HTA
Publié le 25 mar 2024Lecture 9 min
Retour sur l’essentiel de 2023 en hypertension artérielle
Béatrice DULY-BOUHANICK, Fédération de cardiologie, service d’hypertension artérielle et de thérapeutique ; CHU Rangueil ; INSERM CERPOP ; université de Toulouse, France
L’année 2023 a été riche en rebondissements dans le domaine de l’hypertension artérielle (HTA) avec notamment la publication des recommandations européennes publiées courant dernier trimestre 2023. Par ailleurs, après une période de relative inertie dans le domaine thérapeutique, plusieurs classes émergent et semblent prometteuses. Et c’est sans compter la révolution de prise en charge dans le diabète de type 2 et chez les sujets obèses qui s’annonce, permettant une perte de poids conséquente et par là même une réduction de la pression artérielle (PA).
Les chiffres clés de l’HTA en France
L’équipe de Valérie Olié a publié 16 chiffres clés de l’HTA : ainsi, 17 millions de Français âgés de plus de 18 ans sont hypertendus, la moitié d’entre eux l’ignore, un quart des patients traités est aux objectifs tensionnels seulement alors que 60 % d’entre eux sont traités par une monothérapie. On apprend également que 40 % seulement des hypertendus sont observants et que 57 % d’entre eux disent ne jamais avoir reçu de conseils diététiques. Pourtant, chaque hypertendu consultant en moyenne 10 fois par an, ça n’est pas dans la population étudiée un défaut d’accès aux soins qui explique ces mauvais résultats(1). La SFHTA de longue date tente de sensibiliser les pouvoirs publics à l’importance d’axer la prise en charge de l’HTA d’abord sur sa prévention et son dépistage. Espérons que la mise en place des consultations de prévention annoncées cette année permette d’améliorer la connaissance des chiffres tensionnels des patients.
Les recommandations européennes sur l’HTA
Celles-ci sont endossées par la Société internationale de l’hypertension (ISH)(2). Il n’y a pas de bouleversements sur le diagnostic de l’HTA : plus de 140/90 mmHg au cabinet, à confirmer en ambulatoire. Ces recommandations mettent l’accent sur la stratégie thérapeutique à adopter en général en précisant que pour la majorité des patients, les cibles de PA sont strictement < 130/80 mmHg au cabinet médical, en évitant cependant d’avoir des PA < 120/70 mmHg, du fait d’une courbe en J. Les modalités de réalisation de l’automesure tensionnelle ou de la MAPA sont reprécisées : mesures à effectuer en position assise le bras au niveau du cœur avec un brassard adapté notamment (figure 1). Les appareils de mesure sans brassard encore appelés cufless ne sont pour l’instant pas recommandés dans la prise en charge et le suivi de l’HTA, faute de validation suffisante et même si les patients sont très friands de leur utilisation. La SFHTA a d’ailleurs traduit en français cette partie des recommandations qui est disponible sur le site (tableau 1)(3).
Figure 1. Méthode de mesure de la PA (cabinet et automesure tensionnelle).
Les mesures hygiéno-diététiques restent la pierre angulaire du traitement, mais il faut aller plus vite et plus fort pour traiter les patients, à de rares exceptions près : commencer par une bithérapie d’emblée, de préférence fixe, avec une réévaluation à très court terme de la PA, sans hésiter à faire une escalade thérapeutique en passant à la trithérapie, voire la quadrithérapie. Les auteurs rappellent qu’en adoptant cette stratégie, seuls 5 % des patients ont une HTA résistante (figure 2). Un délai de 3 mois est requis pour obtenir un bon contrôle tensionnel (et pas 6 mois comme préconisé par la HAS en 2016), pour éviter l’inertie thérapeutique. En cas d’échec, il est essentiel d’évaluer l’observance des patients. L’étude START a montré que l’utilisation des bi- ou trithérapies fixes permet d’améliorer la persistance du traitement, et réduit la morbi-mortalité cardiovasculaire et les hospitalisations par rapport aux thérapies libres(4). Concernant les classes thérapeutiques, celles préconisées en première intention sont dans la droite ligne des recommandations de 2018 : bloqueurs du système rénine, inhibiteurs calciques et diurétiques. Cependant, les bêtabloquants qui avaient été déclassés dans certaines recommandations semblent réhabilités : il faut dire qu’une liste conséquente de situations est en faveur de leur utilisation. Ces recommandations nous apprennent aussi quand effectuer une recherche d’hypertension artérielle secondaire (sujet de moins de 40 ans notamment), quels médicaments utiliser en fonction des situations (femmes enceintes, personnes âgées, diabétiques, insuffisants cardiaques). Ainsi les inhibiteurs des SGLT2 sont recommandés (niveau IA) pour réduire l’atteinte cardiorénale dans le diabète de type 2 et il est rappelé qu’ils ont aussi un effet antihypertenseur. La finérénone, antialdostérone non stéroïdien, non disponible en France en février 2024, est classée avec le même niveau de preuve pour ses vertus néphro- et cardioprotectrices chez les diabétiques de type 2 néphropathes avec une albuminurie.
