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Cardio-oncologie

Publié le 03 oct 2024Lecture 11 min

Changement de paradigme : utiliser les statines pour prévenir et traiter le cancer - Une revue de la littérature

Laura BACIULESCU, CH d’Agen

Les statines sont des inhibiteurs de la 3-hydroxy-3-méthyl-glutaryl coenzyme A réductase largement utilisés pour traiter la dyslipidémie et réduire la morbi-mortalité cardiovasculaire en prévention primaire et secondaire. De plus en plus de preuves précliniques et épidémiologiques ont révélé que la dyslipidémie est un facteur de risque important de carcinogenèse, d’invasion et de métastases.

Plus récemment, le potentiel des statines à exercer des effets pléiotropes, notamment en empêchant la prolifération des cellules néoplasiques, a attiré une attention considérable, car des études antérieures (surtout de cohorte, observationnelles et précliniques, mais aussi interventionnelles) et des méta-analyses ont démontré que les statines peuvent atténuer la progression du cancer et les micro-métastases et prévenir l’apparition des certains types de cancer. Les mécanismes évoqués sont l’effet antiprolifératif, pro-apoptotique, anti-inflammatoire et probablement antiangiogène. Le cancer du sein est le cancer le plus fréquent (près de 1,3 million de cas de cancer du sein sont diagnostiqués chaque année dans le monde, dont 20 % correspondent au sous-type triple négatif) et la deuxième cause de mortalité par cancer chez les femmes(11). Le sous-type triple négatif (TN) est défini par l’absence d’expression du récepteur des œstrogènes (ER), du récepteur de la progestérone (PR), et du récepteur 2 du facteur de croissance épidermique humain (HER2) par les cellules tumorales. Il représente la forme la plus agressive du cancer du sein, pour laquelle aucune thérapie spécifique efficace n’est disponible. Le traitement habituel repose sur une chimiothérapie à base de doxorubicine, une anthracycline certes efficace, mais avec une cardiotoxicité accrue et dose-dépendante. Dans ce contexte, plusieurs études précliniques sont en cours pour tester de nouvelles molécules ayant un réel potentiel thérapeutique et moins d’effets indésirables. Dans la méta-analyse « Utilisation post-diagnostique des statines et son association avec la récidive du cancer et la mortalité chez les patientes atteintes d’un cancer du sein : une revue systématique et une méta-analyse »(9), publiée en 2023, l’utilisation de statines était associée à une réduction de la récidive du cancer par rapport aux non-utilisatrices de statines. Cette tendance était similaire chez les utilisateurs de statines lipophiles (atorvastatine, lovastatine, simvastatine), mais pas chez les utilisateurs de statines hydrophiles (rosuvastatine, pravastatine et fluvastatine). Les statines lipophiles ont démontré une réduction à la fois de la mortalité toutes causes confondues et de la mortalité par cancer du sein, à l’inverse des statines hydrophiles, qui n’ont pas diminué la mortalité toute cause. Dans l’étude « Utilisation de statines après le diagnostic et mortalité spécifique au cancer du sein : une étude de cohorte basée sur la population »(10), publiée en 2023, l’utilisation de statines était associée à une diminution statistiquement significative du risque de décès par cancer du sein, les analyses de sous-groupes révélant un effet plus protecteur chez les patientes avec récepteurs des œstrogènes présents, les femmes ménopausées et les femmes atteintes d’une maladie à un stade avancé. La simvastatine, l’une des statines les plus lipophiles, serait la meilleure candidate pour le traitement du cancer du sein pour plusieurs raisons : 1) elle inhibe préférentiellement la croissance des cellules tumorales du cancer du sein TN par rapport aux cellules tumorales non-TN, 2) son utilisation est associée à une réduction significative de la croissance des cellules cancéreuses in vitro et in vivo, et 3) des études précliniques ont montré qu’elle pourrait supprimer la tumeur et réduire le potentiel métastatique du cancer du sein. Ces études plaident en faveur d’un effet bénéfique de l’utilisation de