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Thérapeutique

Publié le 10 jan 2012Lecture 8 min

Les bêtabloquants en préopératoire ? Oui ou non, pour qui et comment ?

Y. COTTIN, C. RICHARD, M.-C. GOMEZ-BIELEFELD, C. GIRARD, Hôpital du Bocage, CHU de Dijon

Au décours de la chirurgie, les infarctus du myocarde sont une complication classique et fréquente. En fonction des séries, leur prévalence est retrouvée entre 1 et 6 % au cours de la chirurgie non vasculaire, et jusqu’à 30 % au cours de la chirurgie vasculaire majeure. Les recommandations de l’ACC-AHA et de l’ESC publiées en 2009, ont pour objectif chez les patients devant bénéficier d’une chirurgie non cardiaque d’optimiser leur prise en charge. Cette dernière est basée sur l’évaluation du risque relatif au type d’intervention chirurgicale d’une part (tableau 1) et aux facteurs liés au patient d’autre part.

Score de Lee : évaluer le risque individuel Le score de Lee est le plus classiquement utilisé pour l’évaluation du risque individuel et la comparaison des populations ou des études. Ce score a été établi à partir d’un effectif de plus de 4 300 patients âgés de > 50 ans et bénéficiant d’une chirurgie non cardiaque, et a permis d’identifier 6 paramètres indépendants de complications cardiovasculaires majeures (IDM, œdème pulmonaire, fibrillation ventriculaire, arrêt cardiaque et BAV III) : – la chirurgie à haut risque ; – un antécédent de cardiopathie ischémique ; – un antécédent d’insuffisance cardiaque ; – un antécédent d’accident vasculaire cérébral ; – un diabète traité par insuline en préopératoire ; – une créatininémie > 20 mg/l. Ainsi, le pourcentage de complications cardiovasculaires majeures est de 0,5 % chez les patients sans facteur de risque, 1,3 % avec 1 facteur de risque, 4 % avec 2, et 9 % avec > 3. Sur une large cohorte de 108 593 patients ayant bénéficié d’une chirurgie non cardiaque, la valeur de l’index de Lee a conforté l’intérêt de l’établissement du profil de risque des patients ; en effet, les auteurs dénombrent 1 877 décès péri-opératoires, soit 1,7 % de l’effectif, avec respectivement 0,3 % pour la classe 1, 0,7 % pour la classe 2 (OR : 2,0 ; 1,7-2,4), 1,7 % pour la classe 3 (OR : 5,1 ; 3,8-6,7) et 3,6 % pour la classe 4 (OR : 11,0 ; 7,7-15,8). Ce travail démontre également l’intérêt de la stratification du risque selon Lee en fonction du type de chirurgie : à haut risque (chirurgie intrapéritonéale, intrathoracique ou sus-inguinale) ou à bas risque (respectivement 0,8 vs 0,4 % de décès péri-opératoires ; OR : 1,9 ; 1,6-2,3). Cependant, ce travail ne porte que sur la mortalité péri-opératoire et l’indice de Lee est basé sur les événements cardiovasculaires majeurs. Enfin, il faut observer l’influence de l’âge des patients ; en effet, sur cette grande série, le risque de mortalité péri-opératoire passe de 0,1 % pour les patients de < 40 ans à 1,5 % pour les patients de > 80 ans (OR : 23,0 ; 14,8-35,7). L‘intérêt des bêtabloquants n’est démontré ni chez les patients à faible risque, ni dans la chirurgie à faible risque, comme le soulignent les dernières recommandations de l’ACC/AHA. En conséquence, l’intérêt de cette classe thérapeutique n’est établi que dans trois situations : – pour les sujets ayant bénéficié de ces traitements de façon chronique avant la chirurgie ; – chez les coronariens avec une ischémie sévère documentée en préopératoire ; – chez les coronariens devant bénéficier d’une chirurgie à haut risque. Les bêtabloquants en péri-opératoire Le rationnel est de diminuer la consommation en oxygène en réduisant la fréquence cardiaque et la contractilité, mais également par certains effets cardioprotecteurs additionnels comme la redistribution endocardique du flux coronaire. Le premier travail, celui de Mangano, a randomisé 200 patients recevant ou non de l’aténolol avant et durant le séjour hospitalier pour une chirurgie vasculaire. Il a démontré une réduction de la mortalité cardiovasculaire sous bêtabloquant à la fois en phase hospitalière (0 vs 8 %, p < 0,001), à 1 an (3 vs 14 %, p = 0,005) et à 2 ans (10 vs 21 %, p = 0,019). Il faut souligner que le traitement chronique par bêtabloquant avant l’admission était de 19,4 % dans le groupe aténolol et 8,2 % dans le groupe placebo (p = NS), et respectivement de 14 vs 7,1 % (p = NS) à la sortie et 16,7 vs 13,7 % (p = NS) à 1 an. Les recommandations actuelles sont issues de plusieurs études