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Cardiomyopathies

Publié le 27 déc 2024Lecture 11 min

Alcoolisation septale dans la cardiomyopathie hypertrophique - « À propos d’une série monocentrique »

Nassime ZAOUI, Katia BABOU, Amina BOUKABOUS, Nabil IRID CLINIQUE, service de cardiologie, EHS Draa Ben Khedda, faculté de médecine Tizi-Ouzou

La cardiopathie hypertrophique (CMH) est définie par la présence d’une hypertrophie myocardique « inadéquate » en l’absence d’élévation de la post-charge (HTA, sténose aortique, membrane sousaortique), de pathologie infiltrative ou d’entraînement physique. L’alcoolisation septale s’est imposée comme une des méthodes de choix en cas d’échec du traitement médical ayant pour objectif de réduire le gradient intraventriculaire gauche et par conséquent réduire les symptômes et améliorer le pronostic du patient.

Introduction   La cardiomyopathie hypertrophique (CMH) est la cardiopathie monogénique la plus courante, touchant environ 1 individu sur 500 dans la population générale(1). L’étiologie est familiale dans la majorité des cas avec une transmission de type autosomique dominante à pénétrance variable(1,2). La CMH est définie par la présence d’une hypertrophie myocardique « inadéquate », car elle se développe en l’absence d’une cause d’augmentation de la postcharge (hypertension, sténose aortique, membrane sous-aortique), d’une pathologie infiltrante ou d’un entraînement physique(2). Le plus souvent asymétrique et touchant préférentiellement la paroi septale, cette hypertrophie s’accompagne dans près des deux tiers des cas d’une obstruction sous-aortique dynamique de la chambre de chasse du ventricule gauche par la valvule mitrale (mouvement antérieur systolique ou SAM). Cette obstruction est à la fois la conséquence du rétrécissement de la chambre de chasse par hypertrophie septale, mais aussi d’un mauvais positionnement de la valvule mitrale. C’est ce qu’on appelle la cardiomyopathie hypertrophique et obstructive (CMHO)(1,3). L’obstruction, présente au repos dans 50 % des cas et seulement après des manœuvres de provocation dans l’autre moitié des cas (manœuvre de Valsalva, effort), est à l’origine d’un gradient de pression entre le ventricule gauche et l’aorte, et donc d’une surcharge de pression pour le ventricule gauche(3). Cette surcharge de pression est à l’origine des symptômes classiquement rencontrés, à savoir la dyspnée et l’angor d’effort, la présyncope voire la syncope d’effort(3). Un gradient sous-aortique supérieur à 50 mmHg (mesuré au repos ou après provocation) est considéré comme un gradient à valeur pronostique et justifiant un traitement s’il est associé à des symptômes(4). Le traitement médical des formes obstructives repose sur l’administration de drogues inotropes négatives et/ou susceptibles de favoriser la relaxation myocardique telles que les bêtabloquants, les antagonistes calciques et le disopyramide, seuls ou en association(5,6). Pour les nombreux patients qui deviennent réfractaires ou intolérants à ces traitements, deux interventions peuvent leur être proposées pour lever l’obstruction : myotomiemyectomie chirurgicale du septum ou alcoolisation percutanée du septum(7). Si la myectomie chirurgicale reste la méthode de référence, l’alcoolisation septale du myocarde par voie percutanée est devenue l’un des traitements de choix dans le traitement des cardiomyopathies hypertrophiques obstructives réfractaires. Elle consiste à identifier par coronarographie l’artère septale alimentant la cloison basale hypertrophiée, en injectant une dose d’alcool à 95 % comprise entre 1 et 5 cc(7,8). Cela crée un infarctus chimique, une technique qui était utilisée autrefois pour le traitement de certaines tumeurs. Les effets ne sont pas immédiats et mettent généralement 2 à 3 semaines à apparaître(8). On observe alors une diminution progressive de l’épaisseur du myocarde nécrotique, la disparition progressive de l’obstruction et l’amélioration/disparition des symptômes(6-8).   Contexte et justificatif   Plusieurs méta-analyses ont mis en parallèle myomectomie et alcoolisation septale (environ 20 000 patients), et ont démontré que la chirurgie est clairement dépassée par l’alcoolisation septale préférée par le patient avec une amélioration similaire de l’état fonctionnel : au moins 80 % des patients améliorent leur gradient et leurs symptômes au prix d’une mortalité identique de l’ordre de 2 % ce qui fait de l’alcoolisation septale une technique à connaître, maîtriser, améliorer et comparer aux registres de la littérature(7,8).   