Publié le 18 déc 2023Lecture 4 min
Risque cardiovasculaire et consommation de sucres : une association modulée par la nature des apports
Louis MONNIER, Montpellier
Dennis KK et al. Association of dietary sugar with coronary heart disease risk: a perspective cohort study. Am J Clin Nutr 2023 ; 118 : 1000-9.
Les relations entre risque cardiovasculaire et consommation de sucres ou d’aliments riches en glucides sont complexes. Si on se place dans une démarche simple, il a été démontré que la consommation trop importante de sucres libres, contenus par exemple dans les boissons sucrées, augmente le risque d’événements cardiovasculaires. C’est pour cette raison que les « Dietary Guidelines 2020-2025 for Americans »(1) et les recommandations de l’OMS(2) indiquent que l’apport en sucres ajoutés ou libres ne devrait pas dépasser 10 % de l’apport énergétique total. La question est, par ailleurs, de savoir si les sucres alimentaires simples comme le fructose devraient être soumis à des restrictions identiques selon qu’ils sont consommés libres ou sous forme de constituants intrinsèques d’un aliment naturel (fruits ou légumes par exemple). Pour tenter de répondre à cette question, on peut simplifier l’approche scientifique en considérant que la majorité des glucides alimentaires sont in fine métabolisés sous forme de glucose ou de fructose, tous les deux pouvant provenir de polysaccharides (amidon en majorité pour le glucose) ou de disaccharides (saccharose par exemple pour le glucose et le fructose). L’hydrolyse enzymatique de l’amidon contenu dans les aliments amylacés libère plus ou moins lentement/rapidement des unités glucose selon que l’amidon fait partie intégrante de produits alimentaires raffinés ou non raffinés. L’hydrolyse du saccharose libère rapidement et à parts égales une unité de glucose et de fructose. Il convient de se rappeler également que le fructose véhicule théoriquement une mauvaise réputation car il stimule la production hépatique de lipoprotéines de très basse densité (VLDL). Par voie de conséquence, son excès d’apport peut s’accompagner d’une augmentation anormale post-prandiale des triglycérides plasmatiques. Dans le but de tester les effets de différentes catégories de sucres/glucides et de leurs modalités d’apport sur le risque cardiovasculaire, des chercheurs de l’Université de Harvard parmi lesquels figure le célèbre épidémiologiste et nutritionniste Walter Willett ont conduit une étude réalisée à partir des registres de la « Nurses’Health Study » (NHS, 76815 infirmières suivies de 1980 à 2020) et de la « Health Professional Follow-up Study » (HPFS, 38878 hommes suivis de 1986 à 2016).
Les apports alimentaires des participants à l’étude ont été estimés à partir de questionnaires de fréquence alimentaire réalisés tous les 2 à 4 ans. La moyenne des apports énergétiques totaux et des différents nutriments a été évaluée en multipliant la fréquence de consommation par le contenu nutritionnel rapporté à la taille des portions alimentaires. Les investigateurs ont ensuite calculé 2 quantités : l’apport total en équivalents glucose (TGE) en quantifiant le glucose apporté sous forme de monosaccharides, de disaccharides et d'amidon ; l’apport total en équivalents fructose (TFE) en quantifiant le fructose apporté sous forme de monosaccharides et de saccharose. Les TFE ont été dans un deuxième temps subdivisés en 2 rubriques selon qu’ils étaient apportés sous forme de composants intrinsèques de fruits et légumes ou sous forme de sucres ajoutés ou de boissons sucrées. Enfin, l'incidence des événements cardiovasculaires a été enregistrée sur toute la durée du suivi, c'est-à-dire sur une période de 40 ans.
Principaux résultats
Ils sont résumés sur la figure associée à cette newsletter. En rapportant et en normalisant les résultats sous la forme d'une substitution « isocalorique » en graisse, puis en comparant les quintiles inférieurs (Q1) et supérieurs (Q5) de TGE et de TFE, les résultats suivants ont été observés pour les Hazard Ratios (HRs, risque de faire un accident cardiovasculaire) et pour leur intervalle de confiance à 95% (IC95%).
Pour le total en équivalents glucose (TGE) :HR (IC95%) = 1,31 (1,20-1,42) ; p pour la tendance < 0,001
Pour le total en équivalents fructose (TFE) :HR (IC95%) = 1,03 (0,94-1,11) ; p pour la tendance = 0,25 (non significatif)
Pour le total en équivalents fructose (TFE) spécifiquement apportés par les fruits et légumes :HR (IC95%) = 0,93 (0,88-1,09) ; p pour la tendance = 0,70 (non significatif)
Pour le total en équivalents fructose (TFE) spécifiquement apportés sous forme de sucres ajoutés ou de boissons sucrées (jus de fruits) :HR (IC95%) = 1,12 (1,04-1,20) ; p pour la tendance < 0,01
Figure. Impact sur le risque cardiovasculaire des sucres en fonction de leur nature et de leurs modalités d’apport.
La conclusion de cette étude est que la consommation d'aliments riches en glucose, qu’il soit libre ou qu’il soit un constituant intrinsèque d’un aliment, est associée à une augmentation du risque cardiovasculaire. Les sucres ajoutés, quelle que soit leur nature, glucose ou fructose libres ou provenant de disaccharides rapidement hydrolysés par les enzymes du tube digestif sont également associés à une augmentation du risque cardiovasculaire. En revanche, le fructose, quand il est apporté comme constituant intrinsèque de fruits ou de légumes, n’augmente pas le risque cardiovasculaire.
Ce travail confirme les recommandations actuelles et souligne l'importance qu'il y a d'éviter les sucres ajoutés ou les aliments amylacés raffinés. Les aliments riches en amidon devraient, autant que possible, être consommés sous forme de produits céréaliers complets riches en fibres car ces derniers ne donnent lieu qu’à des montée glycémiques postprandiales faibles ou modérées. Enfin, cet article confirme l'importance de privilégier les apports glucidiques sous forme de fruits et de légumes. Il n’est jamais inutile de répéter des messages bien connus surtout quand ils ont la caution de l’Université de Harvard.
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