Publié le 01 fév 2022Lecture 8 min
De l’hypertension artérielle sévère aux urgences hypertensives : que faire en consultation ?
Romain BOULESTREAU, Centre d’excellence européen en hypertension artérielle (CHU de Bordeaux), coordinateur de la cohorte française HAMA (HTA maligne)
La découverte d’une hypertension artérielle (HTA) sévère (> 180 et/ou 110 mmHg) en mesure « de consultation » est une situation fréquente. Cela recouvre plusieurs tableaux cliniques distincts, avec des prises en charge différentes : l’hypertension artérielle blouse blanche, l’hypertension artérielle sévère « chronique » et les urgences hypertensives. Nous allons détailler ensemble chacune de ces situations, et proposer une prise en charge pratique facilement applicable au quotidien (figure 1).
• L’HTA blouse blanche : attention au piège classique !
Est-ce possible de mesurer en consultation une pression artérielle à plus de 180/110 mmHg, chez un patient le reste du temps faiblement hypertendu, voire normotendu ? Clairement oui, du fait d’un effet « blouse blanche ». Cette situation se rencontre fréquemment, jusqu’à 25 % des mesures tensionnelles réalisées en cabinet dans les conditions standardisées étant surestimées. La prévalence augmente nettement en cas de mesure « à la volée », qui représente notre quotidien en consultation.
Les recommandations européennes de 2021 sur la mesure de la pression artérielle proposent de n’utiliser la pression artérielle de consultation que comme outils de dépistage de l’hypertension artérielle chez les patients normotendus ou hypertendus contrôlés, et comme outils de dépistage de l’hypotension orthostatique. Dès que la pression artérielle n’est pas normale, cela devra être vérifié en ambulatoire(1) avant de prendre une décision thérapeutique. L’effet blouse blanche en lui-même n’ayant que peu de valeur pronostique surajoutée, et risquant d’induire un excès de traitement et de l’iatrogénie.
En l’absence d’atteinte aiguë des organes cibles, il n’y a pas d’urgence immédiate à faire baisser la pression artérielle, voire un risque de complication ischémique. Il faut donc proscrire les traitements à demi-vie très courte type nicardipine 20 mg.
Dans le cas particulier de l’hypertension artérielle sévère de consultation, sans signe d’atteinte des organes cibles, il est proposé d’introduire un traitement d’emblée avant une confirmation ambulatoire rapide (dans la semaine), pour ne pas perdre de temps sur la titration thérapeutique. En cas d’HTA blouse blanche, il sera toujours possible d’arrêter le traitement antihypertenseur.
• L’hypertension artérielle sévère chronique (HTA de grade 3)
Elle est définie par une pression artérielle supérieure à 180/110 mmHg en pression artérielle de consultation, confirmée par une mesure ambulatoire de la pression artérielle (tableau d’automesure tensionnelle standardisé ou holter tensionnel)(2).
La prise en charge thérapeutique devra être dynamique et éviter toute inertie pour protéger rapidement le patient, avec une titration pharmacologique rapide en parallèle de l’amélioration des règles hygiéno-diététiques. Une classe médicamenteuse à pleine dose abaisse en moyenne la pression artérielle de 7-10 mmHg en pression ambulatoire. Il faudra donc démarrer le traitement par une bithérapie (séparée initialement, il n’y a pas d’AMM en France pour les bithérapies combinées en initiation de traitement). En l’absence de comorbidité ou de profil particulier orientant le traitement, on débutera par une association de IEC ou ARA2 et inhibiteur calcique, que l’on pourra augmenter à pleine dose le mois suivant en cas de bonne tolérance et d’efficacité insuffisante, puis ajouter un diurétique thiazidique le mois d’après, comme le proposent les recommandations européennes et internationales récentes(2) (figure 2). En cas de pression artérielle non contrôlée en ambulatoire, malgré cette trithérapie optimale à pleine dose, vous serez face à une hypertension artérielle résistante. Il faudra alors ajouter une 4e molécule dans un traitement basé sur 2 comprimés. En l’absence d’insuffisance rénale de stade 4 et d’hyperkaliémie > 5 mmol/l, ce sera la spironolactone en première intention, avec une surveillance de la fonction rénale et de la créatininémie régulière, et de l’efficacité à 2 mois. Deux messages importants découlent de ces recommandations : la titration dynamique permet de mettre en place une quadrithérapie optimale à pleine dose en 3 mois (pas d’inertie !), et en 2 comprimés. Cette stratégie favorise massivement l’observance.