randomisées et en particulier des études DECREASE et POISE, qui ont toutes permis d’obtenir une réduction des infarctus du myocarde péri-opératoires, mais l’impact sur la mortalité et sur les accidents vasculaires cérébraux est très différente. En effet, dans l’étude DECREASE, les auteurs démontrent une réduction significative de la mortalité. L’étude POISE est le dernier grand essai contrôlé randomisé, ayant inclus 8 351 patients bénéficiant d’une chirurgie non cardiaque et recevant soit un placebo (n = 4 177) soit du métoprolol (n = 4 174) entre 2-4 h avant la chirurgie et poursuivi pendant 30 jours. Pour le critère d’évaluation composite (décès cardiovasculaire, IDM fatal ou arrêt cardiaque), les auteurs observent une réduction significative, 5,8 % vs 6,9 % (p = 0,0399) en faveur du bras bêtabloquant. En revanche, à 30 jours, les décès cardiovasculaires sont plus nombreux dans le groupe métoprolol, 3,1 % vs 2,3 % (p = 0,0317), tout comme les accidents vasculaires cérébraux (AVC), 1,0 % vs 0,5 % (p = 0,0053) (figure 1). Figure 1. Courbes de survie de l’étude POISE pour les AVC et la mortalité cardiovasculaire à 30 jours (Lancet 2008 ; 371 : 1839-46). Les analyses post-hoc suggèrent que les épisodes d’hypotension et/ou de bradycardie, mais également les AVC expliquent cette surmortalité. Mais surtout, ils montrent que 5 paramètres sont décisifs dans le design des études et dans les explications de ces résultats discordants : – le type de bêtabloquant ; – le délai entre introduction et chirurgie ; – la durée du traitement ; – la titration ou non ; – la sélection ou non des patients et leurs critères de sélection. Le tableau 2 résume les 5 facteurs en fonction de grands essais randomisés et souligne clairement les différences importantes entre elles, qui peuvent expliquer les résultats discordants entre les études (figure 2). Figure 2. Effet des bêtabloquants à 30 jours sur l’IDM non fatal et la mortalité toute cause (7 essais randomisés) (Eur Heart J 2009 ; 30 : 2769-812). * Dans le travail de Mangano, la mortalité est évaluée à 6 mois. Néanmoins, malgré l’emploi très large des bêtabloquants aujourd’hui, les événements cardiaques majeurs persistent en chirurgie à haut risque. Récemment, sur une cohorte de 272 patients tous traités, Feringa et coll. ont montré que la réduction de la fréquence cardiaque et l’utilisation de fortes doses de bêtabloquant sont associées à une réduction des épisodes ischémiques peropératoires. En effet, pour chaque augmentation de dose de 10 %, il existe une réduction des événements cardiaques (HR : 0,71 ; 0,60-0,84, p < 0,001), mais également de la mortalité (HR : 0,86 ; 0,76-0,97, p < 0,008) et pour chaque augmentation de fréquence cardiaque de 10 bpm, il existe une augmentation des événements cardiaques (HR : 1,60 ; 1,20-2,13, p < 0,002), mais également de la mortalité (HR : 1,37 ; 1,06-1,77, p < 0,01). Les auteurs concluent que l’administration de bêtabloquants ne suffit pas pour réduire le risque, et que le monitorage de la fréquence cardiaque et son contrôle par l’adaptation des doses orales ou intraveineuses devraient permettre une réduction des événements ischémiques au cours de la chirurgie à haut risque. La plupart des études randomisées ont comparé différents bêtabloquants au placebo. Seule l’étude observationnelle de Redelmeier, portant sur 37 151 patients de > 65 ans recevant de l’aténolol ou du métoprolol, apporte une partie de la réponse sur l’intérêt des bêtabloquants à longue durée d’action. Cette étude décrit, en effet, un taux de d’infarctus péri-opératoires ou de décès de 2,5 % dans le groupe aténolol vs 3,5 % avec le métoprolol (p < 0,001).   Les bêtabloquants en péri-opératoire : les données récentes   Chirurgie vasculaire La cohorte de Flu, publiée dans le JACC en 2010, apporte des informations importantes. En effet, l’initiation des bêtabloquants est actuellement uniquement basée sur des avis d’experts. Ainsi, 940 patients bénéficiant d’une chirurgie vasculaire ont été étudiés en fonction de la fréquence cardiaque préopératoire, du niveau de CRP et du délai d’introduction des bêtabloquants avant une intervention chirurgicale. Ces derniers ont été introduits, respectivement, entre 0 et 1 semaine, entre 1 et 4 semaines, et > 4 semaines avant la chirurgie, chez 158 patients (17 %), 393 (42 %), et 389 (41 %), et la fréquence cardiaque médiane en préopératoire était de 74 ± 17 bpm, 70 ± 