Figure 2. Stratégie générale pour contrôler la PA chez les patients hypertendus(2).
Les mesures hygiénodiététiques
Elles restent la pierre angulaire de la prise en charge avec des apports sodés limités dans la plupart des situations. Un travail chinois met en avant l’utilisation de sel de potassium en remplacement du sel rajouté : l’étude SSaS déjà publiée en 2021 montre que substituer 72 % du sel réduit la morbi-mortalité des hypertendus (décès de 12 % ; AVC de 14 %) dans un essai qui a randomisé des villages entiers et qui a comparé ceux utilisant du sel de potassium, à ceux utilisant du NACL (12 grammes par jour quand même…)(5).
Nouvelle classe thérapeutique et dispositifs médicaux
Deux classes thérapeutiques ont fait l’objet de publications dans d’excellentes revues : d’abord celle des RNA interférents, conçue pour obtenir une réduction spécifique des niveaux d’ARN messager (ARNm) de l’angiotensinogène hépatique, réduisant ainsi la production d’angiotensinogène, et la cascade rénine angiotensine. Une étude de dose (200 à 800 mg) de phase 1 chez 107 patients montre qu’une administration sous-cutanée de zilebesiran qui se lie avec une grande affinité au récepteur hépatique de l’asialoglycoprotéine permet une baisse de la PA à 24 semaines avec une bonne tolérance(6). Communiqué à l’AHA par G. Bakris, l’essai chez les hypertendus modérés testant plusieurs doses de zilebesiran (150 à 600 mg administrés en SC), montre une baisse de la PA à trois mois, critère principal de jugement qui se poursuit à six mois avec une PA systolique qui baisse de l’ordre de 10 mmHg à six mois. Des épisodes d’hypotension et d’hyperkaliémie sont rapportés, considérés comme modérés. Deux épisodes d’hypotension orthostatique ontimposé l’arrêt du traitement et aucun événement indésirable sérieux en lien avec la prise de la molécule n’est rapporté(7).
Les inhibiteurs de l’aldostérone synthase constituent une autre classe thérapeutique prometteuse. Ils suppriment la synthèse de l’hormone (plutôt que bloquer le récepteur minéralocorticoïde). L’homologie de l’enzyme avec la 11β-hydroxylase qui permet la production de cortisol impose l’utilisation d’une molécule très sélective de l’aldostérone synthase pour éviter cet écueil. Une étude de phase 2 avec le baxdrostat chez les hypertendus résistants avec 3 doses de 0,5 à 2 mg/jour chez 275 patients montre une baisse de la PA systolo-diastolique à 12 semaines(8). Un autre travail avec le lorundrostat sur 8 semaines avec plusieurs doses administrées 1 ou 2 fois par jour montre que la baisse de la PA est obtenue, mais sans bénéfice supplémentaire chez les patients ayant un hyperaldostéronisme primaire. Il rassure sur l’absence d’impact sur l’axe corticotrope (test au synacthène immédiat)(9). Ces études menées sur des effectifs réduits, des populations ciblées et avec une durée de suivi courte méritent d’être confirmées sur un panel plus large et plusieurs essais sont en cours dans ce but.
