Vasculaire
Publié le 01 oct 2021Lecture 7 min
La réadaptation vasculaire du patient artériopathe - Qu’est-ce que c’est ? Pour qui ? Pourquoi ? Comment ?
Aude ROSSI, cardiologue, responsable du pôle réadaptation cardiovasculaire de l’Institut Coeur Paris Centre (Paris)
Votre patient vous décrit une claudication typique à 100 m et vous présente son écho-Doppler qui montre une occlusion fémorale superficielle bilatérale. Vous allez certainement penser à lui prescrire un antiagrégant plaquettaire et des statines, équilibrer sa tension, voire l’adresser vers un chirurgien vasculaire, mais allez-vous penser à la réadaptation ? Peu prescrite et pourtant efficace, la réadaptation cardiaque est un traitement de première intention de l’artérite oblitérante des membres inférieurs, faisant l’objet de recommandations classe IA par toutes nos grandes sociétés scientifiques (ESC[1], AHE/ACC[2], NICE[3], TASK II[4]…). Parfois désignée sous le nom de programme d’exercice supervisé (PES), la réadaptation vasculaire est un traitement qui demande une participation active des patients. Elle comprend non seulement une partie pratique, avec des séances de réentraînement à l’effort et à la marche pluri-hebdomadaires, mais également une partie théorique d’éducation thérapeutique du patient, relative à sa maladie, au contrôle des facteurs de risque cardiovasculaire, à l’arrêt du tabagisme et aux bienfaits d’une alimentation équilibrée.
• Pourquoi prescrire de la réadaptation vasculaire ?
Parce qu’elle est efficace, non invasive et peu risquée et relativement peu coûteuse.
Le bénéfice de l’activité physique n’est plus à démontrer et la sédentarité est désormais un facteur de risque cardiovasculaire bien identifié. La réadaptation a pour ambition de réinstaurer l’activité physique dans la vie du patient, non seulement lors de la période de réadaptation, mais aussi bien au-delà. Il s’agit en fait de changer les habitudes de vie du patient en profondeur : pratique d’une activité physique régulière, mais également rééquilibrage du régime alimentaire, arrêt du tabac, afin de diminuer son risque cardiovasculaire global et de diminuer, voire de stopper la progression de la maladie athéromateuse, qui — ne l’oublions pas — peut toucher quasiment toutes les artères et ne se limite pas à l’atteinte des membres inférieurs.
Les études concernant la réadaptation vasculaire du sujet artéritique ont pour la plupart comme critères de jugement principal la distance de marche sans ou avec claudication. Une récente revue Cochrane(5) a identifié 32 études contrôlées randomisées s’intéressant aux effets de l’exercice sur l’AOMI et rassemblant un total de 1 835 patients. La distance de marche sans claudication (9 études) est améliorée en moyenne de 82 m (IC95% de 72 à 92 m). La distance de marche maximum (10 études) est améliorée de 120 m (IC95% de 51 à 190 m). La qualité de vie, évaluée par le questionnaire SF-36 (score de 0 à 100) est significativement augmentée de 2,15 points (IC95% 1,26 à 3,04) sur le plan physique et de 3,76 points sur le plan mental (IC95% 2,7 à 4,82). Le degré d’amélioration est variable d’un patient à un autre et comme pour tout traitement, certains patients ne sont pas répondeurs. Les indices de pression systolique (IPS), quant à eux, ne sont pas significativement modifiés. Notons que la plupart des études réalisées, même si elles suffisent à apporter un niveau de preuve statistiquement significatif, ne rassemblent cependant que de petits effectifs avec des durées de suivi ne dépassant pas 2 ans. Le risque de la réadaptation a été évalué par l’étude de Gommans et coll. (2015)(6) qui passe en revue tous les événements indésirables rapportés par 74 études, soit un total de 82 725 heures d’entraînement sur 2 878 patients. Le taux d’événements indésirables toutes causes est de 1/13 788 patients et de 1/43 363 heures. Sur les 9 événements indésirables rapportés, 7 étaient d’origine cardiaque dont un fatal sur infarctus du myocarde, et 2 d’origine non cardiaque. Le risque d’amputation n’est pas non plus augmenté(5). Ceci permet de conclure au faible risque de la réadaptation. Rappelons cependant qu’un patient artéritique est un patient à haut risque cardiovasculaire et que la coronaropathie doit être dépistée au préalable avant d’envisager des exercices de haute intensité.
• Tous les patients artéritiques sont-ils éligibles à une réadaptation ?
La réadaptation vasculaire s’adresse à tous les patients souffrant d’une artérite oblitérante des membres inférieurs (AOMI), qu’ils soient symptomatiques ou non. Un grand nombre de patients artéritiques ne décrivent pas de symptôme, souvent parce qu’ils ne marchent en fait que peu ou plus lentement. Comparés aux personnes du même âge sans artériopathie, les patients avec AOMI ont une capacité fonctionnelle réduite(7). Plusieurs petites études randomisées montrent le bénéfice de l’exercice sur la capacité de marche même chez le patient non claudicant(8,9).
Toutefois, certains patients présentent des contre-indications à la réadaptation. La réadaptation est évidemment contre-indiquée chez tout patient présentant une pathologie instable. La réadaptation doit également être différée en cas de plaie des membres inférieurs, afin de ne pas retarder la cicatrisation. D’autres limites parfois rencontrées sont les pathologies orthopédiques ou rhumatismales, ainsi que les troubles neurologiques moteurs ou troubles de l’équilibre qui sont des contre-indications relatives.
