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Cardiologie interventionnelle

Publié le 15 avr 2020Lecture 11 min

ISCHEMIA : vers une angioplastie raisonnée chez les patients coronariens stables

Romain CADOR, Philippe DURAND, Hôpital Saint-Joseph, Paris

Le 16 novembre 2019, les résultats tant attendus de l’étude ISCHEMIA sont présentés lors de la session des Late Breaking Sciences du congrès de l’AHA. Le traitement médical fait jeu égal avec l’angioplastie en termes de critères durs de morbi-mor talité dans l’angor stable.

Avant même la publication de l’étude (toujours pas annoncée malgré sa présentation il y a plus de trois mois !), les partisans du traitement médical seul se déchaînent contre l’angioplastie et ameutent la presse médicale et grand public contre ces revascularisations inutiles qui grèvent les budgets des systèmes de soins.

Il faudrait être totalement imperméable à la médecine fondée sur les preuves pour balayer d’un revers de main cette très belle étude ; il n’en demeure pas moins que son analyse et sa mise en per spective offrent une lecture probablement moins dogmatique et surtout moins disruptive.

Le contexte Un bénéfice pronostique de la revascularisation dans l’angor stable limité à des sous-groupes de patients En 2007, l’étude COURAGE avait envoyé un premier coup de semonce à la communauté cardiologique. Cette étude nord-américaine avait inclus entre 1999 et 2004, 2 287 patients présentant un angor stable et les avait randomisés entre un groupe traitement médical optimal seul et un groupe revascularisation par angioplastie en plus du traitement médical optimal(1). L’angioplastie échouait à démontrer sa supériorité par rapport au traitement médical dans la prévention des complications graves (décès, infarctus ou événements cardiovasculaires). Le taux cumulé d’événements cardiaques à 4,6 années était de 19 % dans le groupe angioplastie et 18,5 % dans le groupe traitement médical (figure 1). Figure 1. Étude COURAGE : survie sans décès et infarctus. Les réactions furent épidermiques et les critiques nombreuses. • Sur le plan méthodologique, seule 6 % de la population screenée avait finalement été recrutée. • La technique d’angioplastie était loin d’être optimale avec un taux de succès bas, une revascularisation complète exceptionnellement réalisée et des stent actifs (uniquement de première génération) peu utilisés. • Enfin un taux de cross-over de 32 % dans le groupe traitement médical limite de fait le concept de « traitement médical optimal seul ». Les résultats négatifs étaient tempérés par une sous-étude de COURAGE analysant 314 patients permettait de démontrer chez les patients ayant une ischémie modérée à étendue un bénéfice en termes de réduction de risque de mortalité et d’infarctus. Ces résultats ont depuis été confortés par la publication de nombreuses métaanalyses, toutes intégrées dans les recommandations de l’ESC de 2018 (tableau 1) sur la revascularisation myocardique très claires précisant clairement(2) : – l’absence d’indication pronostique à une revascularisation chez le patient coronarien stable tout venant ; – l’indication pronostique retenue dans des sous-groupes de patients : sténose du tronc commun ou de l’IVA proximale, dysfonction ventriculaire gauche, ischémie étendue supérieure 10 %, FFR < 0,8. Un bénéfice fonctionnel probable chez les patients ayant un angor résiduel À 5 ans, dans l’étude COURAGE, le taux des patients asymptomatiques était équivalent dans les deux groupes. La très discutable et controversée étude ORBITA, plus récente, n’a pas retrouvé d’amélioration de la capacité d’effort avec l’angioplastie par rapport à un traitement médical optimal(3). La plupart des métaanalyses étant cependant favorables, les mêmes recommandations valident à un niveau IA l’indication de la revascularisation pour soulager les symptômes chez les patients présentant une réponse insuffisante à un traitement médical optimal. Le bénéfice démontré d’une stratégie guidée par la FFR L’étude FAME 2 publiée en 2012 a marqué un tournant dans la prise en charge interventionnelle de l’angor stable dans la mesure où il s’agit à ce jour de la seule étude ayant démontré la supériorité de l’angioplastie (ATL) associée à un traitement médical optimal (TMO) sur le traitement médical optimal seul(4). Cette étude a inclus 888 patients avec une FFR ≤ 0,8 parmi près de 1 200 patients présentant un angor stable avec au moins une sténose angiographique > 50 %. Les patients