Ensuite, devant une HTA résistante il faudra adresser le patient à un spécialiste pour un bilan d’hypertension artérielle secondaire exhaustif, la prévalence d’HTA secondaire étant d’environ 20 % dans cette population (1 patient sur 5). Certaines recommandations proposent même de réaliser un bilan d’HTA secondaire d’emblée devant une hypertension d’emblée sévère au diagnostic. Ce bilan sera l’occasion de refaire le point sur la prise de substance hypertensive, notamment la consommation sodée du patient, si besoin à l’aide d’une natriurèse des 24 heures, l’amélioration du régime sodé pouvant abaisser fortement la pression artérielle dans ce contexte. Un bilan hormonal, rénal et rénovasculaire sera également prévu. La liste des centres d’expertise en hypertension artérielle est disponible sur le site de la SFHTA (https://www.sfhta.eu/?page_id=888). Ils pourront également vous apporter une expertise sur les tableaux complexes, fréquemment associés aux tableaux d’HTA sévère.
En cas d’HTA sévère chez un patient déjà traité, l’inobservance est la première cause à évoquer. Pour corriger cela, il est important de limiter le nombre de prises et de comprimés. Une quadrithérapie antihypertensive optimale pouvant être associée dans 2 comprimés, une idée forte et efficace est la suivante : on ne devrait jamais prescrire plus de 2 comprimés (contenant 4 molécules) chez un patient hypertendu, même en cas d’HTA sévère et résistante, sans l’avis d’un centre expert.
Par ailleurs, il est bien démontré qu’en l’absence d’atteinte aiguë des organes cibles, les patients avec une HTA présentent le même pronostic en cas de prise en charge ambulatoire « dynamique » et de prise en charge hospitalière. Dans les 2 bras, les patients présentent 0,9 % d’événements cardiovasculaires à 6 mois(3). S’il faut s’assurer de contrôler rapidement la pression artérielle de ces patients, il n’est pas utile (voire délétère) d’utiliser des traitements antihypertenseurs intraveineux ou per os à demi-vie très courte (type nicardipine 20 mg).
• Les urgences hypertensives
Ce sont LES SITUATIONS rares, mais À NE PAS RATER. Elles sont associées à un mauvais pronostic à court terme en l’absence de prise en charge spécifique, et nécessitent le plus souvent un traitement hospitalier.
Elles sont définies par :
– une hypertension artérielle sévère, aussi appelée de grade 3, définie par une pression artérielle > 180/110 mmHg associée à ;
– l’atteinte aiguë d’un ou plusieurs organes cibles : accident vasculaire cérébral ischémique ou hémorragique, encéphalopathie hypertensive, oedème aigu du poumon, ischémie myocardique, dissection aortique, prééclampsie, voire une hypertension artérielle maligne(4).
Ces urgences hypertensives représentent 25 % de l’ensemble des passages aux urgences avec une HTA de grade 3, mais sont probablement sous-estimées. Le diagnostic nécessite en effet de réaliser un bilan des organes cibles, ce qui est souvent omis au quotidien. Il n’est réalisé que dans 3 % des cas selon l’étude la plus péjorative.
En l’absence de filière ambulatoire rapide, cela devra impliquer un passage aux urgences.
En cas d’atteinte d’allure aiguë d’un des organes cibles, le diagnostic d’urgence hypertensive est posé. Le pronostic et la prise en charge dépendent de l’organe touché et du type d’atteinte. Cela relève des recommandations spécifiques à chaque organe en termes de molécule, de voie d’abord et de cible tensionnelle, et ne sera pas détaillé ici (bien décrit dans la référence 3).
