âge et deviennent exceptionnelles au-delà de 80 ans, motivées seulement par la conjonction d’un risque chirurgical acceptable et de conditions anatomiques défavorables au TAVI.
La bicuspidie aortique
C’est une contre-indication au TAVI chez les patients à faible risque et peut être une contreindication relative chez les autres (figure 3). Son incidence est d’autant plus élevée que les patients sont jeunes (> 80 % avant 60 ans, > 60 % avant 70 ans). Elle représentait un critère d’exclusion dans l’étude PARTNER 3 comme dans l’ensemble des autres grandes études sur le TAVI et les seules informations disponibles proviennent des registres observationnels. Une comparaison par score de propension de 2 700 bicuspidies et 2 700 valves aortiques tricuspides traitées par TAVI chez des patients appariés a été publiée dans le JAMA en 2019. Les résultats montrent, chez les patients bicuspides, un risque plus élevé d’AVC (2,5 vs 1,6 %, p = 0,02), de troubles de conduction nécessitant l’implantation d’un pacemaker (9,1 vs 7,5 %, p = 0,03) et de conversion chirurgicale (0,9 vs 0,4 %, p = 0,03). En pratique, les caractéristiques anatomiques peuvent être très différentes d’une bicuspidie à l’autre, certaines constituent de réels obstacles à un TAVI alors que d’autres sont assez proches des valves tricuspides.
Figure 3. Valve bicuspide aortique.
Dans l’état actuel des données scientifiques, il n’est pas légitime de proposer un TAVI à un patient bicuspide à faible risque et, chez les autres, la décision doit être individualisée en fonction du rapport caractéristiques anatomiques/ isque chirurgical.
L’absence d’accès artériel transfémoral
C’est aussi en défaveur du TAVI chez les patients à faible risque chirurgical. Ces patients ont été exclus de PARTNER 3 et l’analyse des données de FRANCE 2 a bien montré que l’utilisation de voies alternatives classiques (transthoracique et sous-clavière) était un facteur indépendant de mortalité à 1 mois. Les données portant sur les nouvelles voies alternatives (transcarotide et transcavale) sont insuffisantes pour pouvoir les envisager dans ce contexte. Enfin, la reconstruction artérielle ilio-fémorale par dilatation et stenting (« paving by cracking ») commence à être utilisée dans certains cas mais seulement dans le haut risque chirurgical car les données sur le long terme sont inconnues.
Les contre-indications coronaires
Les contre-indications coronaires au TAVI regroupent 3 situations distinctes :
• La nécessité d’une revascularisation chirurgicale : compte tenu des capacités actuelles de revascularisation percutanée, il est rare que la sévérité de la maladie coronaire représente une contre-indication formelle au TAVI chez les patients à haut risque chirurgical, mais dans le faible risque, le statut coronaire peut orienter la décision vers la chirurgie.
• Le risque d’obstruction coronaire induit par le TAVI est un vrai obstacle au TAVI et dans cette situation il ne peut être proposé qu’aux patients formellement contre-indiqués pour la chirurgie, et doit alors être associé à un traitement préventif de l’obstruction : protection de l’ostium coronaire concerné (presque toujours le tronc commun gauche) par positionnement d’un stent non déployé en attente dans le lit d’aval, ou lacération de la cusp coronaire par la technique BASILICA.
• La compromission d’un futur accès aux coronaires : cette question se pose d’autant plus que le patient est jeune et que les probabilités de futur TAVI valve-in-valve et d’évolutivité de la maladie coronaire sont élevées à moyen et long terme. Il s’agit d’un argument fort pour ne pas proposer le TAVI aux patients jeunes si la chirurgie de RVA n’est pas contre-indiquée.
Figure 4. Contre-indications coronaires.
Les troubles de conduction
Induits par le TAVI, ceux-ci sont à prendre en compte dans les populations à faible risque chirurgical. De par leur fréquence et l’absence de progrès associé à l’utilisation des prothèses de dernières générations, ils représentent un frein à l’extension des indications du TAVI aux patients à haut risque de pacemaker (présence d’un bloc de branche droit) ou chez lesquels la stimulation cardiaque définitive pourrait avoir des conséquences négatives. D’autre part, certaines données suggéreraient que la stimulation post-TAVI serait un facteur de mortalité ou d’insuffisance cardiaque à moyen terme.
Les calcifications de la chambre de chasse
Elles peuvent constituer un obstacle au TAVI (figure 5) et doivent être prises en compte dans l’analyse bénéfice/risque avec la chirurgie. Cette caractéristique anatomique était un critère d’exclusion dans PARTNER 3. Tous les opérateurs connaissent bien les risques inhérents à ces calcifications et les données de la littérature les confirment : nécessité de pré- et de postdilatation, majoration du risque de fuite périprothétique moyenne ou sévère, de trouble de conduction nécessitant un pacemaker, d’insuffisance rénale et surtout majoration du risque de rupture de l’anneau aortique. Les résultats du travail de Maeno et coll. (Am J Cardiol 2017) montrent une diminution de la survie à 2 ans après TAVI chez les patients ayant des calcifications moyennes ou sévères de la chambre de chasse par rapport aux patients indemnes (68 vs 82 %, p = 0,01).
Figure 5. Calcifications de la chambre de chasse.
En pratique
Les recommandations générales peuvent être résumées de la façon suivante :
Chez les patients qui ne sont pas à faible risque chirurgical, sauf contre-indication chirurgicale formelle, le TAVI ne devrait pas être proposé aux patients nécessitant une chirurgie cardiaque concomitante valvulaire mitrale ou tricuspide, ou coronaire. Les situations suivantes devraient poser la question des rapports bénéfice/risque comparés de la chirurgie de RVA et du TAVI : accès transfémoral impossible ou difficile, âge < 65 ans, valve aortique bicuspide, risque d’obstruction coronaire, risque élevé de pacemaker, calcifications sévères de la chambre de chasse.
La décision devrait être prise par consensus entre l’équipe soignante et le patient après information explicite de ce dernier et/ou de son entourage.
Chez les patients à faible risque, le TAVI ne devrait être proposé dans aucune des situations précédentes. Il devrait, dans l’état actuel des choses, ne s’envisager qu’en cas d’anatomie parfaitement favorable définie par les critères d’inclusion des études sur le faible risque, chez un patient dûment informé et désireux d’éviter la chirurgie.
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