Valvulopathies
Publié le 01 nov 2022Lecture 9 min
Enjeux diagnostiques du rétrécissement aortique
Yohann BOHBOT*, Christelle DIAKOV**, Sophie RIBEYROLLES**, *Maître de conférences des universités-praticien hospitalier, Service de cardiologie, CHU Amiens Sud **Cardiologues, Institut mutualiste Montsouris, Paris
Le rétrécissement aortique (RA) d’origine dégénérative est la valvulopathie la plus fréquente dans les pays développés et sa prévalence devrait doubler d’ici 2050 du fait du vieillissement de la population et de l’allongement de l’espérance de vie(1). Son diagnostic et sa prise en charge sont aujourd’hui relativement simples et bien codifiés dans la majorité des cas(2,3), mais il existe des situations plus complexes. D’une part, sur le plan diagnostique, le caractère serré de certains RA est parfois difficile à affirmer en raison de discordances apparentes entre le gradient moyen et la surface valvulaire aortique. D’autre part, sur le plan thérapeutique, la stratification du risque chez le patient asymptomatique ainsi que la confirmation de ce réel statut asymptomatique sont de vrais enjeux. Enfin, lorsque l’indication de remplacement valvulaire aortique (RVA) est retenue, la discussion entre le type de prothèse et sa voie d’implantation (chirurgicale ou percutanée) par la « heart-team » demeure centrale.
Le RA est-il vraiment serré ?
Le RA serré (ou sévère) est défini en échocardiographie par un gradient moyen (Gd moy) ≥ 40 mmHg, un pic de vélocité transaortique maximal (V max) ≥ 4 m/s et une surface aortique (SAo) ≤ 1 cm2 (ou 0,6 cm2/m2)(2). Malgré ces limites bien définies, ces paramètres hémodynamiques et anatomiques ne sont pas toujours concordants. L’existence d’une discordance échocardiographique doit amener à prendre en compte des paramètres additionnels : le statut fonctionnel, le débit cardiaque, le degré de calcification valvulaire, la fonction ventriculaire gauche, la présence ou non d’une hypertrophie myocardique, les conditions de flux, l’index de vélocité Doppler et la vérification de la pression artérielle(3). Il faut en outre s’acharner à éliminer une erreur de mesure(2,4) :
– éviter la sous-estimation de la mesure de la chambre de chasse aortique (CCVG). Cette dernière étant au carré dans l’équation de continuité, une petite erreur peut conduire à un grand écart de surface aortique. On peut s’aider du calcul de la CCVG prédite en fonction de la surface corporelle(5) : CCVG prédite = (5,7 x surface corporelle) + 12,1. Si nécessaire, la comparer à d’autres méthodes d’imagerie (échographie 3D, scanner cardiaque) ;
– confirmer le statut de bas débit : la valeur du bas débit, bien qu’actuellement débattue(6,7), est actuellement définie par un volume d’éjection systolique indexé (VESi) ≤ 35 ml/m2. Calculer la fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG) par Simpson ou bien par volumétrie 3D dès que cela est possible ;
– identifier la cause du bas débit cardiaque : remodelage concentrique ventriculaire gauche, dysfonction longitudinale, fibrillation atriale, amylose cardiaque, sténose ou insuffisance mitrale, insuffisance tricuspide, dysfonction ventriculaire droite ;
– confirmer le bas gradient : multiplier les mesures dans toutes les fenêtres échocardiographiques (apicale, parasternale droite et supra-sternale).
Si la discordance est confirmée, l’échocardiographie doit alors être complétée par d’autres examens. L’échographie à la dobutamine faible dose (20 μg/kg/ min maximum) peut être réalisée afin de déterminer la présence d’une réserve contractile et de démasquer un RAC serré dissimulé par un bas débit cardiaque. Il est à noter que l’absence de réserve contractile (absence de majoration du VESi > 20 ml/m2) est un marqueur de mauvais pronostic(8). Un complément d’examen par établissement du score calcique valvulaire aortique, obtenu par scanner thoracique sans injection de produit de contraste, peut être également nécessaire. En cas de surface aortique établie comme < 1 cm2 ou < 0,6 cm2/m2, l’étude du RA doit se poursuivre par la caractérisation du Gd moy, du débit cardiaque et de la FEVG. En fonction de ces 3 paramètres, 4 grandes entités peuvent être définies (figure 1).
