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Insuffisance cardiaque

Publié le 15 nov 2023Lecture 8 min

Nouveaux facteurs de risque de l’insuffisance cardiaque : la pollution atmosphérique

Pierre GIBELIN, Professeur émérite université Côte d’Azur

Pendant les 20 dernières années, de nombreuses publications ont attiré l’attention sur l’impact de la pollution intérieure et extérieure sur la santé humaine. De nombreuses pathologies ont été répertoriées comme pouvant être provoquées ou aggravées par une exposition aiguë ou à long terme à la pollution. En effet il est maintenant évident que l’exposition à une pollution atmosphérique n’entraîne pas que des problèmes pulmonaires (essentiellement asthme, et BPCO établit depuis longtemps), mais de plus en plus de publications lient cette pollution avec les maladies cardiovasculaires (mortalité cardiovasculaire, infarctus du myocarde, insuffisance cardiaque, troubles du rythme, mort subite). Ces effets nocifs sont hautement dépendants de la nature du polluant, de sa composition chimique, du niveau de pollution, des conditions atmosphériques (température, pression atmosphérique...) et d’une sensibilité individuelle génétique. Le but de cet article est de faire la revue de la littérature sur l’impact de la pollution sur l’insuffisance cardiaque et de rapporter notre expérience sur l’impact de la pollution atmosphérique sur les admissions pour OAP en région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA).

