Risque
Publié le 04 mai 2022Lecture 7 min
Lipoprotéine(a) : un facteur de risque à revisiter ?
Michel FARNIER, Équipe PEC2, EA 7460, université de Bourgogne Franche-Comté, Dijon
Découverte en 1963, la lipoprotéine(a) (Lp[a]) a été rapidement associée à un risque cardiovasculaire accru, mais son intérêt est resté longtemps limité en raison d’un dosage difficile et de l’absence de moyens thérapeutiques hormis l’aphérèse pour abaisser des taux très élevés. La Lp(a) connaît un regain d’intérêt ces dernières années depuis que des données épidémiologiques et génétiques ont mieux précisé le risque associé à un excès de Lp(a) et surtout en raison du développement de traitements médicamenteux spécifiques, avancées qui ont conduit plusieurs sociétés savantes à publier des consensus centrés sur cette lipoprotéine(1-3).
• Une structure et un métabolisme complexes
Les particules Lp(a) correspondent à l’assemblage de 2 composants majeurs : d’une part, une particule LDL contenant une molécule d’apolipoprotéine B (apoB100) et, d’autre part, une glycoprotéine spécifique, l’apolipoprotéine(a) ou apo(a), de taille variable et liée de façon covalente par un pont disulfure à la molécule d’apoB (figure 1). La Lp(a) est une lipoprotéine riche en cholestérol, contenant en termes de masse 30 à 45 % de cholestérol. La Lp(a) contient également une proportion importante de phospholipides oxydés. La glycoprotéine apo(a) a un degré élevé d’homologie avec le plasminogène, mais alors que le plasminogène est composé de 5 motifs kringles K-I à K-V et d’un domaine protéase actif, l’apo(a) ne contient pas les kringles K-I, K-II et K-III, avec 10 kringles K-IV dont un nombre variable de kringle K-IV-2, une copie de K-V et une protéase inactive. En raison du nombre variable de kringle K-IV-2 (entre 2 et 40), il existe plusieurs isoformes possibles pour la Lp(a). La Lp(a) varie ainsi en taille et en poids moléculaire.
Figure 1. Structure de la lipoprotéine(a) et risques induits par des taux élevés de cette lipoprotéine.
K : Kringle, PL : phospholipides, TG : triglycérides, FC : cholestérol libre, CE : cholestérol estérifié, P : protéase
Entre 70 et 90 % des taux circulants de Lp(a) sont déterminés génétiquement par le gène LPA situé sur le chromosome 6. De ce fait le taux est stable, peu influencé par l’âge, le sexe et les changements dans le mode de vie comme l’alimentation par exemple. En revanche, il existe de fortes variations interethniques, avec des taux en moyenne plus élevés chez les sujets noirs que chez les Caucasiens.
Il existe une corrélation inverse entre la concentration plasmatique de Lp(a) et la taille de l’apo(a), c’est-à-dire le nombre de domaines K-IV-2 : moins il y a de kringles K-IV-2, plus le taux de Lp(a) est élevé.
L’apo(a) est synthétisée presque exclusivement dans le foie, mais son métabolisme et en particulier les mécanismes par lesquels la Lp(a) est éliminée du plasma reste l’objet de controverses. Il semble toutefois que la voie du LDL-récepteur soit peu impliquée, un argument étant l’absence d’effet des statines sur les taux circulants de Lp(a). Parmi les différents mécanismes évoqués pour le catabolisme, l’élimination rénale semble jouer un rôle important.
• Un risque de mieux en mieux établi
Schématiquement, la Lp(a) contribue au risque cardiovasculaire par les 3 principaux mécanismes suivants :
– un rôle pro-athérogène par la partie proche d’une LDL avec importance du contenu en cholestérol et en phospholipides oxydés de la Lp(a) ;
– une action prothrombotique et antifibrinolytique liée à la protéine apo(a). En effet, à l’op-posé du plasminogène, l’apo(a) ne possède pas d’activité fibrinolytique et entre en compétition avec le plasminogène pour la liaison à la fibrine ;
– et enfin, un effet pro-inflammatoire majeur essentiellement en relation avec le contenu en phospholipides oxydés présents dans le noyau lipidique et également liés au kringle K-V.
Plusieurs études observationnelles incluant des métaanalyses récentes ont suggéré une association entre élévation de la Lp(a) et risque d’infarctus du myocarde (IDM), d’accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique, d’artériopathie périphérique et de sténose de la valve aortique(2-4). De plus, des données génétiques ont fourni des arguments forts pour un rôle causal de la Lp(a) pour les maladies cardiovasculaires athéromateuses. Cependant, il n’a pas été retrouvé de lien clair entre des taux élevés de Lp(a) et le risque de maladie thrombo-embolique veineuse chez l’adulte.
• Une mesure peu répandue et un seuil de risque encore mal standardisé
Le dosage de Lp(a) n’étant plus remboursé en France, la mesure de ce paramètre est peu répandue alors que la prévalence de taux élevés est importante en population générale, 20 à 30 % de la population étant au-delà de la norme habituelle d’un laboratoire, à savoir Lp(a) < 30 mg/dl ou 75 nmol/l(5).
Pour identifier les sujets caucasiens à risque, des études récentes ont proposé un seuil de 50 mg/dl ou 125 nmol/l, au-delà duquel le risque cardiovasculaire augmente significativement après ajustement multivarié(2,5). Chez des patients sous statine, le hazard ratio est de l’ordre de 1,5 pour des individus avec Lp(a) ≥ 50 mg/dl versus < 50 mg/dl(5).