Arrêtons-nous un instant sur une forme particulière : l’hypertension artérielle maligne. C’est une atteinte rapidement progressive de l’ensemble des microvaisseaux de l’organisme, liée à une élévation tensionnelle sévère qui dépasse les capacités d’autorégulation des différents organes. Elle est définie classiquement par une hypertension artérielle sévère (au minimum > 180/110 mmHg, le seuil exact est débattu) associé à une rétinopathie hypertensive sévère (le classique oedème papillaire, mais également des exsudats secs, nodules cotonneux et des hémorragies papillaires). Récemment, il a été proposé d’élargir cette définition aux patients présentant une hypertension artérielle sévère et trois des quatre situations suivantes : atteinte rénale, cardiaque ou cérébrale subaiguë ou microangiopathie thrombotique. L’hypertension artérielle maligne touche en particulier de jeunes patients, âgés en moyenne de 47 ans dans la cohorte bordelaise, et grève lourdement leur pronostic avec 18 % d’événements cardiovasculaires, rénaux ou de mortalité à 4 ans(5). En l’absence d’atteinte d’organe cible nécessitant un contrôle tensionnel immédiat, le traitement repose sur une hydratation douce et une baisse progressive de la pression artérielle. L’objectif est d’abaisser la pression artérielle moyenne de 25 % dans les 6 premières heures, classiquement par voie intraveineuse, et de démarrer une titration per os en parallèle. Certains centres comme le nôtre utilisent d’emblée une titration rapidement progressive en IEC ou ARA2(5).
La France est le seul pays à avoir mis en place une cohorte prospective multicentrique et multidisciplinaire sur cette forme particulière. Les premières données confirment les connaissances épidémiologiques présentées ci-dessus. Elles confirment que si l’HTA maligne reste rare, elle n’a pas disparu avec probablement autour de 1 000 cas par an en France. Elle est en revanche nettement sous-diagnostiquée. Il faut donc y penser !
HTA sévère, urgences hypertensives : en pratique (figure 1)
Devant une hypertension artérielle sévère de consultation, inhabituelle, persistante sur plusieurs mesures réalisées dans des conditions standardisées :
– éliminer une urgence hypertensive par un examen neurologique, cardiologique attentif, un bilan des organes cibles (biologique, ECG, fond d’œil), si besoin via un passage aux urgences ;
– démarrer un traitement, et sécuriser rapidement la mesure de la pression artérielle en ambulatoire pour éviter le piège de l’HTA blouse blanche (holter tensionnel ou tableau d’automesure standardisé) ;
– en cas d’HTA sévère chronique confirmée, assurer une titration rapide des traitements antihypertenseurs avec pour objectif d’atteindre en 3 mois maximum le contrôle tensionnel ou la trithérapie optimale en 2 comprimés, voire la quadrithérapie et l’avis d’expert si cela est insuffisant ;
– une HTA sévère confirmée place d’emblée le patient à haut risque cardiovasculaire, nécessitant une évaluation cardiologique et une cible basse en LDLcholestérol (< 0,7 g/l) ;
– en l’absence d’atteinte aiguë des organes cibles, l’hospitalisation n’est pas nécessaire, et les traitements antihypertenseurs à demivie courte inutiles, voire dangereux.
Que dire à vos patients ?
• Informer sur le fait que cette hypertension artérielle sévère, même si elle n’est pas symptomatique, les expose au risque d’événement cardiovasculaire dans les années à venir, et que ce risque peut être prévenu en normalisant la pression artérielle.
• Rassurer sur le fait que ce ne sont pas les élévations tensionnelles brutales et transitoires qui entraînent les événements cardiovasculaires, mais le niveau de pression artérielle moyen que l’on approche le mieux par des mesures ambulatoires.
• En cas d’effet blouse blanche, préciser qu’il faudra se baser sur la pression ambulatoire plus que la pression de consultation.
• Expliquer que les deux façons de contrôler la pression artérielle sont d’améliorer ses règles hygiéno-diététiques et d’être rigoureux sur la prise des traitements.
• Dédramatiser les effets secondaires et les problèmes d’observances, en proposant d’en reparler avec vous si cela arrivait.
Liens d’intérêts : prises en charge pour des congrès et des soirées de formation des correspondants : Servier, Medtronic, Novartis, Novo Nordisk, Bouchara-Recordati, Bayer.
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