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Insuffisance cardiaque

Publié le 20 juin 2023Lecture 8 min

Suivi du patient insuffisant cardiaque : comment mettre en place la télésurveillance ?

Patrick JOURDAIN, service de cardiologie Trisite, Le Kremlin-Bicêtre

L’insuffisance cardiaque reste, malgré toutes les avancées thérapeutiques récentes, une maladie grave en particulier dans la catégorie des patients à risque comme le démontre le groupe placebo dans l’étude VICTORIA(1). La télésurveillance médicale a démontré dans plusieurs études concordantes un intérêt dans la prise en charge des patients même si comme pour toutes les études portant sur le parcours patient, que ce soit pour les peptides natriurétiques ou l’éducation thérapeutique, la preuve ultime de l’impact sur la mortalité toutes causes dans une étude randomisée n’est pas (encore) apportée. La position des institutions comme la Haute Autorité de santé ou le ministère de la Santé est qu’actuellement la télésurveillance a apporté suffisamment d’éléments en faveur d’une amélioration de la prise en charge des patients pour permettre sa prise en charge par la collectivité.

À ce titre, la France fait partie des pays en tête dans l’inclusion de la e-santé dans la prise en charge des patients. En 2023, la phase d’expérimentation nationale ETAPES sera close et suivie d’un passage dans le droit commun c’est-à-dire dans le cadre des actes de la nomenclature au même titre que la consultation ou la téléconsultation. La télésurveillance fait l’objet d’un référentiel validé par la Haute Autorité de santé(2) et de plusieurs décrets d’application dont le dernier tout début 2023(3). Tous les textes encadrant la télémédecine sont disponibles sur le site du ministère de la Santé : www.sante.gouv.fr/telemedecine. La tarification de l’acte de télésurveillance n’est pas encore calée, mais il semble qu’elle ne soit pas inférieure à celle validée dans ETAPES pour la cardiologie soit 340 € par an et par patient. La télésurveillance va donc faire partie de notre quotidien, mais pour autant il faut bien préparer sa mise en œuvre pour éviter, d’une part, toute mauvaise surprise et, d’autre part, pour permettre à nos patients d’en bénéficier. La télésurveillance concerne les patients avec une hospitalisation pour insuffisance cardiaque (de jour ou hospitalisation classique) de moins de 12 mois avec un taux de BNP > 100 pg/mL ou de NTproBNP > 1 000 pg/mL OU une classe NYHA 2. Ces patients doivent être inscrits à la Sécurité sociale, avoir un domicile fixe, et être en capacité de faire la télésurveillance. La télésurveillance associe le suivi à distance dans le lieu de vie du patient (ville, EHPAD…) de données biomédicales avec une gestion des alertes par un médecin et une formation à distance appelée accompagnement thérapeutique qui vise à rendre le patient acteur de sa santé avec au moins un appel par mois. La télésurveillance concerne un opérateur (le cardiologue libéral ou l’équipe hospitalière représentée par son directeur) et un industriel fournisseur de la solution (devant fournir le matériel, s’assurer de la formation du patient, de la récupération du matériel, de son bon fonctionnement). L’industriel ne peut être rémunéré que s’il agit à la suite d’une prescription médicale, il doit donc recevoir une ordonnance mentionnant le nom, le prénom et les coordonnées du patient ainsi que le dispositif de télésurveillance choisi. La solution industrielle peut être basée sur la surveillance de tout marqueur du moment que celui-ci est associé à la surveillance du poids et des symptômes. Si le gériatre, le médecin traitant ou le cardiologue peuvent inclure des patients en télésurveillance, seul un cardiologue peut réaliser cette télésurveillance, et ce, quel que soit son mode d’exercice. Pour pouvoir être prescrit, un dispositif de télésurveillance doit être inscrit sur la liste des agréments disponible sur le site du ministère de la Santé cité plus haut. Cela nécessite que l’industriel dispose du marquage CE (ultérieurement un CE médical sera probablement nécessaire), un engagement de conformité et un engagement de sécurité sur le traitement des données. Il est essentiel de ne prescrire que des dispositifs inclus dans cette liste afin de se protéger. Chaque solution industrielle repose sur des choix techniques (auto-surveillance du poids par le patient, fourniture d’une balance connectée) des algorithmes d’alerte (scores, alertes reposant sur le poids, alertes reposant sur le poids ou les symptômes, autres alertes) et des systèmes de mise en œuvre différents (fourniture du matériel par le médecin, fourniture par l’industriel, mise en place à domicile par un prestataire à domicile). Pour choisir son industriel partenaire, il faut donc comparer les différentes solutions en veillant particulièrement à deux points. L’ergonomie de la solution est un élément clé. Le premier point est la mise à disposition du matériel. Si à l’hôpital il est possible de stocker des kits de télésurveillance, cela est potentiellement plus difficile en cabinet médical. Le second point est celui de l’inclusion des patients. Certains systèmes permettent une inclusion par téléphone, d’autres nécessitent de faxer une demande et d’autres enfin se font par e-mail ou sur le site Internet. Le troisième correspond à la facilité de contacter le patient en cas d’alerte, ce qui peut se faire, soit directement à partir de l’alerte, soit indirectement par l’intermédiaire du site internet de télésurveillance. La gestion des alertes dans le cadre de la solution industrielle est un point très important