randomisés avaient en moyenne 1,8 lésion angiographiquement significative et 1,57 lésion fonctionnellement significative. Le recrutement fut arrêté prématurément en raison d’une augmentation significative de la survenue du critère d’analyse principal (décès, infarctus ou hospitalisation non programmée pour angioplastie urgente) chez les patients du groupe TMO seul : 12,7 % versus 4,3 % dans le groupe ATL (figure 2). Figure 2. Étude FAME 2 : incidence cumulée décès/infarctus/revascularisation urgente. Cette différence était cependant presque exclusivement le fait d’une augmentation très significativement supérieure des hospitalisations pour revascularisation urgente dans le groupe TM0. Cette étude a permis de confirmer le ratio de 50 % des patients présentant un angor stable qui ne relèvent que d’un traitement médical et valide qu’une stratégie basée sur la FFR permet d’identifier les patients les plus à risque pour lesquelles l’angioplastie offre un bénéfice un peu plus que fonctionnel (réduction des hospitalisations en urgence pour revascularisation) sans pour autant réduire la mortalité et les infarctus. L’étude ISCHEMIA Le schéma de l’étude ISCHEMIA se veut avant tout être une réponse aux critiques et interrogations nées de l’étude COURAGE. L’objectif est d’évaluer désormais une revascularisation optimale chez des patients susceptibles d’en bénéficier le plus : recours systématique à des pontages artériels, des stents actifs de dernière génération avec une bithérapie adaptée, patients présentant une ischémie d’effort modérée ou sévère et absence de réalisation préalable d’une coronarographie avant la randomisation pour ne pas exclure les patients les plus graves. Schéma de l’étude Les patients étaient considérés comme éligibles s’ils présentaient un angor stable (ou une ischémie myocardique silencieuse) associé à une ischémie myocardique documentée. Les critères d’exclusion étaient les sténoses significatives du tronc commun, les patients en classe III et IV NYHA, les fractions d’éjection < 30 %, les patients en angor réfractaire ou ayant présenté un syndrome coronaire aigu < 2 mois ou revascularisés par pontage ou angioplastie < 1 an. Les insuffisants rénaux sévères étaient inclus dans une étude spécifique : ISCHEMIA CKD. • Le critère d’analyse principal est un critère composite associant décès, infarctus du myocarde, arrêt cardiaque récupéré, hospitalisation pour angor instable ou insuffisance cardiaque. • Les critères d’analyse secondaire sont la mortalité cardiovasculaire, les infarctus et le score SAQ (Seattle Angina Questionnaire) associant fréquence des crises, limitation de l’activité physique et qualité de la vie. Le suivi moyen prévu était de 3,5 années. Parmi les 8 518 patients éligibles, 73 % des patients ont bénéficié au préalable d’un scanner coronaire (en aveugle) permettant de ne pas inclure des patients présentant un tronc commun non protégé (n = 434) ou sans sténose coronaire sur le scanner (n = 1 218). De même, 1 350 patients présentant une ischémie dite légère n’ont pas été retenus. Au total, 5 179 ont été randomisés en deux groupes : – un groupe invasif (n = 2 588) associant un traitement médical optimal, la réalisation systématique d’une coronarographie puis d’une revascularisation optimale ; – un groupe conservateur (n = 2 591) avec un traitement médical seul et une prise en charge interventionnelle en cas d’échec du traitement médicale. Les caractéristiques des deux groupes sont superposables : âge moyen de 64 ans, grande majorité d’homme (73 %), 42 % de patients diabétiques, 20 % de patients ayant un antécédent d’infarctus, une fraction d’éjection moyenne de 60 %. Le test d’ischémie utilisée était un simple test d’effort dans 25 % des cas et un test associant de l’imagerie dans 75 % des cas ; 34 % des patients étaient asymptomatiques, 22 % souffraient au quotidien ou toutes les semaines et enfin 44 % plusieurs fois par mois. À noter enfin que 29 % des patients avaient un angor de novo ou crescendo. Résultats • Taux de cross-over Pour le groupe interventionnel, 96 % ont eu une coronarographie aboutissant à une revascularisation dans 76 % des cas lors de la prise en charge initiale (20 % de pontage). Il est intéressant de noter que très peu de patients non revascularisés initialement l’ont été secondairement puisque le taux de revascularisation plafonne à 80 % à 4 ans dans ce groupe (figure 3). Figure 3. Étude ISCHEMIA : recours à une coronarographie ou une