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Cardiologie générale

Publié le 06 mai 2024Lecture 7 min

La paléogénomique : une nouvelle ère pour la cardiologie ?

Jérémy FAUCONNIER, Directeur de recherche CNRS, past-president du GRRC, Laboratoire PhyMedExp UMR CNRS 9214-Inserm 1046, CHU Arnaud De Villeneuve, Université de Montpellier

Chaque année le Groupe de réflexion sur la recherche cardiovasculaire s’intéresse au prix Nobel de physiologie et de médecine de l’année précédente : quelles découvertes ? Quels impacts pour la physiologie et la médecine ? Quelles sont les retombées pour la compréhension des maladies cardiovasculaires et leur prise en charge ? Questions auxquelles nous essayons de répondre lors des Automnales du GRRC qui ont lieu tous les ans, début décembre, avec les meilleurs experts de la discipline et que nous présentons aux JESFC. En 2022, le prix Nobel de physiologie et de médecine a été attribué à Svante Pääbo, pour ses travaux en paléogénétique. Des origines de l’homme moderne à la médecine personnalisée, voici en quelques mots l’importance de ses découvertes.

Décrypter l’ADN ancien un défi technique avant tout Depuis la découverte de la structure de l’ADN par James Watson et Francis Crick au début des années 1950, il a fallu attendre la fin des années 1990, pour que la quasi-totalité du génome humain soit séquencée en combinant les approches modernes de biologie moléculaire et de bio-informatique. Il s’agit d’une réalisation considérable qui a permis d’étudier ultérieurement les relations génétiques entre différentes populations humaines. Svante Pääbo s’est, quant à lui, passionné dès le milieu des années 1980, pour l’ADN issu de restes humains disparus depuis plusieurs milliers d’années. Cependant, il a été confronté à une difficulté majeure : avec le temps l’ADN subit des modifications chimiques, une forte dégradation et une contamination par de l’ADN moderne environnant. C'est alors qu’il va développer de nouveaux protocoles avec des conditions de stérilité extrêmement strictes afin de pouvoir étudier de petits fragments de génome ancestral. Après avoir réussi à séquencer l’ADN d’une momie égyptienne, il va alors s’intéresser à l’ADN néandertalien. Dans un premier temps, il focalise ses travaux sur l’ADN des mitochondries de Néandertal – des organites présents en milliers de copies dans les cellules et qui contiennent leur propre ADN. Bien qu’il ne s’agisse que d’une infime fraction de l’information génétique d’une cellule, pour la première fois, il réussit à séquencer une région d’ADN mitochondrial à partir d’un morceau d’os vieux de 40 000 ans. Ce séquençage lui permet d’en conclure que nous, les Sapiens, ne sommes pas des descendants directs des Néandertaliens, mais plutôt des cousins éloignés dotés d’un matériel génétiquement distinct(1). Cependant, il existe un biais : les mitochondries, et leur ADN sont transmis uniquement par la mère. En conséquence, cette découverte n’a pas permis de déterminer si les Sapiens et les Néandertaliens qui ont cohabité en Europe pendant des milliers d’années se sont hybridés. Ce n’est qu’en 2010, après avoir réussi à séquencer de l’ADN, cette fois-ci nucléaire à partir d’ossements extrêmement bien conservés, que Pääbo et ses collaborateurs ont démontré qu’il y avait bel et bien eu hybridation entre Sapiens et Néandertal. Autrement dit, après avoir migré d’Afrique, les Sapiens ont rencontré les Néandertaliens en Eurasie avec qui des croisements féconds ont eu lieu(2). Toujours en 2010, Pääbo séquença de l’ADN mitochondrial issu d’un morceau de phalange retrouvé dans une grotte de Sibérie, qui ne correspondait ni à celui des Sapiens ni à celui des Néandertaliens. C’est alors la découverte d’une nouvelle espèce d’hominidé : l’homme de Denisovan (du nom de la grotte où se trouvaient les ossements)(3). Les Dénisoviens occupaient l’Asie, à l’est de l’Himalaya, alors que les Néandertaliens étaient à l’ouest du continent. Pääbo et son équipe ont alors pu également démontrer qu’à l’instar des hommes de Néandertal, des croisements féconds entre Dénisoviens et Sapiens ont bien eu lieu en Asie de l’Est et Océanie. Ainsi, tous les êtres humains d’origine eurasienne possèdent environ 2 % d’ADN néandertalien, et jusqu’à 6 % d’ADN dénisovien pour les populations d’Asie de l’Est et d’Océanie. En revanche, aucun gène ancestral n’a été retrouvé dans le génome africain compte tenu du fait qu’il n’y ait pas eu de coexistence entre les différentes espèces d’hominidés sur le continent africain.   