Objectifs Décrire étape par étape l’ablation septale alcoolique (AAS), ainsi que les modalités évolutives post-alcoolisation septale d’une série de 58 patients et identifier les facteurs de mauvais résultat (gradient persistant) à 3 mois après procédure.   Matériel et méthode   Conception et contexte de l’étude Il s’agit d’étude observationnelle, rétrospective et monocentrique, menée dans un service de cardiologie, à partir d’un registre collectant les données cliniques, biologiques et imagerie de patients atteints de CMH et candidats à une alcoolisation septale, de janvier 2017 à janvier 2023.   Participants Cette étude a inclus tous les patients atteints de CMH sarcomérique, suspectée à l’échocardiographie et confirmée à l’IRM cardiaque, admis dans notre service pour alcoolisation septale (total de 58 patients). Les patients atteints d’amylose, de maladie de Fabry, etc., ont été exclus de l’étude (n = 12). Ces patients ont été contrôlés tous les 3 mois (cliniquement, ECG et ETT) et divisés en 2 groupes en fonction du gradient résiduel dans la chambre de chasse du VG 3 mois après l’ablation (< 50 mmHg vs > 50 mmHg) et comparés pour identifier les facteurs prédictifs de mauvais résultat après alcoolisation. Nous n’avons déploré aucune perte de vue ni décès au cours de la période de suivi. Tous les participants ont donné leur consentement pour participer et partager les résultats des travaux.   Variables et évaluation Les symptômes et l’examen clinique ont été évalués à chaque consultation. Des ECG ont été réalisés sur des appareils à 12 dérivations, évaluant : – rythme cardiaque ; – fréquence cardiaque ; – intervalles PR, QT et QTc (calculés selon la formule de Bazett) ; – axe et durée QRS ; – présence ou absence de blocs auriculo-ventriculaires ou de blocs de branche. Les paramètres échocardiographiques suivants ont été mesurés sur un échographe Vivid S6 : – diamètres télédiastolique et télésystolique du VG ; – fraction d’éjection VG calculée par Teicholtz ; – épaisseur septale ; – gradient d’éjection sousvalvulaire au repos et après manœuvre de provocation ; – présence ou non d’insuffisance mitrale et sa gravité. Les IRM ont été réalisées dans des centres d’IRM cardiaque de référence sur des appareils GE 1,5 Tesla. Des angiographies coronariennes et la procédure d’alcoolisation septale ont été réalisées sur Cath Lab GE Optima. La survenue de complications locales (hématome, fistule artérioveineuse), cardiaques ou systémiques en période péri procédurale ou postprocédurale précoce, et bien sûr l’apparition de blocs auriculoventriculaires complets ont été consignées dans les dossiers médicaux.   Gestion des biais d’étude Biais de sélection : afin de réduire ces biais et de rendre la population étudiée la plus représentative possible de la pratique quotidienne, nous n’avons pas limité l’origine des patients dont le recrutement a été successif, le plus souvent sur avis du médecin référent. Biais de vérification : tous les patients inclus dans l’étude ont reçu le test de référence obligatoire (IRM pour confirmer la CMH sarcomérique). Biais d’interprétation : une détermination en double aveugle par deux échocardiographistes et une moyenne des résultats si la différence est < 10 % du gradient maximum a été réalisée au départ et tous les 3 mois chez tous les patients.   Analyse statistique Toutes les données ont été collectées à l’aide du logiciel EPI-INFO 7. Les résultats ont été exprimés en pourcentage pour les variables qualitatives et en moyenne ± écart type (DS) pour les variables quantitatives. Des analyses bivariées de tous les paramètres en fonction de l’évolution du gradient maximal ont été réalisées selon le test de Fisher pour les variables qualitatives et le test de Student pour les variables quantitatives. La valeur p < 0,05 a été considérée comme statistiquement significative.   Résultats   Technique d’ablation septale à l’alcool Nous décrivons ici la technique et l’équipement nécessaire pour réaliser une procédure percutanée d’alcoolisation septale. Cette procédure commence par une bonne sélection des patients (clinique, ECG, ETT et IRM cardiaque pour confirmer la forme sarcomérique et le traitement médical optimal) (figure 1). Figure 1. Dépistage des patients avant procédure AS (homme âgé de 38 ans avec dyspnée et syncope NYHA stade 3 sous 240 mg de propranolol. A. ECG avec hypertrophie OG et VG et BBG incomplète. B et C. ETT avec hypertrophie asymétrique VG à 22 mm et gradient VG à 45 mmHg au repos et 137 au stress).   