La concentration de Lp(a) doit être mesurée par un test immunologique qui ne soit pas affecté par la variation de taille de l’apo(a). Idéalement, les taux de Lp(a) devraient être exprimés en nmol/l (reflétant le nombre de particules Lp[a]), mais les taux sont souvent rendus en termes de masse (en g/l ou mg/dl).
Compte tenu des isoformes de taille et de masse variables, il n’existe pas de facteur de conversion parfait entre g/l et nmol/l. Toutefois, et surtout pour les taux élevés avec présence d’isoformes de petite taille, le facteur de conversion proposé est celui déjà indiqué : 125 nmol/l, sensiblement équivalent à 0,50 g/l.
Un élément important est à connaître pour la pratique quotidienne : le taux de LDL-cholestérol (LDL-C) rendu dans un bilan lipidique standard inclut le cholestérol contenu dans la Lp(a). De ce fait, le taux de LDL-C doit être corrigé pour les patients avec Lp(a) élevée et disposer d’un LDL-C corrigé est important tant pour apprécier l’efficacité d’un traitement hypolipémiant, que pour suspecter une hypercholestérolémie familiale (HF) hétérozygote. Le taux de LDL-C corrigé et exprimé en g/l est en général calculé de façon conservatrice comme suit : LDL-Ccorr = LDL-C – (Lp[a] x 0,30) (LDL-C et Lp[a] en g/l).
• Un dosage utile dans certaines circonstances
Les recommandations européennes de prise en charge des dyslipidémies proposent un dosage de Lp(a) pour tout sujet adulte afin d’identifier ceux qui ont des taux très élevés. En effet, il est admis que la présence d’un taux > 180 mg/dl ou > 430 nmol/l induit un risque d’athérosclérose comparable à celui associé à une HF hétérozygote. Ce dosage « universel » étant loin d’être entré dans la pratique clinique, le dosage de Lp(a) est à demander en priorité dans les cas reportés dans le tableau 1.
Un dosage de Lp(a) est également utile chez des patients ayant une mauvaise réponse apparente à un traitement par statine seule ou associée à ézétimibe, c’est-à-dire les patients avec une réduction du LDL-C bien inférieure à celle attendue. Enfin, la découverte d’un taux élevé de Lp(a) peut conduire à reclasser les patients dans un niveau de risque supérieur. La notion d’un taux très élevé doit déclencher un dépistage en cascade dans la famille et pour un patient en prévention primaire, la réalisation d’un score calcique coronaire et la surveillance de la valve aortique.
• Une faible efficacité des traitements hypolipémiants disponibles, mais des espoirs thérapeutiques
Les traitements hypolipémiants oraux statine et/ou ézétimibe n’abaissent pas le taux de Lp(a). Il a même été rapporté qu’un traitement par statine pouvait induire une dégradation modérée de ce paramètre (environ 10 % en moyenne) dont la significativité clinique est loin d’être établie, et qui ne remet pas en cause le bénéfice d’une statine induit par la baisse majeure du LDL-C, ceci même chez des patients avec Lp(a) élevée.
Les inhibiteurs de PCSK9 induisent une baisse modérée de la Lp(a) (de l’ordre de 20 à 25 %) dont le mécanisme est encore loin d’être consensuel. La significativité clinique de cette baisse reste également à confirmer, même si les résultats d’une analyse complémentaire de l’étude ODYSSEY-Outcomes suggèrent que l’abaissement de Lp(a) sous alirocumab serait un contributeur indépendant à la réduction des événements cardiovasculaires(1,3).
Pour l’instant, aucun traitement pharmacologique abaissant spécifiquement le taux de Lp(a) n’est disponible. Par ailleurs, deux analyses en randomisation mendélienne ont estimé les réductions de Lp(a) qu’il serait nécessaire d’obtenir pour avoir une diminution des événements cardiovasculaires équivalente à celle observée par une réduction de LDL-C de 1 mmol/l (environ 0,40 g/l). Ces réductions de Lp(a) seraient de l’ordre de 0,65 à 1,00 g/l. De telles réductions de Lp(a) pourront être obtenues avec les nouvelles approches en développement soit par oligonucléotide antisens (pélacarsen), soit par petit ARN interférent (olpasiran et SLN360), en recrutant des patients avec taux très élevés de Lp(a). C’est ce qui est en cours dans l’étude de prévention cardiovasculaire HORIZON avec le pélacarsen.
Dans l’attente de pouvoir disposer de ces inhibiteurs spécifiques de Lp(a), et en présence d’un taux de Lp(a) franchement augmenté, l’attitude actuelle est de réduire au maximum tous les autres facteurs de risque et en particulier d’abaisser le plus possible le taux de LDL-C (en veillant à le corriger par une estimation du cholestérol contenu dans la Lp[a]). La seule thérapeutique spécifique remboursée dans certains pays est l’aphérèse et de nombreux patients en prévention secondaire avec Lp(a) augmentée sont traités en Allemagne par aphérèse. Deux analyses rétrospectives indiquent que cette technique onéreuse et contraignante est associée à une réduction des événements cardiovasculaires.
Le docteur Michel Farnier déclare avoir reçu des honoraires en tant qu’investigateur, expert scientifique et/ou conférencier de la part des firmes suivantes : Abbott, Amarin, Amgen, AstraZeneca, Austell, Kowa, Merck and Co, Organon, Recordati, Sanofi/Regeneron, Servier, SMB et Viatris.
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