16 bpm, et 66 ± 15 bpm (p < 0,001). Un traitement bêtabloquant initié au moins une semaine avant la chirurgie (> 4 semaines ou 1-4 semaines) est associé à une incidence plus faible à 30 jours d’événements cardiaques majeurs et surtout à une mortalité à long terme plus faible par rapport au traitement initié < 1 semaine en préopératoire (figure 3). Figure 3. Courbes de survie en préopératoire en fonction du délai d’initiation des bêtabloquants (Flu WJ. JACC 2010 ; 56 : 1922-9). Arythmies cardiaques Le rôle des bêtabloquants sur les arythmies cardiaques est bien établi, mais les facteurs de risque et le pronostic de ces dernières au cours de la chirurgie vasculaire sont peu connus. Un travail publié en 2010 par de Winkel dans l’Am Heart J apporte de nombreuses informations. Les auteurs ont suivi 513 patients bénéficiant d’une chirurgie vasculaire et surtout sans antécédent d’arythmies par un Holter pendant 72 heures. Ils ont montré que les arythmies sont fréquentes (11 % des patients) : pour les fibrillations auriculaires, les tachycardies ventriculaires, les tachycardies supraventriculaires, et les fibrillations ventriculaires, 4 %, 7 %, 1 %, et 0,2 %, respectivement. De plus, les auteurs mettent en évidence des épisodes d’ischémie myocardique et d’arythmies chez 17 patients (3 %) avec chez 10 d’entre eux un épisode ischémique précédant l’arythmie. Deux facteurs apparaissent comme prédicteurs indépendants d’arythmies : l’âge et l’altération de la fonction ventriculaire gauche. L’analyse multivariée a montré que les arythmies périopératoires étaient associées à long terme aux événements cardiovasculaires, indépendamment de la présence d’une ischémie périopératoire (HR : 2,2 ; 1,3-3,8, p = 0,004) (figure 4). Figure 4. Courbes de survie en postopératoire en fonction de l’apparition de troubles du rythme péri-opératoires au Holter (Winkel TA. Am Heart J 2010 ; 159 : 1108-15). Insuffisance cardiaque Enfin, le rôle des bêtabloquants chez les insuffisants cardiaques est également démontré, bien que leur impact au cours et au décours d’une chirurgie reste à établir. En 2010, un travail important a testé la valeur pronostique de la dysfonction ventriculaire gauche (VG) asymptomatique chez les patients bénéficiant d’une chirurgie vasculaire par échocardiographie de routine. Une échocardiographie a été réalisée en préopératoire chez 1 005 patients consécutifs devant bénéficier d’une chirurgie vasculaire. La dysfonction VG systolique a été définie comme une FEVG < 50 % et la dysfonction diastolique par un ratio E/A < 0,8 (altération de la relaxation) ou > 2 (relaxation restrictive). Une dysfonction VG a été diagnostiquée chez 506 (50 %) patients, dont 80 % étaient asymptomatiques. En chirurgie vasculaire ouverte (n = 649) ou endovasculaire (n = 356), une dysfonction systolique ou diastolique asymptomatique a été associée à un taux plus élevé d’événements cardiovasculaires majeurs à 30 jours et à une surmortalité à long terme (figures 5 et 6). Figure 5. Association des événements cardiovasculaires majeurs et de la fonction VG systolique et diastolique en postopératoire d’une chirurgie vasculaire ouverte (Flu WJ Anesthesiology 2010 ; 112 : 1316-24). Figure 6. Association des événements cardiovasculaires majeurs et de la fonction VG systolique et diastolique en postopératoire d’une chirurgie vasculaire endovasculaire (Flu WJ Anesthesiology 2010 ; 112 : 1316-24). Cette étude démontre donc que la dysfonction VG asymptomatique est un facteur prédictif de morbi-mortalité cardiovasculaire de 30 jours et à long terme, et suggère que la stratification du risque préopératoire doit inclure non seulement l’analyse des symptômes, mais également une échocardiographie préopératoire pour stratifier le risque en cas de chirurgie à haut risque.   En pratique   L’utilisation des bêtabloquants en préopératoire doit être discutée en fonction du patient, mais également du type de chirurgie. Les recommandations, de même que les travaux récents, montrent clairement que leur introduction doit être réalisée le plus à distance de la chirurgie et que leur monitorage doit être optimisé en fonction de la fréquence cardiaque et des chiffres tensionnels. D’autres essais randomisés paraissent nécessaires pour mieux définir la place de chaque type, en particulier chez les patients asymptomatiques et/ou à haut risque rythmique.

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