Des gènes ancestraux : pour quoi faire ? La conservation dans notre génome d’un faible pourcentage d’ADN néandertalien ou dénisovien, et donc l’expression de certains gènes ancestraux, pose la question de leurs rôles dans l’évolution (adaptation à l’environnement, résistance aux maladies, reproduction…). Ainsi certains haplotypes (groupes de gènes) avec des variants ancestraux peuvent conférer une résistance à une pathologie ou au contraire peuvent être associés à des formes plus sévères. Dans le cas de la Covid-19, plusieurs études ont montré que des variants génétiques d’un groupe de gènes, situé sur le chromosome 3, étaient associés à des formes plus sévères de COVID-19. Or ces variants ont une origine néandertalienne. En Asie du Sud, 50 % des personnes portent au moins une copie de l’haplotype à risque contre 16 % des personnes en Europe. La plus forte fréquence de porteurs est observée au Bangladesh, où plus de la moitié de la population (63 %) possède au moins une copie de l’haplotype à risque néandertalien, tandis que 13 % sont homozygotes pour cet haplotype. Ainsi, les individus d’origine bangladaise ont un risque deux fois plus élevé de mourir de la Covid-19 que la population générale(4). Il existe aussi un exemple concernant la résistance à l’hypoxie des populations tibétaines qui est héritée de variants génétiques dénisovien. En effet, les Tibétains peuvent exprimer un variant du gène EPAS1 (endothelial PAS domain-containing protein 1) ou encore appelé HIF-2a (hypoxia-inducible factor-2alpha) qui code pour une sous-unité du facteur de transcription HIF (hypoxia-inducible factor). Ce facteur de transcription régule la réponse érythrocytaire à l’hypoxie en modifiant l’expression de l’érythropoïétine. Ainsi, les populations tibétaines vivant à 4 000 m d’altitude possédant le variant Dénisovien ont un niveau d’hématies équivalent aux populations vivantes dans les plaines(5). Enfin, la sensibilité à la douleur est aussi un mécanisme assujetti à certains variants. Des études ont démontré la présence de variants néandertaliens du gène SCN9A qui code pour le canal sodique NaV1.7. Ce canal sodique est abondamment exprimé dans les neurones nociceptifs ainsi que dans les ganglions sympathiques du système nerveux autonome. Les variants néandertaliens de ce canal montrent des courants sodiques qui s’inactivent pour des potentiels membranaires plus dépolarisés. En d’autres termes, une fois activé, le canal sodique reste ouvert plus longtemps, ce qui conduit à une transmission accrue de signal pour une même stimulation. Par conséquent, les individus porteurs de ces variants sont plus sensibles à la douleur(6). Il existe bien d’autres exemples tous plus surprenants les uns que les autres, comme l’expression de gènes impliqués dans le rythme circadien qui permettent aux populations des latitudes nord une meilleure adaptation ou encore la présence d’un haplotype chez les populations mexicaines et latino-américaines associé à une augmentation de 20 % du risque de développer un diabète de type 2. Ce groupe de gènes identifié chez les Néandertaliens est présent chez les populations mexicaines avec une fréquence de 50 %, tandis qu’il est moins fréquent chez les Asiatiques de l’Est et quasiment absent dans d’autres régions(7).   De la paléogénomique aux maladies cardiovasculaires À l’heure actuelle, il n’existe aucune étude démontrant un lien direct entre l’expression de variants néandertaliens ou dénisoviens et un risque cardiovasculaire. Cependant, une étude récente démontre que l’expression d’un variant néandertalien de la glutathion réductase, une enzyme qui limite le stress oxydant, est associée à une augmentation des pathologies inflammatoires chroniques et pathologies vasculaires périphériques(8). Par ailleurs, pour les haplotypes néandertaliens responsables des formes sévères de Covid-19, il s’agit principalement de variants de gènes impliqués dans l’immunité et plus particulièrement dans le recrutement et l’activation des cellules immunitaires. Ces variants néandertaliens touchent des récepteurs aux chimiokines (CCR9, XCR1, CXR6, CCR1, CCR3) qui ont tous été décrits comme étant impliqués soit dans le développement des plaques d’athéromes, soit dans la réponse inflammatoire post-infarctus. Par conséquent, ces différents variants ancestraux pourraient contribuer à la sévérité de la maladie coronaire. De même, des études précliniques démontrent que l’expression de HIF-2a, ce variant responsable de la tolérance à l’altitude des Tibétains, augmente la tolérance myocardique à l’ischémie et est impliquée dans l’hypertension artérielle pulmonaire.   EN PRATIQUE Ainsi, nous sommes tous porteurs d’une fraction de gènes ancestraux, qui s’expriment différemment selon les individus, les ethnies, l’environnement, et qui conditionnent nos réponses à différents contextes physiopathologiques. Les travaux de Svante Pääbo ont ouvert le champ à une nouvelle discipline, la paléogénomique, qui nous révèle nos origines et qui permet d’identifier des gènes impliqués dans la sélection naturelle. Cette nouvelle discipline, combinée aux nouvelles stratégies de séquençage à haut débit, contribuera sans aucun doute au développement actuel de la médecine personnalisée et plus particulièrement dans les différents domaines de la pharmacogénomique.

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