Deux entités avec débit normal :
Le RA à haut gradient :
– SAo ≤ 1 cm2 et Gd moy ≥ 40 mmHg, Vmax ≥ 4 m/s ;
– concordance entre tous les paramètres : le RA est serré, peu importe le débit cardiaque ou la FEVG.
Le RA avec normo-débit et bas gradient :
– SAo < 1 cm2 avec VESi > 35 ml/m2 et FEVG > 50 % et Gd moy < 40 mmHg ;
– correspondent en général aux RA moyennement serrés, à réévaluer par score calcique. À noter que certaines études ont montré un pronostic identique entre les RA « normo-débit bas gradient » et les RA moyennement serrés(9,10).
Deux entités avec bas débit :
Le RA avec bas débit (avec FEVG altérée) et bas gradient :
– SAo ≤ 1 cm2 avec VESi ≤ 35mL m2 et FEVG < 50 % et Gd moy < 40 mmHg ;
– les paramètres peuvent être abaissés du fait de la réduction de la FEVG entraînant un bas débit cardiaque. Réalisation d’une échographie dobutamine faible dose : distinction entre RA pseudo-sévère (avec réserve contractile permettant d’obtenir une SA > 1 cm2) et les RA serrés ou sévères (SAo ≤ 1 cm2 malgré élévation > 20 % du VESi). En cas d’absence de réserve contractile (élévation < 20 % du VESi), il faudra s’aider pour trancher du score calcique ou encore du calcul de la surface aortique projetée (estimant la surface aortique pour un débit transvalvulaire normal).
Le RA avec bas débit paradoxal (avec FEVG préservée) et bas gradient :
– SAo ≤ 1 cm2 avec VESi ≤ 35 ml/m2, mais FEVG > 50 % et Gd moy < 40 mmHg ;
– cette entité est la plus complexe. Elle est majoritairement retrouvée chez les patients âgés hypertendus avec petits ventricules hypertrophiés résultant en une diminution du flux transvalvulaire malgré une FEVG préservée. Il faut l’étiqueter avec prudence, car elle résulte la plupart du temps d’une erreur de mesure, qui doit de fait être rigoureusement exclue (cf. ci-dessus). Le score calcique permettra dans la plupart des cas de trancher.
Notons la présence d’une 5e entité, le RA à haut gradient avec haut débit (Gd moy ≥ 40 mmHg, Vmax ≥ 4 m/s, mais VESi supérieur à la normale). On peut retrouver cette situation chez les patients anémiés, en hyperthyroïdie, porteurs d’une fistule artério-veineuse ou encore chez certains patients avec cardiomyopathie obstructive. Il est alors nécessaire de réévaluer le RA sous conditions de flux normalisées. Si le haut débit n’est pas réversible, le RA est considéré comme serré. La figure 1 permet de résumer la conduite à tenir chez ses patients, en cas de doute sur la sévérité du RA (d’après les recommandations européennes de 2021, des recommandations conjointes de l’EACVI/ASE de 2017, et la synthèse de l’équipe de Laval à Québec[2-4]).
Le patient est-il réellement asymptomatique et à bas risque d’événements ?
Si l’indication de RVA est formelle en cas de RA serré symptomatique, la prise en charge des patients asymptomatiques est plus complexe. En effet, le taux de mort subite chez le patient asymptomatique est relativement faible (< 1 %/an) et doit être mis en balance avec le risque de mortalité du RVA (1 à 3 %) et les complications spécifiques des prothèses(3). Néanmoins, ce raisonnement n’est applicable que pour les « vrais » asymptomatiques et de nombreux patients jugés à tort (ou pendant trop longtemps) « asymptomatiques » sont opérés trop tard ce qui entraîne une morbi-mortalité importante. Il est donc crucial de confirmer le caractère asymptomatique « vrai » puis de rechercher des facteurs de mauvais pronostic chez ces patients, dont la présence plaidera pour une intervention plus précoce.