Mais la principale limite de la réadaptation est plutôt d’ordre pratique et motivationnel. Un bon nombre de patients sont réticents à la réadaptation, soit parce que l’idée de l’effort les rebute soit parce que la peur d’avoir mal les freine, soit parce qu’ils n’arrivent pas à trouver le temps nécessaire ou à organiser leurs déplacements. La réadaptation demande en effet que le patient se déplace au centre plusieurs fois par semaine et y consacre plusieurs heures… C’est pourquoi une alternative intéressante pourrait être les programmes d’exercice à la maison, bien que les études à ce sujet soient contradictoires et n’en démontrent pas clairement le bénéfice jusqu’à présent(10,11).
• Comment prescrire de la réadaptation ?
Pour le médecin adresseur, il s’agit simplement de réaliser une ordonnance de réadaptation vasculaire et de joindre un compte rendu précisant l’état de santé actuel du patient, ses antécédents, traitements et examens récents. Ensuite, le médecin de réadaptation se chargera d’effectuer des évaluations complémentaires afin d’éliminer les éventuelles contreindications, d’une part, et d’élaborer un programme de réadaptation individualisé, d’autre part. Les facteurs de risque cardiovasculaire modifiables doivent être identifiés afin de cibler l’éducation thérapeutique et de tenter de les corriger. Un tabacologue et un médecin nutritionniste ou un diététicien prendront en charge les patients qui le requièrent. Un test d’ischémie coronaire ou une imagerie coronaire récente sont utiles afin de prévenir au maximum le risque cardiaque. La marche doit être évaluée en début et en fin de réadaptation. On utilisera généralement un test d’effort sur tapis (le plus souvent selon le protocole de Gardner et Skinner) ou le test de marche de 6 minutes. Un test d’effort avec VO2 peut également être intéressant. Un questionnaire de qualité de vie pourra être réalisé en début et fin de réadaptation permettant également d’évaluer les progrès et de faire intervenir en cas de besoin identifié une aide psychologique. De nombreux questionnaires de complexité variable ont été élaborés dans le cadre des études ; les plus validés chez le patient claudicant étant le Short-Form-36 (SF-36) et le Kings’College VascuQol questionnaire ou sa version simplifiée plus adaptée à l’usage clinique, le VascuQol-6.
• Quel exercice prescrire ?
La prescription de l’exercice physique par le médecin de réadaptation doit préciser la fréquence, l’intensité, le type et la durée de l’exercice (en anglais FITT pour Frequency, Intensity, Type and Time).
Les auteurs s’accordent généralement à penser qu’un nombre de 3 séances par semaine donne les meilleurs résultats(12,13), ce qui est cohérent avec les recommandations usuelles concernant l’activité physique. La prescription de l’intensité de l’exercice se réfère généralement aux données obtenues lors du test d’effort (de préférence avec VO2) réalisé au préalable. Néanmoins chez l’artéritique, la VO2max n’est généralement pas atteinte, et l’exercice est limité par la douleur ou la fatigue musculaire. Lors de l’exercice sur tapis, c’est donc plus souvent la douleur qui dicte l’intensité de l’exercice effectué. Sur tapis, on alternera des phases de marche et de récupération. Les recommandations de l’AHA/ACC suggèrent de régler l’intensité de l’exercice de sorte à faire apparaître la claudication après 3 à 5 minutes d’exercice. Après apparition d’une claudication légère à moyenne, le patient doit respecter une période de récupération de quelques minutes de sorte que la douleur disparaisse avant de recommencer l’exercice. Il ne semble pas y avoir de bénéfice supplémentaire à marcher jusqu’à claudication sévère(14), par ailleurs, cette méthode risquerait de décourager le patient et de limiter son adhésion au traitement. Les grandes sociétés scientifiques recommandent la marche sur tapis, comme type principal de réentraînement. Néanmoins, de plus en plus d’équipes ont une approche multimodale et y associent d’autres types de réentraînement sur machine avec de bons résultats. L’exercice sur ergocycle, mais aussi sur ergomètre à bras (rameur ou ergocycle à bras) améliore significativement la distance de marche sans claudication et distance de marche totale(15,16). Il est probable que cette amélioration de la marche, indépendante du mode d’entraînement utilisé, soit en fait plus lié à une amélioration de l’état cardiovasculaire systémique et donc de la capacité d’effort globale plutôt qu’à des modifications localisées de l’état hémodynamique ou métabolique local. L’intérêt de varier les entraînements et de ne pas se limiter au tapis, est notamment de permettre d’éviter la lassitude du patient et donc de favoriser adhésion à son traitement(17). Le renforcement musculaire peut également être proposé et semble avoir un effet bénéfique(8,18).
La durée recommandée des séances est de 30 à 60 minutes (AHA/ACC 2016 et ESC 2017). On augmentera de façon progressive cette durée chez les patients dont la capacité fonctionnelle est la plus limitée, notamment chez les personnes les plus âgées.
La durée recommandée de la réadaptation est d’au moins 3 mois. Les premiers progrès à la marche sont enregistrés après 4 semaines d’entraînement et semblent maximaux après 8 à 12 semaines lorsque l’on s’intéresse à la marche sur tapis(19). Néanmoins, il paraît évident que la marche régulière et l’activité physique régulière ne doivent pas s’arrêter à ces 3 mois si on veut consolider les progrès réalisés. Après arrêt de la réadaptation, le bénéfice à long terme reste incertain(20).
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