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Valvulopathies

Publié le 19 nov 2024Lecture 10 min

Challenge des polyvalvulopathies en routine clinique : place de l’imagerie multimodale

Théo PEZEL*, Augustin COISNE**, *services de cardiologie et radiologie, CHU Lariboisière, AP-HP, Paris, **service des explorations fonctionnelles cardiovasculaires, CHU de Lille

Les polyvalvulopathies, ou MVD pour « multiple valvular disease » en anglais, sont une pathologie courante qui touche près de 20 % des patients selon le registre international VHD II. Ces atteintes se caractérisent par des lésions combinées de fuite et/ou de sténose sur au moins deux valves cardiaques. Il est important de distinguer les polyvalvulopathies des valvulopathies mixtes qui impliquent une régurgitation et une sténose sur une même valve. Malgré la prévalence élevée des polyvalvulopathies, il y a un manque de données pour guider leur prise en charge en routine clinique, comme souligné par les dernières recommandations de l’ESC(1).

Défi des atteintes valvulaires multiples   L’évaluation des polyvalvulopathies pose des défis en pratique clinique, car la présence d’une sténose ou d’une régurgitation sur une valve secondaire peut altérer de manière significative l’hémodynamique d’une autre valvulopathie. Par exemple, il est fréquent de rencontrer des cas de rétrécissement à faible débit et à faible gradient dans le contexte des polyvalvulopathies. En effet, une lésion valvulaire sévère peut diminuer le débit cardiaque et donc le gradient à travers une autre valve sténosée, compliquant ainsi l’évaluation de la sévérité de la sténose. À l’inverse, une régurgitation concomitante à une sténose peut augmenter le flux à travers une valve sténosée, élevant ainsi le gradient de pression. L’évaluation des polyvalvulopathies doit donc intégrer divers éléments pathophysiologiques, dont la gravité de chaque valvulopathie, la combinaison des valves affectées, la nature primaire ou secondaire de la valvulopathie, leur caractère chronique et l’adaptation des cavités cardiaques. Le diagnostic peut être difficile, car les différentes métho - des échocardiographi ques couramment utilisées pour évaluer une sténose ou une régurgitation n’ont été validées que chez des patients atteints d’une valvulopathie unique. Par exemple, l’évaluation de l’hémodynamique d’un rétrécissement aortique peut être compliquée par un bas débit trans-aortique secondaire à une insuffisance mitrale significative. En effet, un rétrécissement aortique peut apparaître serré à l’imagerie (avec une surface fonctionnelle aortique de moins de 1 cm2), alors que le gradient de pression à travers la valve aortique reste étonnamment bas, en raison du faible débit sanguin à travers la valve aortique causé par la fuite mitrale. Moins fréquente, la combinaison rétrécissement aortique et rétrécissement mitral peut également conduire à une réduction du débit cardiaque lorsque les deux sténoses sont sévères, diminuant le débit et les gradients de pression à travers les deux valves, ce qui peut condui re à une sous-estimation de la gravité du rétrécissement aortique et mitral. Un exemple de patient avec une polyvalvulopathie est présenté dans la figure 1. Figure 1. Exemple d’un patient avec une sténose mitrale et une sténose aortique concomitantes avec des symptômes sévères (classe 3 NYHA). Le volume d’éjection aortique était de 42 mL, avec une surface aortique de 0,62 cm2, ce qui correspond à une sténose aortique bas débit/bas gradient. La surface mitrale mesurée par la méthode de temps de demi-décroissance (ligne rouge) était de 1,62 cm2, ce qui était discordant avec la mesure de planimétrie directe (contour vert) de 1,2 cm2. Ce cas met en évidence l’inexactitude de la méthode du temps de demi-décroissance pour évaluer la surface effective de la valve mitrale en présence d’une maladie sévère de la valve aortique. De plus, ce patient illustre la situation fréquente et difficile des sténoses bas débit/bas gradient. Cette situation peut conduire à une sous-estimation de la gravité des sténoses aortique et mitrale. (Figure adaptée de Unger et al.(8))   L’évaluation échocardiographique des polyvalvulopathies Toutes les modifications hémodynamiques causées par les polyvalvulopathies ainsi que le grand nombre de combinaisons physiopathologiques possibles complexifient leur évaluation. Si l’échocardiographie est la pierre angulaire du diagnostic des valvulopathies, plusieurs méthodes Doppler couramment utilisées pour l’évaluation des sténoses ou régurgitations n’ont été validées que chez des patients atteints d’une seule valvulopathie. Ainsi, certains critères peuvent ne pas être valides dans le contexte des polyvalvulopathies. Le tableau 1 présente quelques exemples de pièges échocardiographiques à éviter dans le diagnostic des polyvalvulopathies du cœur gauche.   