Les principales sources de pollution   Sont, d’une part, anthropiques : – moyen de transport : routier, aérien, maritime ; – combustion de biomasse : feux de cheminée, feux agricoles, feux de jardin, incendies ; – centrales thermiques : charbon ; – installations industrielles : chimie, pétrochimie, sidérurgie, fabrication de plastique ; – agriculture : épandage d’engrais. Et, d’autre part, naturelles, à savoir les volcans, les érosions éoliennes, les émissions naturelles de gaz toxiques tels que le méthane. Ou mixtes, tel que le fameux smog londonien.   Les principaux polluants comportent essentiellement   Les gaz L’ozone : il s’agit d’un polluant secondaire. En effet il est le résultat d’une transformation par réaction photochimique de pré- curseurs tel que l’oxyde d’azote ou les composés organiques volatils (COV). Cette pollution est surtout présente lorsque le temps est chaud et ensoleillé donc essentiellement l’été. Il s’agit bien sûr de l’ozone troposphérique de basse altitude à ne pas confondre avec la couche d’ozone protectrice. Les oxydes d’azote (NO, NO2, Nox) résultants essentiellement de la combustion d’énergie fossile par des moteurs thermiques en particulier les moteurs à diesel, qui font 2 à 3 fois plus d’émission de Nox que les moteurs à essence. Les composés organiques volatils (COV) tels que le benzène, l’acétone, le perchloroéthylène. Ces gaz sont émis lors de la combustion de carburants, mais également lors de l’utilisation de peinture, colle, solvants, insecticide, parfum d’intérieur, produit de nettoyage, encens. Le monoxyde de carbone (CO) produit de la combustion incomplète. Le dioxyde de soufre (SO2) provenant essentiellement de la combustion de composés d’origine fossile : chauffage, transport, mais également d’origine naturelle tel que volcans, marécages. Les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), en particulier le benzopyrène, produit essentiellement par les moteurs à essence au démarrage, les moteurs diesels. Les HAP participent aux particules fines.   Les particules fines (PM : particulate matter) Il s’agit de particules solides en suspension dans l’air (poussières). Elles sont composées essentiellement par de la suie provenant des moteurs diesel ou essence à injection directe, de l’industrie, de la biomasse (chauffage au bois, brûlage à air libre), de poussières provenant de l’érosion du sol, de particules d’origines organiques telles que les pollens, virus, bactéries, spores, excréments d’acarien et d’hydrocarbure aromatiques polycycliques. Elles sont classées en fonction de leur taille. On distingue les PM 10 (inférieures à 10 μm), les PM 2,5 (inférieures à 2,5 μm) et les ultrafines inférieures à 1 μm qui inclut les nano-particules. Plus les particules sont fines et plus elles sont toxiques sur le plan cardiovasculaire.   La pollution est un nouveau facteur de risque   Selon l’OMS, la pollution fait partie du top 10 des facteurs de risque avec 174 millions de vies perdues chaque année (Year of Life Lost - YLL) dues à la pollution domestique et extérieure. Elle est en quatrième position après les risques liés à l’alimentation, l’hypertension artérielle et le tabac, mais avant le diabète, l’obésité, et l’hypercholestérolémie. Toujours selon l’OMS en 2020, 7 millions de décès sont en rapport avec la pollution de l’air dans le monde (4,2 M par pollution de l’air extérieur, 3,8 M par pollution de l’air intérieur avec 91 % de la population mondiale exposée quotidiennement à un air pollué). L’OMS estime que 70 à 80 % des décès en rapport avec de la pollution atmosphérique extérieure sont dus à une atteinte cardiaque (ischémie, insuffisance cardiaque chronique) et à un accident vasculaire cérébral alors que seulement 15 à 20 % de ces décès sont en rapport avec une atteinte pulmonaire (infection, broncho-pneumopathie chronique obstructive) et 6 % à un cancer du poumon. En 2020, en France, 48 000 à 50 000 morts par an sont attribués à la pollution atmosphérique avec un coût de 100 milliards d’euros par an. Mais encore plus préoccupant entre 1990 et 2018 on enregistre une augmentation de plus de 20 % des décès attribués à la pollution (surtout par PM). Tou- tefois selon une étude publiée dans « environnemental research » cette évaluation est sous-estimée et serait de près de 100 000 décès prématurés (97 242) en France et de 8,7 millions dans le monde. La pollution est un véritable facteur de risque des maladies coronariennes reconnu de longue date, elle est actuellement également reconnue comme facteur de risque de l’insuffisance cardiaque soit directement soit de manière indirecte par son action sur l’hypertension artérielle et les maladies coronariennes. Il est bien sûr difficile de faire la part de cette action indirecte.   Effets sur l’insuffisance cardiaque   Dans une large méta-analyse d’études portant sur l’effet de la pollution sur l’insuffisance cardiaque, SHAH et coll.(1) montrent que les hospitalisations et les décès par insuffisance cardiaque sont associés à une élévation de C0 (+3,52 % pour une augmentation de 1 ppm*) ; du S02 (+2,36 % pour 10 ppb**) et N02 (+1,70 % pour 10 ppb), mais ne retrouve pas de lien avec l’ozone. Ces auteurs retrouvent également un lien avec les particules fines : augmentation de 2,12 % pour toute augmentation de 10 μg/m3 de PM2,5 et de 1,63 % pour toute augmentation de 10 μg/m3 de PM10. Les auteurs soulignent que l’effet de la pollution de l’air sur la fréquence et/ou la mortalité de l’insuffisance cardiaque peut être sous-estimée pour trois raisons principales : tout d’abord les études portant sur l’effet de la pollution sur l’insuffisance cardiaque sont des études essentiellement de pollution aiguë avec effet à court terme, ensuite il est probable que l’effet soit plus marqué chez les patients âgés en insuffisance cardiaque favorisant les décompensations (les études ne font pas la distinction des patients avec ou sans antécédents cardiovasculaires), enfin, encore plus que