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Thérapeutique

Publié le 20 sep 2023Lecture 10 min

Le traitement antithrombotique chez le coronarien en fibrillation atriale

Camille GRANGER, Joseph SABA, Institut de Cardiologie, Pitié-Salpêtrière, Paris

La maladie coronarienne et la fibrillation atriale (FA) sont deux pathologies qui partagent les mêmes facteurs de risque, tels que l’obésité, l’hypertension artérielle, le diabète et l’âge(1). En effet, environ 10 % des patients coronariens sont atteints de FA(2), et réciproquement 20 à 30 % des patients en FA souffrent d’une maladie coronaire(3). L’association d’une maladie coronaire et d’un antécédent de FA complique la gestion des thérapeutiques antiplaquettaires et anticoagulantes chez ces patients, et représente un défi pour le cardiologue devant trouver l’équilibre entre les risques ischémique, thrombo-embolique et hémorragique.

Balance entre risque ischémique et risque hémorragique   Chez les patients en FA bénéficiant d’une angioplastie coronaire ou présentant un syndrome coronarien aigu (SCA) récent, l’association d’une trithérapie par anticoagulation orale et double thérapie antiplaquettaire (DAPT) augmente considérablement le risque hémorragique. Il est désormais établi que l’utilisation des anticoagulants oraux directs (AOD) chez les patients présentant une FA non valvulaire (sans valve mécanique ni rétrécissement mitral au moins moyen) est aussi efficace sur la prévention des événements thrombo-emboliques avec une réduction du risque hémorragique en comparaison aux anti-vitamine K (AVK). La durée de l’association des antithrombotiques chez ces patients doit reposer sur la meilleure balance bénéfice/risque entre les risques ischémique, thromboembolique et hémorragique.   Les essais contrôlés randomisés récents   La principale complication de la triple thérapie est le sur-risque hémorragique majeur, la rendant non acceptable comme stratégie par défaut au long cours. Dans ce contexte, différentes stratégies ont été évaluées, basées sur l’arrêt précoce de la DAPT : soit par arrêt de l’inhibiteur du P2Y12 (iP2Y12), soit par arrêt de l’aspirine. La première stratégie a été testée dans l’étude ISAR-TRIPLE, qui avait évalué un arrêt précoce à 6 semaines du clopidogrel avec maintien de l’aspirine et de l’anticoagulation orale versus une triple thérapie maintenue pendant 6 mois. L’essai était revenu négatif sur le critère combiné associant des événements ischémiques et hémorragiques majeurs (HR 1,35 ; IC95% : 0,65-2,84)(4). La seconde stratégie est basée sur des données physiologiques démontrant que l’effet antiplaquettaire de l’aspirine est négligeable en présence d’un iP2Y12 puissant(5). Plusieurs essais randomisés ont démontré la validité de cette stratégie. L’étude WOEST publiée en 2013, avant la généralisation des AOD, a ainsi démontré une réduction du risque hémorragique sans augmentation du risque ischémique avec une bithérapie par AVK + clopidogrel (pour une durée de 1 à 12 mois) en comparaison à une trithérapie par AVK + clopidogrel + aspirine (pour une durée de 12 mois) après une angioplastie coronaire (dans un contexte de SCA ou coronaropathie stable) chez les patients avec indication à une anticoagulation curative(6). Par la suite, 4 grands essais randomisés ont évalué la sécurité et l’efficacité d’une bithérapie associant un iP2Y12 et un AOD : rivaroxaban (PIONEER AF-PCI), dabigatran (REDUAL-PCI), apixaban (AUGUSTUS) et édoxaban (ENTRUST-AF PCI), en comparaison à une trithérapie par AVK, aspirine et clopidogrel. Ces études ont toutes démontré une réduction significative des complications hémorragiques, sans différence sur les taux d’événements ischémiques (accident vasculaire cérébral [AVC], d’infarctus du myocarde et thrombose de stents) ni sur la mortalité cardiovasculaire, chez