pour le quotidien du médecin. Dans le choix de la solution, il faut particulièrement apporter de l’attention au circuit des alertes. Le premier point est celui de l’algorithme des alertes. En effet, chaque industriel va développer son algorithme personnel basé sur le poids et les autres éléments surveillés, et ce de façon indépendante. Il faut donc absolument demander à l’industriel partenaire quel est son seuil de déclenchement des alertes (+2, +4 kg, +2 kg si augmentation des symptômes, score complexe, etc.) car cela joue énormément, d’une part, sur le nombre de fausses alertes et, d’autre part, sur l’utilité de la télémédecine (une alerte avec une prise de 10 kg est toujours vraie, mais rarement précoce…). Le second point est l’existence ou non d’un circuit de tri des fausses alertes mis en place par l’industriel au moyen d’infirmières salariées par celui-ci. En pratique le rôle de ces infirmières n’est pas de traiter les alertes, mais d’identifier les fausses alertes techniques (double mesure du poids, patient se pesant avec son chien…) afin d’éviter que celles-ci ne soient transmises au cardiologue. Dans la nouvelle législation, il est probable que ce type de plateforme ne soit plus incluse dans le forfait industriel. Cela laisse ouvert le problème des patients illectroniques que ces infirmières aidaient largement à profiter de la télésurveillance. Vous avez le choix de l’industriel partenaire au même titre que pour toute prescription médicale. Une fois que vous aurez décidé avec lequel ou lesquels vous allez travailler, vous signerez une convention de fonctionnement et de mise à disposition puis vous pourrez vous lancer. Dans la future convention, vous devrez également transmettre cette convention à l’Agence régionale de santé dont vous dépendez pour information. Il faut maintenant organiser sa pratique. En télémédecine il est nécessaire de se connecter au système de façon hebdomadaire et de répondre aux alertes déclenchées par le système. L’impact de ces prérequis est différent selon le type de pratique. Dans le système hospitalier, c’est souvent une équipe infirmière qui est en charge de la gestion des alertes. Ces infirmières ont pour mission d’identifier les fausses alertes et en cas de réelle alerte liée à une décompensation de prévenir le médecin en charge de la télésurveillance. Cette équipe infirmière peut être mutualisée avec l’hôpital de jour, la consultation ou bien l’équipe de télésurveillance rythmologique. En ville, cela est plus complexe et souvent les alertes sont traitées par le cardiologue lui-même. Cependant le nombre moyen d’alertes par patient est relativement faible même s’il est plus élevé dans le premier mois. Ces alertes dépendent beaucoup de la formation des patients. Il est également important de bien expliquer aux patients que télésurveillance n’est pas téléalarme. Reste le problème des vacances et absences. En centre hospitalier cela ne pose en règle générale aucun problème. Par contre ce problème est récurrent en médecine de ville. Il faut donc mettre en place une convention entre deux cardiologues ou entre un cardiologue et un centre hospitalier disposant d’un cardiologue encadrant le fait que dans la période des vacances du cardiologue déléguant un second cardiologue puisse prendre en charge ses patients. Dans le cas où il existe un pré-tri des alertes par l’industriel il faudra également lui transmettre la convention et les dates de mise en œuvre pour éviter tout souci. L’accompagnement thérapeutique est toujours un élément essentiel même si le nouveau mode de prise en charge ne différencie plus la rémunération de cet accompagnement thérapeutique qui pouvait être fait par une infirmière qui était donc rémunérée pour cela de la rémunération du cardiologue qui devra le réaliser ou le déléguer. Actuellement dans le nouveau mode de rémunération, la rémunération de l’opérateur (le cardiologue) couvrira télésurveillance des alertes et accompagnement thérapeutique pour un montant de 28 euros par mois. Il est cependant dommage que la participation de nos infirmières ne soit plus individualisée. Le mode de prescription de la télémédecine se fait actuellement pour une durée de 6 mois renouvelable. Le renouvellement se fait sur simple represcription si le patient présente encore les critères d’inclusion dans ETAPES. Le dernier décret de télémédecine par contre ouvre la possibilité d’une prescription pour une durée plus limitée d’un mois ou plus, mais limitée à 1 an. Le circuit de facturation est théoriquement basé sur un paiement mensuel même si celui-ci n’est pas encore clairement opérationnel que le patient l’ait fait en totalité ou non et le matériel est à récupérer par les soins de l’industriel sauf si cela est inscrit de façon différente dans la convention signée entre le cardiologue et l’industriel. Enfin, avant de se lancer il faut réfléchir à la façon de présenter la télémédecine à ses patients. C’est un élément indispensable pour, d’une part, favoriser l’observance et, d’autre part, éviter les fausses alertes tout en ne vendant pas du rêve technologique. Il est temps de choisir votre ou vos industriels en fonction des algorithmes, de l’ergonomie, de votre typologie de patient et de les lister sur le site des « procédures simplifiées » de votre ARS de façon à pouvoir bénéficier du nouveau mode de prise en charge de la télémédecine à compter du 1er juillet 2023. La France est un des premiers pays au monde à faire ce choix d’un parcours de soins associant télésurveillance et clinique… sachons saisir l’occasion.

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