Les cathéters de dénervation rénale par radiofréquence ou par ultrasons sont désormais inscrits sur la LPPR depuis fin 2023 et en attente de prise en charge par l’Assurance maladie (pour l’un des deux cathéters). Une analyse poolée des résultats de la dénervation par ultrasons chez des hypertendus traités par 0 ou 3 antihypertenseurs rappelle que la baisse de la PA systolique est de l’ordre de 6 à 7 mmHg au cabinet ou en ambulatoire(10). Un consensus européen rappelle les modalités de réalisation de la dénervation rénale et les populations qui pourraient en bénéficier, comme les hypertendus résistants par exemple, mais pas seulement(11). Cependant, les modalités de prise en charge par l’assurance maladie sont plus restrictives en France(12,13). La prise en charge concerne ainsi les patients hypertendus non contrôlés par une quadrithérapie antihypertensive, chez lesquels est exclue une HTA d’origine secondaire, et avec un DFG > 40 mL/min. La validation du geste doit être réalisée dans des centres experts de l’hypertension artérielle : Centres d’Excellence ou Blood Pressure Clinics qui maillent tout le territoire. La SFHTA est la porte d’entrée permettant d’obtenir cet agrément européen (procédure sur notre site www.sfhta.eu). La société va mettre en place en 2024 un registre de suivi qui permettra une évaluation au moment de la réinscription des cathéters dans cinq ans et les centres experts seront mis à contribution.
Les analogues du GLP-1 : des populations qui s’élargissent
Cette classe thérapeutique est utilisée depuis plusieurs années pour traiter les diabétiques de type 2. Les nouvelles recommandations américaines et européennes en diabétologie et en cardiologie les positionnent très haut dans la stratégie thérapeutique, notamment chez les patients diabétiques de type 2 ayant une atteinte cardio-rénale. Plusieurs essais thérapeutiques ont démontré une réduction de la morbi-mortalité chez eux, en prévention primaire et secondaire. Mais leur utilisation n’est pas cantonnée aux diabétiques et s’est élargie aux populations obèses. Si l’administration quotidienne ou hebdomadaire reste injectable, un plan de développement avec le sémaglutide par voie orale est en cours avec la publication chez les patients en surpoids ou obèses de l’utilisation de 50 mg/jour sur la baisse pondérale qui peut atteindre 15 % à 68 mois avec comme corollaire une baisse de la PAS de l’ordre de 6 mmHg(14). Dans l’étude SELECT chez 17 000 patients obèses non diabétiques en prévention secondaire cardiovasculaire, le sémaglutide (utilisé à 2,4 mg, soit de plus fortes doses que chez le diabétique) montre pour la première fois une réduction de l’incidence des décès cardiovasculaires, des infarctus du myocarde et des AVC sur 40 mois(15).
Les doubles et les triples agonistes
Le tirzépatide, double agoniste GLP-1 et GIP qui aurait une action supplémentaire sur la prise alimentaire, a montré dans une étude de phase 3 chez les patients diabétiques de type 2 obèses une baisse de la PA systolique de l’ordre de 5 mmHg et une amélioration des autres facteurs de risque cardiovasculaires (lipides) associée à une perte pondérale de l’ordre de 15 %(16). Cette molécule a reçu l’agrément de la FDA et de l’EMA, mais n’est pas encore disponible en France.
Un triple agoniste du GIP, GLP-1 et glucagon, est en développement, et les résultats lors d’une étude de phase 2 avec le retatrutide chez les patients diabétiques de type 2 qui compare plusieurs doses à la prise de liraglutide semblent prometteurs avec une baisse des PA, en sachant quand même que ces données restent exploratoires(17).
Prise en charge de l’HTA et démence
Dans un essai chinois chez 35 000 personnes âgées (qui randomise des villages entiers), une prise en charge intensive de l’HTA parvient à baisser les PA chez une proportion de patients nettement plus importante que lors d’une approche conventionnelle avec un delta de PA systolique de l’ordre de 20 mmHg à 48 mois et permet une baisse significative du risque de démence toute cause de l’ordre de 15 % dans le groupe traité, sans majoration des chutes ou des syncopes. Ce travail ne dit pas de quel type de démence il s’agit, mais est un argument de poids supplémentaire pour considérer que traiter l’HTA réduit la démence(18).
EN PRATIQUE
Même si le contrôle tensionnel reste largement insuffisant dans notre pays, des recommandations existent pour nous guider et l’améliorer. Mais celles-ci ne suffiront pas si les pouvoirs publics n’engagent pas d’action prioritaire dans la prise en charge de l’HTA et les consultations de prévention prévues pourraient être un des leviers pour y parvenir.
Plusieurs classes thérapeutiques prometteuses font leur apparition et les études de phase 3 sont attendues par les experts. La dénervation rénale est désormais prise en charge par l’Assurance maladie (négociations de prix en cours) dans certaines situations et devrait permettre d’améliorer le contrôle tensionnel de nos patients.
Enfin, la prise en charge de l’obésité est en pleine révolution et se double d’une amélioration des PA et des facteurs de risque cardiovasculaires : à suivre….
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