simvastatine sur la survie des patientes atteintes d’un cancer du sein. Sur le plan fonctionnel, la sensibilité des cellules tumorales du cancer du sein à la simvastatine a été associée à une réduction de la prolifération et de la survie (in vitro et in vivo) de ces cellules, et à une réduction de la croissance tumorale. Le signal calcique a été identifié comme un acteur central de la réponse des cellules cancéreuses TN à la simvastatine. Un rôle critique de la perturbation de l’homéostasie calcique dans l’apoptose cellulaire a été proposé. Les propriétés antitumorales de la simvastatine ont été associées à un dérèglement de l’homéostasie du calcium, dont le mécanisme reste inconnu. L’analyse de la croissance tumorale dans un modèle de xénogreffe de tumeur chez la souris a confirmé le rôle central du Ca2+ dans la capacité de la simvastatine à réduire le volume de la tumeur. Dans des expériences in vitro, l’augmentation de la concentration intracellulaire des ions Ca2+ dans les cellules tumorales mammaires par l’ajout de simvastatine diminue leurs capacités invasives et tumorigènes, en accord avec l’impact thérapeutique favorable de cette molécule suggérée par les résultats des études précliniques. Ces résultats lèvent le voile sur le mécanisme moléculaire de l’activité de la simvastatine et fournissent un nouveau support expérimental pour de futurs essais cliniques utilisant ce médicament pour traiter le cancer du sein. Les effets pro-apoptotiques de la simvastatine et de la doxorubicine impliquent, dans les deux cas, une augmentation de la concentration intracellulaire des ions Ca2+. La cytotoxicité de la simvastatine était bien supérieure à celle de la doxorubicine, avec une différence d’un facteur 30 dans les valeurs de la concentration inhibitrice médiane après 48 heures de traitement. En outre, la combinaison de la simvastatine et de la doxorubicine à faibles doses augmentait l’apoptose des cellules cancéreuses TN de façon synergique et pas seulement additive. Ces résultats indiquent que la combinaison de simvastatine et de doxorubicine pourrait être efficace pour traiter le cancer du sein, notamment son sous-type triple négatif. Dans l’étude « Cholesterol-lowering drugs may slow down metastases, EurekAlert, 28 février 2022 », on a mis en évidence un facteur important dans le développement métastatique du cancer colorectal : le gène MACC1. Selon les chercheurs, quand ce gène est présent dans les cellules cancéreuses, la propagation des cellules dans le corps est accélérée. « De nombreux types de cancers ne se propagent que chez les patients présentant une expression élevée de MACC1 », explique Ulrike Stein. Les statines sont efficaces pour inhiber l’action du gène MACC1 dans les cellules cancéreuses et permettent de bloquer la prolifération des métastases. Dans l’étude « Real-world evidence for preventive effects of statins on cancer incidence: A trans-Atlantic analysis, Clinical and Translational Medicine, 20 février 2022 », afin de tester l’efficacité des statines contre le cancer chez les humains, Robert Preißner et des scientifiques de l’université de Virginie ont également examiné les données d’un total de 300 000 patients à qui l’on avait prescrit des statines. Cette analyse a permis d’établir une corrélation nette entre statines et lutte contre le cancer. « Les patients prenant des statines avaient une incidence de cancer deux fois moins élevée que celle de la population générale », explique Robert Preißner, un des auteurs de l’étude. Les statines sont les médicaments les plus fréquemment prescrits dans le monde et sont généralement bien tolérées. L’utilisation régulière de statines a été associée à une réduction du risque de plusieurs cancers, tels que les cancers du sein, de l’estomac et du pancréas. Chez les utilisateurs de statines, le risque de développer un cancer colorectal est réduit de 20 %, cependant, chez les personnes atteintes de maladies inflammatoires de l’intestin, leur risque est réduit de 60 %. D’autres études seront nécessaires pour confirmer ces résultats et pour examiner si l’effet chimio protecteur des statines diffère selon le type de