les patients avec une double thérapie (AOD + iP2Y12) versus triple thérapie (AVK + iP2Y12 + aspirine)(7-10) (tableau 1). A : aspirine ; AF : fibrillation atriale ; AVK : anti-vitamine K ; C : clopidogrel ; HR : hazard ratio ; IC95 : intervalle de confiance à 95% ; IDM : infarctus du myocarde ; iP2Y12 : inhibiteurs du P2Y12 (clopidogrel, ticagrélor ou prasugrel) ; PCI : percutaneous coronary intervention (angioplastie coronarienne percutanée)   Il est important de noter plusieurs points intéressants dans ces études : • L’inhibiteur du P2Y12 utilisé était le clopidogrel chez plus de 90 % des patients, cette molécule est donc à utiliser préférentiellement en cas de bithérapie avec un AOD. • Ces essais ont tous attribué une durée minimale de triple thérapie (DAPT + AOD) jusqu’à la randomisation allant de 1 et 14 jours après l’angioplastie. • Enfin, entre 27 et 55 % des patients étaient inclus dans les suites d’un SCA, permettant d’appliquer ces résultats aussi bien aux patients traités dans l’urgence que de façon élective. Malgré cela les patients à très haut risque ischémique (antécédent de thrombose de stent, angioplastie complexe avec stent-in-stent) étaient sous-représentés. Ces résultats ont été confirmés par une méta-analyse récente incluant ces 5 essais randomisés (11 542 patients), retrouvant une baisse significative du risque hémorragique (HR 0,52 ; IC95% : 0,35-0,79) sans majoration significative du risque d’infarctus du myocarde ni de thrombose de stent avec une bithérapie par un AOD + iP2Y12 vs trithérapie par AVK + iP2Y12 + aspirine(11). L’étude contrôlée randomisée AFIRE a évalué la pertinence du maintien d’une association d’anticoagulant (rivaroxaban) et d’antiagrégant plaquettaire chez des patients coronariens stables, c’est-à-dire à plus d’un an de leur dernière revascularisation coronaire percutanée ou par pontage. Cette étude incluant 2 236 patients avait démontré une réduction significative du risque de saignement majeur (HR 0,59 ; IC95% : 0,39-0,89) sans augmentation significative du risque ischémique (HR 0,72 ; IC95% : 0,55-0,95 pour non-infériorité)(12).   Les recommandations actuelles   Basées sur les résultats de ces études, les recommandations ESC ont donc récemment été modifiées. Les différentes recommandations pour les patients coronariens en FA après un SCA ou une angioplastie coronaire élective sont résumées dans la figure 1(13,14). Figure 1. Recommandations ESC sur les stratégies de traitements antithrombotiques chez les patients coronariens en FA après un syndrome coronarien aigu ou une angioplastie élective. AOD : anticoagulants oraux directs ; AVK : anti-vitamine K ; DAPT : thérapie antiplaquettaire ; FA : fibrillation atriale ; iP2Y12 : inhibiteurs du P2Y12 ; SAPT : simple thérapie antiplaquettaire ; SCA : syndrome coronarien aigu ; TS : thrombose de stent   Il est important de noter que les recommandations ESC laissent à chaque praticien le soin d’estimer les risques hémorragique et ischémique afin d’adapter les durées d’association des traitements antithrombotiques. Pour évaluer ces risques, des scores ont été proposés : le risque hémorragique peut être principalement évalué par le score ARCHBR (tableau 2), et le risque ischémique par l’évaluation de critères de risque liés au patient et à la complexité des lésions (tableau 3). AINS : anti-inflammatoires non stéroïdiens ; AVC : accident vasculaire cérébral ; DAPT : double antiagrégation plaquettaire ; DFG : débit de filtration glomérulaire ; F : femmes ; H : hommes ; IRC : insuffisance rénale chronique CTO : occlusion chronique totale ; DFG : débit de filtration glomérulaire ; IRC : insuffisance rénale chronique ; TC : tronc commun ; VIH : virus d’immunodéficience humaine   Perspectives   De très nombreux essais sont en cours dans ce domaine. On citera la comparaison directe des anticoagulants à la fermeture de l’auricule gauche, la comparaison d’une anticoagulation systématique versus le télémonitoring du rythme dans la fibrillation atriale post-ACS traité par angioplastie (SCA-FA), la comparaison du ticagrélor seul versus une bithérapie antiagrégante conventionnelle pendant 1 à 6 mois (aspirine et clopidogrel) (ADONIS-PCI).   