revascularisation. Dans le groupe conservateur, il y a eu un taux de croisement vers la coronarographie et la revascularisation atteignant respectivement 28 % et 23 % à 4 ans. Le taux de croisement vers le groupe invasif était lié soit un événement intercurrent (13,8 %), soit un angor réfractaire ou un échec du traitement médical optimal (3,9 %), soit à une nonadhérence (8,1 %) (figure 3). • Critère d’analyse principal À 4 ans, aucune différence significative n’est retrouvée entre le groupe invasif et le groupe conservateur sur le critère d’analyse principal (13,3 % versus 15,5 %, p = 0,34) (figure 4). Figure 4. Étude ISCHEMIA : critère d’analyse principal. Les deux courbes en réalité se croisent à 2 ans. Il existe une augmentation de 1,9 % des événements cardiaques lors des 6 premiers mois dans le groupe invasif (3 % versus 0,8 %), les courbes se croisent à 2 ans avec un bénéfice relatif pour la stratégie interventionnelle de 2,2 % à 4 ans. L’analyse du critère principal en fonction des sous-groupes de patients est également extrêmement décevante pour la stratégie interventionnelle : il n’existe en effet pas de bénéfice pronostique y compris chez les patients les plus à risque : angor de novo, patient diabétique, tritronculaires, sténose de l’IVA proximale ou ischémie myocardique sévère (figure 5). Figure 5. Étude ISCHEMIA : critère d’analyse principal selon les sous-groupes de patients. • Critère d’analyse secondaire Aucune différence n’apparaît concernant les décès cardiovasculaires (6,4 % dans le groupe invasif et 6,5 % dans le groupe conservateur) et le taux d’infarctus (11,7 % dans le groupe invasif versus 13,9 % dans le conservateur). La principale différence concerne la nature des infarctus (figure 6). Il existe une augmentation importante des infarctus liés à la procédure de revascularisation type 4a ou 5 observée dans le groupe interventionnel avec une différence significative (RR 2,98 ; p < 0,01). Figure 6. Étude ISCHEMIA : critère d’analyse secondaire – IDM procéduraux et « spontanés ». En revanche, il est observé une augmentation linéaire constante tout au long des 5 premières années des infarctus spontanés dans le groupe conservateur avec une différence également significative (RR 0,67 ; p<0,01). Par ailleurs, la stratégie interventionnelle systématique a permis d’apporter une amélioration significative des symptômes et de la qualité de vie que ce soit chez les patients ayant un angor très fréquent ou plus épisodique (figure 7). Figure 7. Étude ISCHEMIA : critère d’analyse secondaire – Score SAQ. Les limites de l’étude D’une remarquable qualité méthodologique, l’étude ISCHEMIA présente cependant quelques limites qui doivent être intégrées dans la réflexion. • La première limite concerne le conflit d’intérêt potentiel. Cette étude est dite académique, gage d’indépendance. Le promoteur de cette étude est en réalité The National Heart, Lung and blood Institute. Cette institution gouvernementale qui s’occupe de la recherche médicale et biomédicale et dépend du Département de la santé et des services sociaux des États-Unis a dépensé 100 millions de dollars pour cette étude. Les résultats négatifs lui permettraient d’espérer probablement « un retour sur investissement » par les économies de dépenses générées. • La seconde limite concerne la représentativité des patients randomisés. Entre 2012 et 2018, 320 centres ont participé, ce qui fait une remarquable moyenne de 16 patients par centre ! Seuls 2 centres ont inclus plus de 200 patients sur les 6 ans de l’étude soit moins de 50 patients par an. Le faible nombre de patients considérés comme éligibles dans des centres à gros volume malgré des critères d’inclusion larges pose forcément la question des biais de sélection. On s’aperçoit ainsi que les femmes ne représentent que 20 % des patients de l’étude. • La troisième limite est l’absence complète d’évaluation par FFR dans cette étude, outil pronostique pourtant incontournable aujourd’hui dans la prise en charge du coronarien stable. La troisième limite est l’absence complète d’évaluation par FFR dans cette étude, outil pronostique pourtant incontournable aujourd’hui dans la prise en charge du coronarien stable. Enfin une des critiques reste le nombre de cross-over c’est-à-dire de patients finalement revascularisés dans le groupe du traitement médical pourtant dit seul. L’enjeu de l’étude n’était donc pas de comparer le traitement médical seul à une stratégie interventionnelle mais plutôt