pour les maladies coronariennes, les variations saisonnières et la pression atmosphérique jouent probablement un rôle essentiel et leurs impacts n’ont pas été suffisamment étudiés. Dans un travail récent(2), nous avons étudié l’impact de la pollution atmosphérique sur l’admission aux urgences des OAP dans la région PACA. Il s’agit d’une étude rétrospective de 2013 à 2018 et qui a porté sur 43 400 patients à partir des données de l’observatoire régional des urgences (ORUPACA) comprenant 47 centres d’urgences répartis sur tout le territoire. La pollution quotidienne a été fournie par 84 capteurs d’AtmoSud réparties sur 357 zones. Six clusters ont été définis en fonction de l’homogénéité et du type de la pollution (cluster 1 campagne, cluster 2 villes côtières tailles moyennes, cluster 3 montagnes, cluster 4 grandes villes côtières, cluster 5 autoroutes et cluster 6 côté ouest de la région [Marseille et étang de Berre]). Chaque polluant a un effet significatif sur les admissions pour OAP aux urgences. Selon le polluant, nous avons identifié quatre formes de courbes d’exposition pour décrire l’impact de la pollution sur les événements cardiaques : effet précoce et tardif pour le NO2 ; forme en U et arc-en-ciel (ou U inversé) pour l’O3, les quatre formes pour les PM. Dans les grandes villes, l’association est la plus significative avec l’ozone et les PM2,5. Du côté ouest de la région, on constate un effet retardé pour les PM10. Les zones le long des routes principales sont essentiellement affectées par la pollution au NO2 avec là encore un effet retardé sur plusieurs jours. Par ailleurs, Bai L et coll.(3) ont étudié l’effet de la pollution chronique sur l’insuffisance cardiaque. L’étude a porté sur 5,1 millions de personnes habitant l’Ontario au Canada, suivis de 2001 à 2015. Ils ont recensé 422 625 insuffisances cardiaques sur cette période. Ils ont retrouvé un lien significatif entre pollution chronique et insuffisance cardiaque : Pour toute augmentation de 10 μg/m3 de PM2,5 : HRs : 1,05 (IC95% 1,04-1,05) sans retrouver un seuil, mais plutôt une courbe du type supra linéaire permettant de faire l’hypothèse d’un bénéfice de la réduction de la pollution même quand la pollution est faible, de NO2 : HRs 1,02 (IC95% 1,01-1,04) et pour l’ozone : HRs 1,03 (IC95% 1,02-1,03) avec pour ce dernier une valeur seuil de 48 μg/m3. À noter que le lien est plus fort pour tous les polluants chez les personnes jeunes par rapport aux personnes âgées. Une des explications données par les auteurs est qu’il y a une diminution du système nerveux autonome et/ou une activité différente dans la journée chez les personnes âgées. Enfin, citons l’étude danoise de LIM et coll.(4), en 2021, portant sur 22 189 infirmières d’âge > 44 ans suivies de 1999 à 2014. Ils ont constaté un risque accru d’insuffisance cardiaque pour toute augmentation de 5 μg/m3 des PM2,5 (RR 1,17), de 8 μg/m3 de NO2 (RR 1,12). Le lien était plus fort chez les fumeuses ou les pe sonnes hypertendues.   Rapport avec l’activité physique   Un des éléments essentiels de la prise en charge des patients en insuffisance cardiaque est la recommandation d’exercices physiques. Qu’en est-il de ces recommandations en milieu pollué ? En effet, une étude de 2010 effectuée à Londres avait montré que les bénéfiques de l’exercice physique étaient annulés par la pollution quand l’exercice avait lieu à Hyde Park. Il faut, bien sûr, inciter nos malades à faire de l’exercice dans les lieux les moins pollués et/ou en dehors des pics de pollution. Mais une étude toute récente faite en Corée du Sud par Kim et coll.(5) portant sur 189 771 sujets âgés de plus de 40 ans nous conforte sur nos recommandations. Les sujets ont été divisés en 2 groupes : activité physique (45 minutes) modérée (3 fois par semaine) et activité physique vigoureuse (5 fois par semaine). Cette étude a montré que le bénéfice de l’exercice persistait même quand celui-ci était pratiqué en milieu pollué que l’exercice physique soit modéré ou vigoureux. Ils notaient en effet un risque plus faible de maladies cardiovasculaires (HR : 0,73), d’infarctus (HR : 0,76) et d’AVC (HR : 0,70) chez les patients effectuant leurs exercices dans des lieux à niveaux élevés de PM.   Quels sont les mécanismes physio- pathologiques ?   Les mécanismes sont nombreux et les liens entre maladies cardiovasculaires et pollution sont polyfactoriels : • Inflammation : la pollution atmosphérique est responsable d’une inflammation chronique avec stress oxydatif et augmentation des marqueurs et l’inflammation (CRP, fibrinogène, TNT alpha, interleukine c). • Hypercoagulation : il existe une augmentation du risque thrombotique en cas de pollution avec augmentation de l’agrégation plaquettaire en particulier chez les diabétiques. • Anomalie de la vasomotricité avec une dysfonction endothéliale avec également une sensibilité toute particulière du diabétique. • Effet proathérogène : l’épaisseur intima-média au niveau carotidien est augmentée dans les zones géographiques très polluées particulièrement avec les PM2,5 ; de même qu’une augmentation du score calcique. • Effet sur les autres facteurs de risque en particulier sur l’HTA. • Effet sur l’insuffisance cardiaque : la pollution augmente la fréquence cardiaque, la pression artérielle, les pressions de remplissage et aggrave la vaso-constriction déjà présente de cette pathologie augmentant encore la pré et post-charge. • Elle peut favoriser des troubles du rythme ou une insuffisance coronarienne, responsables de décompensation cardiaque. • La pollution sur le long terme semble également jouer un rôle sur le remodelage du ventricule gauche. • Effet sur le système nerveux autonome qui peut être mesuré par la variabilité de la fréquence cardiaque. Cet effet est probablement à l’origine de l’effet de la pollution sur les arrêts cardiaques. Figure 1. * ppm : partie par million ** ppb : partie par billion

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