Rythmologie et rythmo interventionnelle
Publié le 20 mar 2012Lecture 8 min
La rythmologie 25 ans après : tout a changé !
J.-Y. LE HEUZEY, Hôpital Georges Pompidou, Paris
En 1971 les plus vieux d’entre nous se souviennent peut-être de la chanson des Poppys : « non, non, rien n’a changé ». La rythmologie nait à peu près dans ces années-là puisque c’est en 1969 que Benjamin Scherlag a publié pour la première fois l’enregistrement de l’activité électrique du faisceau de His. C’est le point de départ réel de la rythmologie(1). La stimulation, quant à elle, était plus ancienne puisque le premier pacemaker avait été implanté en 1958 en Suède.
Dans les 25 dernières années, depuis la naissance de Cardiologie Pratique, tout a changé ! Les articles écrits par Jean-François Leclercq en 1987 sur le défibrillateur implantable et Robert Frank en 1988 sur le choix des pacemakers sont parmi les premiers articles de rythmologie/ stimulation publiés par la revue. En 1987 Jean-François Leclercq rapportait l’implantation de 17 patients appareillés d’un défibrillateur depuis 1982, date à laquelle Michel Mirowski avait implanté le premier patient. Dans l’article de Robert Frank on laissait entrevoir toutes les possibilités futures, qui se sont bien sûr confirmées, de sophistication des stimulateurs : multi programmables, double chambre, fréquence asservie, etc. La resynchronisation n’était pas encore évoquée…
Par ailleurs à l’époque, la rythmologie ne concernait que quelques cardiologues, considérés comme « ésotériques » par leurs pairs, car ils organisaient des réunions en tout petits comités, « coupant les cheveux en quatre » pendant des heures, et ne s’intéressant qu’à des problématiques dont eux seuls voyaient l’importance. Aujourd’hui, principalement grâce (ou à cause), de la fibrillation atriale et de l’insuffisance cardiaque qui ont pris une importance épidémiologique majeure, la rythmologie est au cœur de la cardiologie.
Quelles ont été les avancées majeures dans ces 25 ans qui ont modifié la pratique du rythmologue ?
Ce n’est certainement pas le médicament antiarythmique car lorsque l’on regarde les dates d’autorisation de mise sur le marché on s’aperçoit que le flécaïnide a été mis sur le marché en 1983 comme la propafénone et que la cibenzoline a été mise sur le marché en 1987. Malheureusement, dans ces 25 ans, aucun nouvel antiarythmique par voie orale n’a été lancé, en dehors de la dronédarone dont on connaît le début de vie difficile… Cette absence de nouvelles molécules est réellement une catastrophe car l’immense majorité des patients ayant des troubles du rythme, c’est-à-dire ceux qui sont victimes de fibrillation atriale, relèvent toujours d’un traitement antiarythmique, les procédures et dispositifs ne pouvant concerner, en tout état de cause, qu’une petite proportion d’entre eux.
Par ailleurs, les médicaments antiarythmiques souffrent d’un déficit d’image principalement dû à l’obsession actuelle des autorités de santé (on comprend pourquoi !), dans la chasse aux effets secondaires, oubliant totalement le bénéfice, avant tout symptomatique, qui peut être apporté au patient. Le patient que le cardiologue praticien a en face de lui sait quand le médicament lui apporte un bénéfice clinique en termes de symptomatologie ! Pour ce qui est de la sécurité des médicaments antiarythmiques, on peut être particulièrement intéressé par le travail de nos collègues Danois qui ont exploité un registre de plus de 150 000 patients traités par antiarythmiques pour une fibrillation atriale. La mortalité la plus importante a été notée avec l’amiodarone, la plus faible avec le flécaïnide ! Bien évidemment, il y a un biais dans ces données qui est qu’il s’agit d’un registre et que les patients les plus graves ont été mis sous amiodarone et non sous flécaïnide, mais elles prouvent que lorsque les médicaments antiarythmiques sont correctement prescrits, ils sont sûrs(2).
Parmi les avancées qui ont « tout changé » on ne peut pas ne pas citer l’ablation par radiofréquence (premier cas mondial rapporté dans une lettre au Lancet de 1986 par T. Lavergne et avec L. Guize)(3). En 1994 S. Cazeau(4) a publié le premier cas de stimulation « multisite » dans l’insuffisance cardiaque évoluée. Ces travaux, menés ensuite avec l’équipe de Jean-Claude Daubert, constituent également une avancée majeure. La publication des frères Brugada de 1992(5) décrivant le syndrome qui va porter leur nom et la découverte majeure de Michel Haissaguerre et son équipe en 1998(6), mettant en évidence le rôle des foyers des veines pulmonaires dans la genèse de la fibrillation atriale, sont également les faits marquants, « pierres angulaires » du développement de notre spécialité.
Toutes ces évolutions ont profondément modifié les attitudes, à mon avis dans 3 domaines principaux : la resynchronisation et le défibrillateur prophylactique, la fibrillation atriale et le syndrome de Brugada.
Ce sont les préoccupations principales des rythmologues d’aujourd’hui. On est maintenant convaincu que la thérapie de resynchronisation tient une place majeure dans le traitement de l’insuffisance cardiaque, qu’elle est capable de diminuer la mortalité de ces patients, en n’oubliant pas que cette méthode doit être utilisée chez des malades qui ont déjà un traitement médical optimal. Nous sommes absolument persuadés maintenant, par rapport à il y a une dizaine d’années, de l’utilité indiscutable de la technique. Il reste un certain nombre de problèmes concernant principalement les indications et la sélection des malades qui doivent pouvoir bénéficier de cette thérapie.