une stratégie de revascularisation systématique à une stratégie de revascularisation guidée par la clinique. La nuance n’est pas anecdotique et oubliée par ceux qui résument l’étude à un laconique « l’angioplastie inutile dans l’angor stable ». Les enseignements de l’étude • L’étude ISCHEMIA permet donc de confirmer, s’il en était besoin après les résultats des études COURAGE, BARI 2D et FAME 2, qu’une stratégie interventionnelle systématique ne permet pas d’améliorer le pronostic des patients — au prix cependant d’un recours à un geste de revascularisation dans le groupe traitement médical dans 23 % des cas. • En revanche, pour la première fois, un bénéfice sur les symptômes et la qualité de vie est observée dans le groupe interventionnel contrairement aux précédentes études. Par provocation, on peut inverser la problématique : pourquoi dès lors se passer d’une stratégie interventionnelle qui améliore le confort et la qualité de vie des patients sans être associée à un sur-risque ? • L’enseignement majeur de cette étude, susceptible de remettre en cause certains points des recommandations actuelles de l’ESC, est qu’une revascularisation systématique ne s’impose peut-être pas sur le plan pronostique de façon systématique chez les patients les plus à risque : ischémie > 10 % et surtout sténose de l’IVA proximale (tableau 2). • Les grands gagnants de cette étude sont le traitement médical (statines et anti-PCSK9 en tête) et le scanner coronaire. • Les perdants ne sont pas seulement l’angioplastie mais aussi les tests d’ischémie qui étaient jusqu’à maintenant la pierre angulaire de la prise en charge du coronarien stable. À quoi bon rechercher une ischémie étendue si cette dernière ne modifie pas fondamentalement la prise en charge ? L’enjeu des prochaines années est de savoir si on doit abandonner le sur-mesure que nous proposons actuellement à nos patients (évaluation et décision au cas par cas en fonction du terrain, de l’importance de l’ischémie et du résultat de la coronarographie) au profit d’un prêt-à-porter de masse uniquement basé sur un scanner coronaire en début de prise en charge, un traitement maximal des facteurs de risque (avec un LDL < 0,5 g/l) et un traitement interventionnel réservé aux SCA et à d’exceptionnels angors hyperinvalidants. Les économies de temps médical mais surtout de moyens (coronarographie, test d’ischémie, pontages…) utilisés pour le dépistage de l’ischémie silencieuse chez les patients à haut risque et la surveillance du patient coronarien avéré seraient considérables. Pour les organismes gouvernementaux ou privés qui financent la santé dont le NHLB à l’origine de cette étude, la perspective est alléchante et ISCHEMIA leur meilleur argument. Il n’est pas sûr que la puissance de l’étude soit suffisante pour justifier un tel bouleversement. Si 5 179 patients ont été randomisés, moins de 1 500 et 600 patients ont été évalués respectivement à 4 et 5 ans. Cela ne fait pas beaucoup pour remettre en cause une stratégie basée sur des centaines d’études et des centaines de milliers de patients. Par ailleurs la lecture des courbes de décès ou des infarctus spontanés dans le groupe traitement médical incite à une grande modestie. Un pourcentage de 13,9 % de décès ou d’infarctus, 6,9 % de décès et près de 10 % d’infarctus spontanés à 5 ans ne sont pas des résultats satisfaisants. La revascularisation permet de réduire certains de ces infarctus spontanés mais au prix de complications initiales qui grèvent l’équilibre à 4 ans. Elle constitue donc une arme, encore perfectible dont on ne peut pas se passer si on veut espérer améliorer le pronostic de nos patients. En pratique L’enjeu, comme l’avait parfaitement montré FAME 2 est donc de savoir comment identifier les 50 % de lésions qui ne nécessitent pas de geste de revascularisation pour se concentrer sur les 30-40 % de patients qui en ont probablement besoin. La FFR a probablement un rôle à jouer ; il en est de même pour les tests d’ischémie. Le suivi à très long terme des patients d’ISCHEMIA permettra également de savoir si la divergence des courbes observées après la deuxième année continue de s’accroître. Dans l’immédiat, cette étude place le cardiologue interventionnel devant ses responsabilités pour une meilleure sélection des patients, une angioplastie raisonnée et une décision au cas par cas impliquant la Heart Team, le cardiologue traitant mais aussi le patient.

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