L’évaluation à l’effort est contreindiquée chez les patients symptomatiques, mais présente peu de risques en l’absence de symptômes à condition d’être pratiquée sous surveillance médicale dans un environnement adapté(3). Elle permet de dépister les faux asymptomatiques, d’évaluer les capacités fonctionnelles des patients ainsi que le profil tensionnel d’effort. L’apparition de symptômes (observée chez environ un tiers des patients dits asymptomatiques) et/ou la chute de pression artérielle à l’effort (> 20 mmHg) sont associées à un mauvais pronostic et constituent des indications claires de RVA(3) (tableau 1).
L’échocardiographie d’effort ou l’épreuve d’effort cardio-pulmonaire permettent d’apporter des informations supplémentaires, mais le test d’effort classique est suffisant et paraît donc indispensable chez les patients jugés asymptomatiques à l’interrogatoire(3). En effet, les patients minimisent souvent leurs symptômes, car ils s’habituent progressivement à leur condition et limitent inconsciemment leurs efforts dans la vie quotidienne. Cependant, la dyspnée est souvent multifactorielle chez ces patients âgés et les tests d’efforts ne sont pas toujours réalisables d’où l’importance de rechercher des facteurs de mauvais pronostic.
Plus le RA est serré plus la mortalité augmente(11-14). L’équipe de Vienne a introduit il y a une dizaine d’années le concept de « RA très serré » (ou RA critique)(10), avec un seuil de Vmax de 5 m/s retenu par les recommandations américaines en 2014 et de 5,5 m/s dans les recommandations européennes de 2017. Depuis, d’autres travaux(12-14) ont retrouvé un excès de mortalité chez les patients asymptomatiques avec Vmax >5 m/s(11,14) ou gradient moyen > 60 mmHg(13) et ont permis de faire évoluer les dernières recommandations européennes qui proposent désormais les mêmes seuils qu’outre-Atlantique(3). Ainsi, l’évaluation des paramètres Doppler doit être rigoureuse avec une approche « multivoie » systématique même lorsque la Vmax dépasse 4 m/s. Si le RA n’est pas critique, le deuxième élément à analyser est la FEVG. La présence d’une dysfonction systolique VG, définie par une FEVG < 50 %, est une indication de RVA de classe I(3). Néanmoins, très peu de patients asymptomatiques ont une FEVG < 50 % (environ 0,4 %), ce qui rend cette recommandation peu applicable en pratique clinique. Une étude multicentrique(15) a rapporté un excès de mortalité à 5 ans chez les patients avec une FEVG entre 50 et 55 % sous traitement médical et après RVA suggérant comme d’autres travaux(14) que le risque de surmortalité apparaît avant le seuil de 50 %. Les dernières recommandations européennes préconisent désormais (en classe IIa B) d’abaisser le seuil de FEVG à 55 %(3) (tableau 1).
D’autres paramètres comme le strain longitudinal global sont intéressants pour détecter une altération précoce de la fonction systolique avec un seuil à environ < -15 % dans le RA serré(16), mais ce critère ne fait pas partie des indications opératoires à ce jour. Les peptides natriurétiques sont également des marqueurs pronostiques(17), mais doivent être interprétés selon l’âge et le sexe du patient. Ainsi, un BNP ratio > 3 fois la valeur attendue pour l’âge et le sexe peut faire considérer un RVA en cas de bas risque opératoire(2) (tableau 1). D’autres facteurs pronostiques ont été rapportés dans le RA serré comme l’hypertrophie ventriculaire gauche importante, le volume d’éjection systolique (< 30 ml/m2), le volume de l’oreillette gauche (> 50 ml/m2) ou la présence de fibrose focale, voire diffuse, en IRM cardiaque(3). Ces marqueurs ne sont actuellement pas des indications de RVA, mais leur présence indique un suivi rapproché en raison du haut risque d’événements.