• Pour le défibrillateur implantable, l’évolution a été très rapide avec tout d’abord des indications de prévention secondaire puis très vite de nombreuses indications de prévention primaire à la suite d’essais comme MADIT II. Ces places grandissantes de la thérapie de resynchronisation, d’une part, du défibrillateur prophylactique, d’autre part font qu’actuellement on implante de plus en plus souvent des patients à la fois avec un resynchronisateur et un défibrillateur.
Ces conduites doivent cependant être discutées notamment du fait que la resynchronisation en elle-même est capable de diminuer la mortalité, ce que fait également un défibrillateur implantable mais il n’y a jamais eu de comparaison directe entre les deux techniques.
• Dans le domaine de la fibrillation atriale, la place de l’ablation par radiofréquence a été considérablement amplifiée ces dernières années. On a largement dépassé le million de cas traités par ablation sur la surface du globe. Il ne faut cependant jamais oublier que cette technique ne s’adresse qu’à quelques patients sélectionnés et qu’elle n’est pas dénuée de risques. Ses succès concernent le maintien du rythme sinusal, il n’y a pas pour le moment de données en termes de baisse de mortalité. La procédure garde un taux de complications notable. Dans un grand registre déclaratif(7), on retrouve une mortalité de 0,15 %, ce qui correspond à 1 500 morts parmi un million de patients ablatés. Que dirait-on d’un médicament antiarythmique qui serait associé à 1 500 décès ? Il faut rappeler par ailleurs que l’on a maintenant bien individualisé les facteurs de risque thromboembolique de la fibrillation atriale : âge > 75 ans, cardiopathie sous-jacente, hypertension artérielle, diabète, antécédents d’AVC/AIT.
On sait actuellement qu’il n’est pas raisonnable d’envisager une ablation dans le simple but d’arrêter les anticoagulants.
Le futur du traitement anticoagulant sera totalement modifié chez les patients en fibrillation atriale avec l’arrivée de nouveaux antithrombotiques de maniement plus facile que celui des antivitamines K mais il conviendra de les utiliser avec grande prudence, en tenant tout d’abord compte d’une éventuelle insuffisance rénale puisque ces produits ont tous une élimination rénale non négligeable. Le grand progrès qu’ils apportent est constitué par la baisse, par rapport aux antivitamines K, du nombre d’accidents hémorragiques cérébraux. Souhaitons que le mésusage de ces médicaments ne vienne pas ternir, dans la vraie vie, leurs superbes résultats obtenus dans les grands essais cliniques (plus de 50 000 patients enrôlés !)
• Enfin, en matière de syndrome de Brugada et de cardiopathies rythmiques génétiques de nombreuses avancées ont été obtenues dans la connaissance de ces maladies mais il reste de grandes difficultés quant au choix des patients pour l’indication de mise en place d’un défibrillateur en prévention primaire, notamment dans le cadre d’une maladie familiale. Cette décision reste toujours très délicate à prendre, principalement chez les patients les plus jeunes.
En conclusion, tout a changé !
L’activité d’un service de rythmologie d’il y a 25 ans n’a absolument plus rien à voir avec ce qu’elle est maintenant. Elle se cantonnait à cette époque à une dizaine d’explorations endocavitaires par semaine et, pour certains services, à quelques implantations de pacemakers. Aujourd’hui l’activité de ce même service comprend plusieurs ablations par jour, de voies accessoires, de flutters, de fibrillations atriales, de réentrées intranodales ou encore de tachycardies ventriculaires. Il s’y ajoute l’implantation de pacemakers de resynchronisation avec ou sans fonction de défibrillation, de défibrillateurs en prévention primaire et secondaire, toujours bien sûr de pacemakers traitant des bradycardies excessives sans compter toute la charge en termes de suivi et de contrôle de tous ces patients implantés. La plupart du temps, dans nos hôpitaux publics du moins, toute cette évolution s’est faite « à personnels constants ».
On s’oriente maintenant vers une problématique d’importance : tous ces actes sont-ils tous justifiés, sont-ils tous « pertinents », les modes de gestion des hôpitaux, publics ou privés, qui sont actuellement imposés ne sont-ils pas inflationnistes et ne poussent-ils pas à une hyperactivité pas toujours bénéfique aux patients ? On évoquait en début de cet article les « cheveux coupés en quatre » d’il y a 25 ans. Il ne faudrait pas tomber trop vite dans l’excès inverse : j’ablate, j’implante d’abord et je réfléchis ensuite… Combien de pacemakers implantés sans savoir si une pause cardiaque est responsable de la symptomatologie, combien de resynchronisateurs implantés sans traitement médical optimal, combien de « réflexes oculo-ablateurs » pour des flutters atriaux, combien de défibrillateurs implantés pour des tachycardies à complexes larges non explorées ? Explorer une tachycardie à complexes larges prend du temps, prolonge l’hospitalisation, coûte à l’hôpital, alors qu’implanter un défibrillateur sans vouloir en savoir plus sur cette tachycardie « rapporte » à l’hôpital, mais coûte à la Sécurité sociale… Quelle absurdité ! Et que dire s’il y avait une voie accessoire à l’origine de cette tachycardie ! Ces termes, même s’ils sont crus, sont ceux qu’il convient d’employer aujourd’hui et cette problématique va de toute évidence s’imposer dans les années qui viennent, pas seulement pour des raisons médico-économiques mais également éthiques. La rythmologie a fait des progrès considérables dans ces 25 dernières années. Elle a énormément apporté à nos patients. Préservons son avenir !
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