Conclusion   La publication de nombreux essais randomisés dédiés a permis de faire considérablement évoluer les pratiques sur la prise en charge de cette population à haut risque. Les recommandations actuelles basées sur un arrêt précoce de l’aspirine et l’association d’AOD et d’inhibiteurs du P2Y12 (pour une durée variable) permet d’optimiser la prévention des risques ischémiques et hémorragiques de ces patients tout en prenant en compte leur particularité. CAS CLINIQUE TRAITEMENT ANTITHROMBOTIQUE CORONARIEN EN FA : CAS CLINIQUE   Un patient de 75 ans, en fibrillation atriale (FA) permanente connue, contacte le SAMU à 9 h du matin pour une douleur thoracique constrictive persistante depuis 2 h, irradiant à la mâchoire. Il a pour antécédents une fibrillation atriale permanente anticoagulée par apixaban 5 mg x 1/jour, un diabète de type 2, une hypertension artérielle traitée, et un antécédent d’hémorragie digestive non grave sur ulcère gastro-duodénal clipé. Il a une fonction rénale normale. Il n’a pas pris ses traitements ce matin. À l’arrivée du SAMU, il est stable hémodynamiquement, eupnéique en air ambiant, et est toujours très douloureux. L’ECG réalisé en urgence est le suivant :   QCM1 - Le SAMU vous contacte concernant la conduite à tenir. Ils sont à 20 min de votre USIC : A. Administration d’Aspégic® 250 mg IV + clopidogrel 600 mg PO B. Thrombolyse en urgence C. Transfert en coronarographie en urgence D. Administration d’énoxaparine 0,5 mg/kg IV E. Évaluation en USIC avant la coronarographie Réponses : A-C-D ▸ Il s’agit donc d’un syndrome coronarien aigu (SCA) avec sus-décalage du segment ST (ST+) dans le territoire antéro-latéral avec miroir en inférieur. Le patient est à moins de 120 min d’un centre de coronarographie, il y a donc une indication de transfert en urgence pour angioplastie. La thrombolyse n’est pas indiquée quand le centre de coronarographie est accessible en moins de 120 min. La bithérapie antiagrégante plaquettaire doit être débutée dès le premier contact médical en cas de SCA ST+. L’aspirine peut être administrée par voie parentérale. Une dose de charge en inhibiteur oral du P2Y12 est également recommandée. On privilégie ici le clopidogrel chez ce patient à risque hémorragique, en accord avec les recommandations (basées sur des études avec une utilisation prédominante de Plavix® [> 90 %] en cas de trithérapie).   QCM2 - Le patient est transféré en urgence en coronarographie. Celle-ci montre une occlusion de l’interventtriculaire antérieure proximale traitée avec succès par angioplastie et pose d’un stent actif. Les autres coronaires sont athéromateuses sans sténoses significatives. Le bilan indique une créatinine à 90 μmol/L, une hémoglobinémie normale. Le patient fait 80 kg. Quelles seront vos thérapeutiques pendant les premiers jours en USIC ? A. Relais de l’apixaban par énoxaparine 100 UI/kg/12 h SC pendant les premières 24 h puis reprise de l’apixaban à 5 mg x 2 B. Arrêt du clopidogrel, poursuite du Kardégic® 75 mg en association avec l’anticoagulant C. Arrêt des antiagrégants, poursuite de l’anticoagulation par apixaban 5 mg x 2 D. Kardégic® 75 mg/j + clopigodrel 75 mg/j + apixaban 5 mg x 2 pendant la première semaine E. Lansoprazole 15 mg/j Réponses : A-D-E ▸ Les recommandations préconisent dans les 24 h périprocédurales le switch de l’AOD par héparine parentérale. La reprise de l’apixaban à dose pleine (5 mg x 2) est recommandée en association avec la biantiagrégation plaquettaire, avec une durée minimale de trithérapie de 7 jours (cf. étude AUGUSTUS). Il faut y ajouter un inhibiteur de pompe à protons (lansoprazole) chez ce patient de 75 ans traité par trithérapie, avec antécédent d’hémorragie digestive.   