Quel management pour quel patient ?
Outre la sévérité clinique et hémodynamique, le choix de la prise en charge thérapeutique adaptée au patient est un enjeu diagnostique majeur du rétrécissement aortique dégénératif. L’appréciation de l’espérance de vie et de la qualité de vie attendues, des comorbidités et de la « fragilité », et des risques spécifiques à chaque intervention est essentielle. Le choix de la technique de remplacement est une question évolutive, rythmée par l’amélioration des résultats du TAVI et exigeant une mise à jour régulière.
Évaluation de la fragilité et des comorbidités
L’appréciation de la fragilité est guidée par des outils standardisés, et ne saurait être subjective. Les recommandations ESC 2021(3) proposent d’utiliser deux échelles simples :
– l’échelle de Katz cote l’autonomie des 6 gestes essentiels de la vie courante (0 si dépendance, 1 si indépendance ou aide partielle/ épisodique) ;
– le score d’évaluation de la fragilité EFT (Essential Frailty Toolset) est mieux corrélé à la mortalité procédurale (≥ 3) (tableau 2).
La capacité à parcourir 5 mètres en 6 secondes évalue rapidement l’autonomie. Les comorbidités pulmonaires (oxygénodépendance), rénales (dialyse) et cardiovasculaires (FA, FEVG < 30 %, HTAP précapillaire/mixte, bas débit bas gradient, réserve contractile altérée, IM primitive sévère) sont associées à un pronostic défavorable après TAVI.
Outils de stratification du risque : scores spécifiques
Le score STS (https://riskcalc.sts.org/stswebriskcalc/calculate) est utilisé pour identifier les patients à haut risque ou à risque prohibitif. Une estimation du risque spécifique au TAVI, proposée par l’ESC, intègre le score PARTNER TAVI (mortalité à 6 mois/1 an)(18) ou FRANCE 2 (mortalité à 30 jours)(19) combiné aux critères de fragilité et aux comorbidités.
Le score STS/ACC, issu du registre TVT, permet d’estimer la mortalité hospitalière(20).
Un calculateur en ligne est disponible : score STS/ACChttps:// tools.acc.org/tavrrisk/#!/content /evaluate/ ; score PARTNER http: //h-outcomes.com/tavi-risk-calculator/. L’utilisation de ces scores rationalise l’évaluation subjective du risque et donc de la « futilité ». Tableaux 3 et 4
Évaluation des risques spécifiques au remplacement percutané
Anatomie valvulaire
L’anatomie locale est essentielle pour évaluer le risque de complications liées au TAVI. La sévérité des calcifications valvulaires et/ou de la voie d’éjection gauche majore le risque de fuite paravalvulaire, de rupture annulaire, de troubles conductifs, d’obstruction coronaire et d’AVC.
L’absence de calcifications et les anneaux larges sont à risque de migration de prothèse.
En présence d’une bicuspidie, la sévérité des calcifications du raphé et des feuillets et la dilatation de l’aorte ascendante sont les éléments à considérer (figure 2).
Faisabilité de la voie d’abord fémorale
L’accessibilité de l’abord fémoral, évaluée au scanner, est déterminante dans le choix du traitement. Le risque est lié à la présence de tortuosités, de calcifications, voire de sténoses ou occlusion artérielles.
Pour les abords non transfémoraux, le niveau de preuve est limité à des études observationnelles et de sous-groupes d’études randomisées, et donc à réserver aux patients à haut risque chirurgical.
Évaluation de l’anatomie coronaire
Le statut coronaire est déterminant, pour le choix de la procédure (atteinte multitronculaire ou complexe), pour l’évaluation du risque d’obstruction coronaire du TAVI et de l’accès coronaire après TAVI. L’évolution des techniques d’alignement commissural et de lacération des feuillets prothétiques est prometteuse.
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