condition inflammatoire présente. Les statines pourraient inhiber la carcinogenèse pulmonaire par leur action inhibitrice sur l’inflammation systémique et le remodelage épithélial bronchique comme suggéré dans la BPCO(15). Le cancer pulmonaire résulte classiquement des effets combinés du tabagisme et d’une prédisposition génétique favorable au développement de ce cancer. La BPCO est un terrain privilégié pour le cancer pulmonaire et tout comme lui, est caractérisée par une inflammation systémique secondaire au tabac et à une réponse innée aux composés tabagiques sur un terrain génétique favorisant. Par leur action inhibitrice de cette inflammation systémique, les statines pourraient réduire le risque d’apparition de complications cardiovasculaires, mais aussi du développement d’une BPCO et de cancers.  L’équipe du Pr Young s’est intéressée à l’étude de la cohorte nationale danoise incluant les patients s’étant vu diagnostiquer un cancer entre 1995 et 2007 (avec un suivi jusqu’à fin 2009) dont, parmi les sujets d’âge supérieur ou égal à 40 ans, 18 721 patients avaient pris des statines régulièrement avant le diagnostic de cancer et 277 204 n’en avaient jamais pris. Il était observé une diminution de la mortalité par cancer chez les patients précédemment sous statines quelle que soit la dose : HR = 0,83 (95 % IC : 0,81-0,86) pour la dose la plus faible. Cela était vrai pour les treize cancers différents considérés d’après Nielsen et coll. [Nielsen SF, Nordestgaard BG, Bojesen SE. Statin use and reduced cancer-related mortality. N Engl J Med 2012 ; 367(19) : 1792-802.] Mais après réexamen des données brutes par Young et coll., la diminution de la mortalité de 17 % par cancer, rattachée à la prise des statines était uniquement liée, hormis les leucémies, aux cancers associés au tabagisme (poumon, ORL, œsophage, vessie) ou à l’obésité (colon, prostate, sein). Parmi ceux-ci, le cancer pulmonaire représentait à lui seul 43 % des vies sauvées d’une mort par cancer. Les insuffisants cardiaques sont plus à risque de développer un cancer, qui représente la première cause de mortalité non cardiaque chez ces patients. L’insuffisance cardiaque pourrait être une pathologie oncogène, du fait des liens entre activation neurohormonale et tumorigenèse, processus pathologiques ischémiques comme l’inflammation et le stress oxydatif, prédispositions génétiques communes et hématopoïèse clonale, rappellent Qing-Wen Ren de l’University of Hong Kong Shen Zhen Hospital et ses collègues(12). Ils ont étudié 87 102 patients atteints d’insuffisance cardiaque, dont 50 926 utilisaient des statines. Sur 4,1 ans de suivi moyen, 12,7 % des patients ont eu un diagnostic de cancer. L’utilisation de statines était associée à un risque de cancer significativement réduit de 16 %. Cette réduction était plus marquée pour une utilisation plus longue des statines : par rapport à une utilisation courte, entre 3 mois et 2 ans, une utilisation pendant 4 à 6 ans était associée à un risque significativement réduit de 18 %, et une utilisation pendant 6 ans ou plus à un risque réduit de 22 %. Le risque de décès par cancer à 10 ans était significativement diminué de 26 % avec les statines (3,8 % contre 5,2 %). Divers essais cliniques interventionnels portant sur la capacité anticancéreuse des statines sont en cours, seuls ou en association. Un essai péri-opératoire chez des femmes atteintes d’un cancer du sein de stade 0/1 a démontré que l’administration de fluvastatine pendant 3 à 6 semaines avant la chirurgie diminuait la prolifération des tumeurs de haut grade d’une médiane de 7,2 % (p = 0,008) et augmentait l’apoptose dans 60 % des tumeurs de haut grade ; tandis que pour les tumeurs de bas grade, ces effets étaient moins évidents (Garwood et coll., 2010). De même, un traitement de 2 semaines à l’atorvastatine avant la chirurgie a diminué la prolifération des cellules tumorales chez les patientes atteintes d’un cancer du sein invasif primitif (Feldt et coll., 2015). Cependant, d’autres essais cliniques interventionnels ont eu des résultats négatifs. Un récent essai de phase III a révélé que l’ajout de pravastatine