Ensuite, comme toute procédure de coronarographie, un abord artériel sera réalisé (ou double abord afin d’évaluer le gradient invasif VG-Aorte avant et après l’intervention), une coronarographie complète est réalisée si nécessaire puis un cathéter guide (sonde porteuse) avec un excellent support est choisi en fonction de l’anatomie du réseau gauche (EBU ou AL) et un guide 0,014 est placé dans une artère septale (figure 2). Figure 2. Procédure AS : Dépistage de l’artère septale : injection par l’artère septale pour confirmer l’absence de fistule et vérifier en ETT le muscle alimenté par cette artère (artères 1 et 5 : opacification de tout le septum, artère 2 : partie apicale du septum, artères 3 et 4 : partie apicale et VD, artère 6 : partie basale du septum).   Une ponction veineuse avec mise en place d’une sonde de stimulation cardiaque temporaire peut être nécessaire en cas de bloc de branche gauche préexistant complet ou incomplet. Un ballon OTW adapté au diamètre de l’artère septale est introduit puis gonflé à basse pression (6 à 8 atm) dans cette artère septale, une injection de produit iodé est réalisée à travers le cathéter guide pour confirmer que le ballon exclut la septale puis à travers le ballon pour confirmer l’absence de fistule de cette artère septale avec d’autres vaisseaux ou structures cardiaques. La dernière étape consiste à injecter du contraste échographique dans cette artère septale et à confirmer en ETT que l’artère sélectionnée correspond à la bonne partie du muscle septal à ablater. Une fois la bonne artère septale identifiée, une quantité d’éthanol 95 % est injectée pendant 5 minutes suivie de 5 minutes de lavage au sérum avec le même volume que l’alcool puis d’un temps d’attente de 5 minutes avant de dégonfler le ballon et d’évaluer le gradient invasif et échocardiographique et de retirer le matériel (figure 3). Figure 3. Résultat de la procédure AS : A. Résultat immédiat : pas de bloc AV et gradient à 19 mmHg. B. Résultat à 3 mois : gradient à 15 mmHg avec séquelles limitées de nécrose septale.   La quantité d’éthanol à injecter est calculée selon deux méthodes : 0,08 cc d’alcool pour chaque mm de septum ou 0,1 cc d’alcool pour chaque mm d’artère septale.   Participants et données descriptives Notre étude a inclus 58 patients (32 hommes et 26 femmes) âgés de 26 à 64 ans présentant une CMH sarcomérique suspectée à l’échocardiographie et confirmée par IRM cardiaque. Tous les patients présentaient une dyspnée (classe 3 ou 4 NYHA) sous traitement médical maximal toléré par bêtabloquant (propranolol 160-320) et/ou diltiazem (360-720 mg) pendant au moins 6 mois. Tous les patients présentaient une HVG à l’ECG et 47 (81 %) un bloc de branche gauche ; la fraction d’éjection (FE) moyenne au départ était de 64,3 % (58-72 %) avec une épaisseur maximale moyenne du VG à 23 mm (18 à 33) et un gradient maximal moyen à 88 mmHg après manœuvre de Valsalva (50-139 mmHg). Nous avons calculé la quantité d’alcool nécessaire selon les deux techniques et commencé pour chaque patient à injecter la quantité minimale et complétée vers la quantité maximale en cas de résultat incomplet lors de l’évaluation per-procédurale immédiate. La quantité moyenne d’éthanol injectée dans notre étude était de 2,4 +/- 0,6 cc (1,8 à 3,0 cc). Au cours de l’intervention nous n’avons rapporté aucun décès, mais nous rapportons une perforation VD par la sonde d’entraînement temporaire avec tamponnade gérée par chirurgie cardiaque, une FV gérée par choc électrique externe et 3 blocs AV complets nécessitant l’implantation de stimulateurs DDD-R.   