Une sténose à faible débit et à faible gradient est courante dans les polyvalvulopathies. En effet, toute valvulopathie sévère peut réduire le flux et, par conséquent, le gradient de pression à travers une autre valve sténosée. Un aspect à faible débit et à faible gradient rend difficile l’évaluation précise de la gravité de la sténose. La surface de la valve mitrale ne doit pas être évaluée en utilisant la méthode de l’équation de continuité en présence d’une régurgitation aortique, car le flux transmitral diffère du flux transaortique. Les méthodes échocardiographiques dérivées du temps de demi-décroissance sont invalides en présence d’une compliance ou d’une relaxation du VG altérées. Par conséquent, le temps de demi-décroissance mitral en présence d’une maladie de la valve aortique doit être interprété avec prudence.   L’IRM cardiaque peut-elle aider à évaluer les polyvalvulopathies ?   L’IRM cardiaque présente l’avantage unique de pouvoir mesurer directement le flux en utilisant la technique dite de « contraste de phase », sans nécessiter de calculs reposant sur des équations complexes contrairement à l’échocardiographie. À cela s’ajoute le libre choix du positionnement du plan d’imagerie, non contraint par le positionnement de la sonde ou de la fenêtre acoustique qui limitent parfois l’ETT. Ainsi, l’IRM cardiaque peut permettre une quantification plus robuste des régurgitations valvulaires par rapport aux autres méthodes dans le contexte des polyvalvulopathies : La mesure directe du volume de régurgitation pour une insuffisance aortique, réalisée par des mesures de flux à la racine de l’aorte, n’est en général pas influencée par la présence d’une sténose aortique ou mitrale, ou d’une régurgitation mitrale. Il est cependant crucial de prendre en compte que dans le cas d’une sténose aortique simultanée, la mesure du flux aortique peut être sous-évaluée à cause du déphasage des signaux intravoxel lié au jet de sténose(2,3). La méthode indirecte privilégiée pour calculer le volume de régurgitation d’une insuffisance mitrale utilise la formule suivante : « VR = (volume télédiastolique du VG – volume télésystolique du VG) – volume d’éjection systolique aortique » (figure 2). Cette méthode reste inchangée en présence d’une insuffisance aortique, car le volume télédiastolique du VG ainsi que le volume d’éjection aortique sont tous les deux augmentés par cette dernière. Néanmoins, si une sténose aortique est également présente, cela peut réduire la précision de cette méthode pour déterminer le volume d’éjection systolique. Figure 2. Quantification d’une insuffisance mitrale en IRM cardiaque par la méthode indirecte. Les volumes du VG sont mesurés en télédiastole et en télésystole à part des images de ciné-IRM. Le volume d’éjection systolique (VES) est ensuite mesuré par flux 2D au niveau des sinus de Valsalva. Le volume régurgitant de l’insuffisance mitrale utilise la formule suivante : « VR = (volume télédiastolique du VG – volume télésystolique du VG) – volume d’éjection systolique aortique ». (Figure adaptée de Zoghbi et al.(9)) Dans les centres disposant d’une expertise locale, le flux 2D peut être remplacé par le flux 4D pour mesurer le flux transvalvulaire (figure 3). Le flux 4D permet de mesurer le flux sanguin dans un volume 3D en une seule acquisition, couvrant tout le cœur(4). Cela permet de quantifier le flux à travers les quatre valves en utilisant la même acquisition, ce qui peut se révéler très bénéfique pour évaluer les maladies valvulaires cardiaques multiples. La mesure directe des flux rétrograde et antérograde est possible et peut être effectuée de manière rétrospective avec du « valve tracking », prenant en compte les mouvements du plan valvulaire pendant tout le cycle cardiaque. Cette quantification directe du jet de régurgitation peut être particulièrement utile dans les maladies valvulaires cardiaques multiples. Des études montrant l’intérêt de l’IRM cardiaque, et en particulier du flux 4D dans le contexte des MVD sont toujours nécessaires. Figure 3. Évaluation d’une régurgitation mitrale par flux 4D. Les flux aortique et mitral peuvent être évalués simultanément dans un volume 3D du cœur. Le volume régurgité est calculé à partir des flux antérogrades des valves mitrale et aortique. Les logiciels de post-traitement du flux 4D permettent de suivre le mouvement de la valve au cours du cycle cardiaque, c’est ce que l’on appelle le « valve tracking ». (Figure adaptée de Gorecka et al.(10))   Il est essentiel de se rappeler que l’IRM cardiaque, comme l’échocardiographie, peut rencontrer des limites dans des cas complexes. C’est pourquoi les résultats de l’IRM doivent toujours être interprétés en conjonction avec d’autres données cliniques et ne sont pas suffisants à eux seuls pour établir un diagnostic. L’IRM cardiaque est particulièrement précieuse pour évaluer l’impact global des lésions valvulaires multiples sur la morphologie et la fonction cardiaque dans les cas de valvulopathie mixte.   Intérêt du scanner cardiaque ?   