QCM3 - Vous avez donc décidé d’administrer pendant une semaine l’association Kardégic® 75 mg + clopidogrel 75 mg + apixaban 5 mg x 2. Les suites sont simples, le patient va sortir de l’hôpital. Que prescrivez-vous sur l’ordonnance de sortie ? A. Kardégic® 75 mg + clopidogrel 75 mg + apixaban 5 mg x 2 pendant 6 mois B. Arrêt du Kardégic®, clopidogrel 75 mg + apixaban 5 mg x 2 pendant 1 an C. Arrêt de l’apixaban, Kardégic® 75 mg + clopidogrel 75 mg pendant 1 an D. Arrêt du Kardégic® et du clopidogrel, Eliquis® 5 mg x 2 à vie E. Kardégic® 75 mg + clopidogrel 75 mg + apixaban 5 mg x 2 pendant 1 an Réponse : B ▸ Chez ce patient à haut risque hémorragique (score HAAS BLED à 4), il semble licite en accord avec les recommandations d’écourter au maximum la trithérapie par biantiagrégation plaquettaire + anticoagulant, avec un arrêt après 7 jours. Par la suite, étant donné qu’il s’agit d’un syndrome coronarien aigu, il faudra au moins 1 an de bithérapie par clopidogrel + AOD (ou Kardégic® + AOD). Après 1 an de bithérapie, on pourra arrêter le clopidogrel et maintenir l’apixaban à vie, à dose pleine chez ce patient (76 ans, fonction rénale normale, poids à 80 kg). Une demi-dose d’apixaban est indiquée (2,5 mg x 2/j) si 2 critères sur 3 sont remplis parmi : âge > 80 ans, créatinine > 133 μmol/L, poids < 60 kg. Il peut se discuter dans certains cas à très haut risque ischémique la poursuite de la bithérapie au-delà d’un an. Ce n’est pas le cas ici, la lésion était monotronculaire, il n’y a pas d’autres arguments pour prolonger la bithérapie.   QCM4 - Le patient est perdu de vue. Cinq ans plus tard, il revient vous consulter car il se plaint d’un angor d’effort stable. Vous avez décidé de réaliser une scintigraphie myocardique d’effort qui est revenue positive avec 4 segments sur 17 hypofixant dans le territoire antérieur. Sa fonction rénale est maintenant dégradée, sa créatinine est à 150 μmol/L pour un DFG à 44 mL/min/m2. Son poids est toujours le même, il est toujours en FA permanente. Le contrôle angiographique de ses coronaires indique une resténose intrastent de l’interventriculaire antérieure traitée avec succès par angioplastie et pose d’un stent actif. Le patient sort 24 h plus tard. Que prescrivez-vous sur son ordonnance ? A. Triple thérapie par apixaban 2,5 mg x 2 + Kardégic® 75 mg + clopidogrel 75 mg pendant 1 semaine puis bithérapie par apixaban 2,5 mg x 2 + clopidogrel 75mg pendant 6 mois B. Triple thérapie par apixaban 5 mg x 2 + Kardégic® 75 mg + clopidogrel 75 mg pendant 1 semaine puis bithérapie par apixaban 5 mg x 2 + clopidogrel 75 mg pendant 6 mois C. Triple thérapie par apixaban 2,5 mg x 2 + Kardégic® 75 mg + clopidogrel 75 mg pendant 3 mois puis bithérapie par apixaban 2,5 mg x 2 + clopidogrel 75 mg pendant 6 mois D. Triple thérapie par apixaban 2,5 mg x 2 + Kardégic® 75 mg + ticagrélor 90 mg x 2 pendant 1 semaine puis bithérapie par apixaban 2,5 mg x 2 + ticagrélor 90 mg x 2 pendant 6 moisA. E. Sortie sous apixaban 2,5 mg x 2 seul Réponse : A ▸ À ce stade, il s’agit donc d’un patient de 81 ans, présentant une insuffisance rénale chronique, en FA, programmé pour une angioplastie dans le cadre d’une maladie coronarienne stable. Il y a une indication à une trithérapie pendant 1 semaine par AOD + Kardégic® + clopidogrel, puis bithérapie par AOD + clopidogrel pendant 6 mois puis monothérapie par AOD seul à vie (score CHA2DS2VASc à 4). Il faut réduire la dose d’apixaban à demi-dose au vu de l’âge et de la fonction rénale du patient.

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