au sorafénib n’améliorait pas la survie chez les patients atteints d’un carcinome hépatocellulaire avancé, sans différence dans la survie globale médiane entre les groupes sorafénib-pravastatine et sorafénib (10,7 mois contre 10,5 mois ; HR, 1,00 ; p = 0,975) (Jouve et coll., 2019). L’utilisation de la simvastatine en association avec des agents chimio thérapeutiques n’est pas bénéfique pour les patients dans la plupart des essais, sauf lorsqu’elle est associée au fluorouracile, à l’adriamycine et au cyclophosphamide pour traiter les patients atteints d’un cancer du rectum localement avancé (Yulian et coll., 2021).   Discussion Les consultations de cardio-oncologie vont s’accroître progressivement vu l’augmentation du nombre des cancers détectés dans la population générale et les progrès dans le traitement anticancéreux (surtout avec l’avènement de l’immuno- thérapie), avec beaucoup des cancers qui deviennent des maladies chroniques, nécessitant un suivi au long cours. Ces patients sont à risque cardio-vasculaire élevé, donc, s’ils ont une dyslipidémie, elle devrait être traitée de façon précoce et intensive. La question qui se pose est si on devait débuter une statine lipophile à tous les patients oncologiques (sauf contre-indication) pour diminuer pas seulement la morbi-mortalité cardio-vasculaire, mais aussi la mortalité par cancer. Étant le principal prescripteur des statines, le cardiologue doit connaître toutes les potentielles conséquences de ce traitement. Les insuffisants cardiaques sont plus à risque de développer un cancer, qui représente la première cause de mortalité non cardiaque chez ces patients. L’utilisation des statines au long cours dans cette population est associée avec une réduction de risque de survenue d’un cancer et une réduction du risque de décès par cancer. L’étude STOP CA (ACC, 2023) a montré que les statines réduisent le risque d’altération de la FEVG de plus de 10 % à 12 mois dans une population de patients lymphomateux traités avec de fortes doses d’anthracyclines (mais étude avec peu des patients). Cependant, trois études publiées en 2023, prospectives, en double aveugle avec un suivi longitudinal rigoureux en imagerie (IRM cardiaque et/ou échographie), évaluant l’effet de la statine sur le risque de dysfonction systolique du VG, au sein des patientes traitées par anthracyclines pour un cancer du sein, ont eu des résultats décevants : les études montrent de manière concordante que le risque d’insuffisance cardiaque clinique n’est pas modulé par l’administration de statine. L’accumulation d’essais précliniques et cliniques (surtout observationnelles, de cohorte) sur les statines dans différents cancers suggère un rôle bénéfique global des statines avec un profil d’innocuité favorable dans le traitement et la prévention du cancer. Les effets anticancéreux, ainsi que leur bonne tolérance, leur faible coût et leur toxicité beaucoup plus faible par rapport aux médicaments de chimiothérapie conventionnels, attirent de plus en plus l’attention de la réaffectation des statines en tant que stratégie prometteuse pour les traitements du cancer. Cependant, les essais cliniques interventionnels appliqués aux statines en association avec d’autres médicaments anticancéreux ont donné des résultats mitigés. Est-ce qu’on devrait prescrire une statine en cas de maladie inflammatoire chronique comme la BPCO, l’insuffisance cardiaque, MICI (maladies inflammatoires chroniques de l’intestin) pour réduire la morbi-mortalité cardio-vasculaire, mais aussi pour prévenir le risque de d’apparition et de décès par cancer ?   EN PRATIQUE • Une statine de préférence lipophile devrait être systématiquement débutée de façon précoce et intensive si dyslipidémie détectée chez un patient avec cancer, sauf contre-indication. • Comment tirer parti des statines pour promouvoir le traitement anticancéreux actuel reste une question sérieuse qui attend des études mécanistiques approfondies. • Cet effet protecteur potentiel des statines sur le développement des cancers devrait être évalué dans de larges essais randomisés.

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