Analyse Une surveillance clinique, électrique et échocardiographique a été réalisée pendant la procédure, à 48 heures puis tous les 3 mois pour tous les patients jusqu’à 6 mois. Une amélioration significative du gradient résiduel VG (< 50 mmHg) a été observée chez 45 patients (77,59 %). Nous avons ensuite divisé nos patients en 2 groupes en fonction du gradient résiduel dans la chambre de chasse du VG 3 mois après l’alcoolisation (< 50 mmHg vs > 50 mmHg) et comparé ces deux groupes pour identifier les facteurs prédisant un mauvais résultat après alcoolisation septale (tableau 1) : – le sexe ne semble pas influencer l’évolution du gradient VG à 3 mois (♂ : 6/32 vs ♀ : 7/26, p à 0,54) ; – l’âge > 50 ans ne semble pas influencer l’évolution du gradient VG à 3 mois (> 50 ans : 3/26 vs < 50 ans : 10/32, p à 0,11) ; – le bloc de branche gauche sur l’ECG ne semble pas influencer l’évolution du gradient VG à 3 mois (BBG+ 8/47 vs BBG- 5/11, p à 0,10) ; – la FEVG ne semble pas influencer l’évolution du gradient (FEVG < 60 % : 2/10 vs FEVG > 60 % : 11/48, p à 1,00) ; – la quantité d’alcool injectée < 2 mL ne semble pas influencer l’évolution du gradient (Qt < 2 cc : 3/9 vs Qt > 2cc : 10/49, p à 0,40) ; – l’épaisseur maximale du VG > 30 mm est associée à un mauvais résultat sur le gradient VG à 3 mois (> 30 mm : 5/7 vs < 30 mm : 8/51, p à 0,0045) (figure 4). – le gradient initial > 135 mmHg semble être un bon prédicteur de mauvais résultat après alcoolisation septale (G > 135 mmHg : 8/18 vs G < 135 mmHg : 5/40, p à 0,0145) (figure 5). Figure 4. Impact de l’épaisseur du VG sur le gradient VG 3 mois après l’alcoolisation septale. Figure 5. Impact de l’épaisseur du VG sur le gradient VG 3 mois après l’alcoolisation septale.   Discussion   Limite La principale limite de cette étude est la petite taille de la série (n = 58), ce qui limite la possibilité d’obtenir des résultats statistiquement significatifs. Ceci explique aussi le taux de complications rares, par rapport aux données de la littérature. Le caractère rétrospectif de l’étude représente également une limite. En effet, certains examens sont manquants ou incomplets, limitant ainsi la quantité de données disponibles.   Principaux résultats et interprétation Nous rapportons un taux de mortalité nul et un taux de morbidité de 8,62 %, ce qui est cohérent avec les données de la littérature. Les facteurs de mauvais résultat 3 mois après une alcoolisation septale sont l’épaisseur maximale du VG > 30 mm et le gradient initial > 135 mmHg (p < 0,05).   EN PRATIQUE   • L’alcoolisation septale est devenue une alternative intéressante à la myomectomie chirurgicale chez les patients symptomatiques atteints de cardiomyopathie hypertrophique obstructive. • La sélection des candidats doit être rigoureuse et la procédure doit être confiée à des centres expérimentés, associant cardiologues interventionnels et échocardiographistes. L’alcoolisation septale est préférée en cas d’obstruction sous-aortique, d’anatomie coronarienne favorable et d’absence d’anomalie associée de l’appareil mitral sous-valvulaire. • L’alcoolisation septale est rapide, efficace et sûre. L’échocardiographie de contraste per-procédurale permet d’identifier facilement la branche septale à alcooliser. Ses bénéfices sont comparables à ceux observés avec la myectomie chirurgicale en termes de classe fonctionnelle, de capacité d’exercice et de régression du gradient pour une épaisseur de septum < 30 mm. • La morpho-mortalité, observée à court et moyen terme, est globalement équivalente à celle de la chirurgie. La complication majeure est dominée par la survenue d’un bloc auriculoventriculaire complet nécessitant l’implantation d’un stimulateur cardiaque permanent, complication en forte régression depuis la généralisation de la technique échoguidée. Conflits d’intérêts : les auteurs déclarent qu’ils n’ont aucun conflit d’intérêts. Comité d’éthique : le comité d’éthique (représenté par le conseil scientifique local de notre hôpital) a donné son accord pour réaliser ce travail et en partage ici les résultats. Consentement éclairé : tous les patients ont donné leur consentement pour la participation et la publication des résultats de cette étude. Contributions des auteurs NZ était responsable de la conception de l’étude, a participé à la réalisation d’échocardiographies et de procédures d’alcoolisation septale, a interprété les résultats et a participé à la rédaction du manuscrit. KB a participé à la réalisation des échocardiographies et à la rédaction du manuscrit et a réalisé les analyses et tests statistiques. AB a participé à l’analyse et à l’interprétation des résultats et à la réalisation des échocardiographies. NI a participé à l’analyse et à l’interprétation des résultats et à la réalisation des échocardiographies. Remerciements Nous remercions nos paramédicaux qui ont participé aux explorations réalisées dans cette étude et nos secrétaires médicales qui ont assuré l’archivage des données des patients.

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