Le scanner cardiaque est devenu un outil crucial pour évaluer la gravité de la sténose aortique, en complément de l’échocardiographie, et pour le bilan préprocédural du remplacement valvulaire aortique percutané (TAVI). La gravité de la sténose aortique peut être évaluée en quantifiant le calcium valvulaire à l’aide du score d’Agatston. La calcification est définie comme une zone ≥ 1 mm2 avec une densité supérieure à 130 unités Hounsfield (HU) en scanner cardiaque sans injection de produit de contraste, et le score d’Agatston est calculé en multipliant la taille de la calcification par un facteur de pondération de densité lié à l’atténuation maximale au sein de la calcification(5). Les femmes présentent moins de calcifications, mais plus de fibrose que les hommes à des niveaux équivalents de gravité de la sténose aortique, ce qui nécessite des seuils distincts pour définir la sténose aortique sévère : > 1 200 unités Agatston (UA) pour les femmes et > 2 000 UA pour les hommes. Cependant, l’évaluation de la gravité de la sténose aortique ne doit pas reposer uniquement sur un seul paramètre. Chez un patient avec amylose cardiaque, en présence de dépôts amyloïdes dans les feuillets valvulaires aortiques sans calcification significative, ces seuils peuvent ne pas refléter avec précision la gravité de la sténose aortique(6). Concernant la valve mitrale, il est important de souligner que la calcification de l’anneau mitral (MAC) est fréquente chez les patients atteints de MMVD et retrouvée chez 50 % des patients atteints de sténose aortique sévère concomitante(7). Bien que l’importance pronostique de la présence et de l’étendue du MAC soit rapportée dans la littérature, il n’existe actuellement aucun système de notation standardisé et validé pour sa quantification.   Deux grands registres sur les polyvalvulopathies !   Registre international : EACVI-MMVD study En raison de ce manque im - portant de preuves dans la littérature sur les polyvalvulopathies, notre équipe de travail a lancé le premier registre international sur les polyvalvulopathies avec les objectifs suivants : i) évaluer la prévalence et les caractéristiques des patients avec polyvalvulopathies ; ii) évaluer les stratégies de prise en charge utilisant l’imagerie cardio-vasculaire multimodale ; et iii) pour proposer des outils de stratification pronostique performants pour ces patients. En effet, l’étude « European Association of Cardiovascular Imaging – Multiple and Mixed Valvular Heart Diseases » (EACVI-MMVD study) (ClinicalTrials : NCT06235385) en tant que vaste étude prospective, multicentrique et observationnelle inclut actuellement dans plus de 100 centres de plus de 30 pays différents tous les patients consécutifs diagnostiqués avec polyvalvulopathies par échocardiographie sur une période de recrutement de 6 mois. L’ensemble des données d’imagerie multimodalité réalisées en routine clinique, y compris l’échocardiographie transœsophagienne, l’échocardiographie de stress, le scanner cardiaque et l’IRM cardiaque seront collectés. Tous les patients seront suivis pour évaluer la survenue d’événements cardiovasculaires et l’intervention valvulaire nécessaire après 1 an de suivi.   Registre français de la SFC : étude MULTIVALVE Si l’étude EACVI-MMVD fournit des données descriptives et pronostiques uniques à l’échelle mondiale pour les patients atteints de polyvalvulopathies, on peut craindre un manque de granularité dans les données d’imagerie de ce registre international lié à l’absence de protocole standardisé d’imagerie cardiovasculaire et à l’hétérogénéité des pratiques d’un pays à l’autre répondant aux enjeux d’un registre réel. Ainsi, pour répondre à cet objectif d’avoir un registre MMVD très standardisé en termes d’imagerie cardio-vasculaire, la Société française de cardiologie débutera en 2025 le registre « MULTIVALVE » sous la forme d’une étude prospective multicentrique dans 27 centres français incluant tous les patients consécutifs diagnostiqués avec polyvalvulopathies sur une période de recrutement de 12 mois. Les points forts de l’étude MULTIVALVE seront : i) la réalisation d’une étude plus interventionnelle avec un protocole d’imagerie cardiovasculaire standardisé pour l’ETT et l’IRM obligatoire pour tous les patients ; ii) analyse de toutes les images pour tous les patients par un laboratoire d’analyse centralisé ; et iii) un rapprochement avec les données de la Sécurité sociale française (chaînage au SNDS) permettant un suivi exhaustif des interventions valvulaires, des traitements médicamenteux et des événements cliniques pendant 5 ans.   EN PRATIQUE   - Les patients souffrant d’une polyvalvulopathie représentent une situation relativement fréquente du quotidien qui pose un certain nombre de difficultés en pratique. - Au-delà du challenge de l’évaluation de la sévérité de ces valvulopathies, le manque de données issues de la littérature sur la prise en charge de ces patients implique un recours systématique à une évaluation multidisciplinaire par la Heart Team pour ces patients(1). - Comme nous avons pu le voir ensemble, l’imagerie multimodale avec l’échocardiographie, l’IRM et le scanner cardiaque semble indispensable pour évaluer au mieux ces patients et guider leur prise en charge. - Aujourd’hui, nous manquons cruellement de données de la littérature sur ce sujet, et il est crucial de proposer rapidement des études multicentriques visant à mieux caractériser cette population pour améliorer sa prise en charge.

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